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ALAIN SILBERSTEIN

PROPOS D’UN VISIONNAIRE DE TOUJOURS

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ALAIN SILBERSTEIN
S

i les collectionneurs japonais les plus pointus ou les aficionados de Singapour ou d’ailleurs connaissent le nom de Besançon, c’est sans aucun doute «la faute» à Alain Silberstein. Mais pour autant, ce créateur horloger et franc-tireur est trop indépendant pour se faire le porte-parole d’une région d’où il rayonnait mais qui n’a jamais été organiquement liée à son propre travail horloger.

Aujourd’hui, Alain Silberstein a mis sa marque en veilleuse mais il reste aux yeux de tous les connaisseurs comme un des pères fondateurs de la «nouvelle horlogerie». Un terme qui n’existait pas encore en 1987 quand il a présenté ses créations pour la première fois à Bâle. Un choc! Un choc esthétique, l’apparition d’un design encore jamais vu avec ses épaisses montres rondes, l’utilisation de couleurs primaires – rouge, bleu, jaune – bannies par tous les autres horlogers, et un choc technique, avec l’introduction de tourbillons qui étaient alors réservés à quelques rares maisons hyper traditionnelles.

«L’architecte-horloger», comme il se définissait, a secoué une horlogerie encore endormie et a ouvert la voie à toutes les expérimentations, démontrant qu’il était possible d’adapter la mécanique, devenue techniquement obsolète, à la modernité la plus pointue..

Que pense aujourd’hui ce visionnaire de la situation de l’horlogerie, confrontée à une crise qui s’apparente à un changement de paradigme?

«Les Suisses ont fait une erreur en voulant créer des montres globales, identiques pour le monde entier, alors que c’est une approche locale qu’il faut privilégier, comme je l’avais fait à l’époque pour le Japon, où j’ai eu jusqu’à 22 boutiques. Mais ceci dit, il y aura toujours des produits industriels et des produits d’artisans, un peu comme dans la haute couture ou dans le vin, comme on le voit avec les «vins de garage».

Mais la difficulté aujourd’hui pour les horlogers indépendants est qu’il n’y a plus de distributeurs indépendants. L’horlogerie vivait des commerçants indépendants, de partenaires qui connaissaient physiquement leur marché. Aujourd’hui, pour les créateurs indépendants, il n’y a à travers le monde plus qu’une dizaine d’interlocuteurs dignes de ce nom.

Ceci dit, j’observe avec beaucoup d’attention ce qui se passe dans le crowdfunding. Je trouve ça beaucoup plus sain que de travailler avec des financiers et des intermédiaires. Le crowdfunding instaure une forme de co-création, un partage d’idées et d’envies. Preuve en est le nombre incroyable de nouvelles propositions qui naissent d’un peu partout alors que tout le monde n’a que le mot crise en bouche. L’envie d’horlogerie est là, forte, menée par des jeunes gens.

Un autre phénomène marquant me semble être la disparition de la notion de marque au profit de la notion de produit, de création de collections capsules. On vit une période tourmentée et passionnante. Nombre de marques n’ont pas encore perçu que leur clientèle vieillissait en même temps qu’eux. Tous les schémas sont bouleversés. Un Amazon, par exemple, qui déboule dans le marché du luxe en prenant des marges de 12% risque de bouleverser beaucoup de choses. Il met à mal la multiplication des marges par 7 ou 8 comme le pratiquent encore les grandes marques. La notion de service revient au premier plan, alors qu’elle a été largement délaissée au cours de la folie mercantile des dernières décennies. Et puis stylistiquement, ce que je trouve le plus intéressant c’est une forme de nouveau classicisme qui fait retour, dans le sens d’une harmonie retrouvée entre mouvement et esthétique, qui s’écarte de la période terriblement show-off que nous venons de traverser. On a trop vu de produits dingues qui ne marchaient pas. On revient vers les vraies valeurs horlogères qui autorisent aussi toutes les explorations formelles mais qui le font avec respect: respect du client, des valeurs horlogères, du service.»

Quand on lui demande s’il compte revenir en horlogerie, il répond mystérieusement:
«J’aimerais attirer la 3ème génération.»

Visiblement, Alain Silberstein n’a pas dit son dernier mot.