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Avril 2004 - De retour de Bâle et de Genève

RESTROSPECTIVE



Avril 2004 - De retour de Bâle et de Genève

Soulagement! Tel était le sentiment général, perceptible dès le premier jour, qui prédominait parmi les acteurs horloger du monde entier. Soulagés d’être là (on pense tout particulièrement aux horlogers de Hong Kong, de retour après le SARS de 2003, dans une nouvelle halle flambant neuve), soulagés d’avoir réussi tant bien que mal à traverser les dangers de l’année écoulée, soulagés de se retrouver plus nombreux, en apparente meilleure forme, dans une économie apparemment moins sinistrée.

C

e premier sentiment de soulagement allait se transformer, au cours de la quinzaine des salons de BaselWorld et du SIHH, en légère euphorie, alimentée par les bouteilles de champagne ouvertes sur tous les stands dès les premières heures de la matinée. Les acheteurs (agents, grossistes, détaillants) étaient enfin de retour: + 38,8% de fréquentation par rapport à 2003 à BaselWorld, avec 89’350 visiteurs, et + 20% au SIHH, avec 10’000 visiteurs, retrouvant ainsi les valeurs quantitatives de 2002. Ceux ci n’étaient pas seulement de retour mais ils étaient visiblement là pour remplir leurs carnets de commande. Dans tous les secteurs, les marques arboraient généralement le sourire: après une année de profonde dépression, l’horlogerie redémarrait. Cependant, un autre sentiment se faisait peu à peu jour. Etait-ce dû au scepticisme légué par les 12 mois écoulésı Toujours est-il qu’une certaine prudence se manifestait graduellement: « attendons les confirmations », déclaraient généralement « off record » les horlogers apparemment comblés. Une interrogation pointait: et si c’était un effet de l’euphorie des retrouvaillesı Qu’allaient décider finalement les « acheteurs », une fois dégrisés et de retour derrière leurs bureauxı Allaient-ils confirmer leurs commandesı

« La prudence est une des composantes de la force. »
Au dernier jour du SIHH, un des CEO du groupe Richemont me confiait ses doutes: « Ça me fait un peu peur, toute cette euphorie, » me disait-il, « j’ai l’impressions de quelque chose d’artificiel. Personne ne sait où l’on va, on danse au bord du volcan alors, comme pour oublier, on surenchérit… ». Cette inquiétude trouve d’ailleurs son écho dans le très officiel « Closing report » du même SIHH, où l’on peut lire, sous la plume de l’éminence grise – et officiellement Président du Conseil de Surveillance du SIHH -, le Dottore Franco Cologni, une semblable réserve: « Malgré cette reprise surprenante, la prudence reste une vertu capitale. Avec la patience, que nous avons eue l’année passée, elle est une des composantes de la force. » Les responsables du BaselWorld ne font pas démonstration de la même inquiète lucidité, ni des mêmes réserves, affirmant sans ambages que la présente édition a été, aux yeux de nombreux exposants, « the best-ever Show »! Il est vrai que BaselWorld revient de loin et que le salon des bords du Rhin, qui, en 2003, avait ouvert ses portes le 3 avril, jour où les troupes américaines parvenaient à prendre le « Saddam international airport », avait été tout particulièrement affecté par l’absence des fabricants de Hong Kong. Revenus de la désastreuse délocalisation avortée à Zürich, les horlogers de Hong Kong ont retrouvé le sourire dans la Halle 6 qui leur est désormais consacrée. Selon Lore Buscher, responsable du HKTDC pour l’Europe, « BaselWorld représente à nouveau pour nous le salon le plus important du monde. »

Les résultats des exportations suisses du mois de mars, publiés en plein salon, confirmaient apparemment cet optimisme général: + 15,9% par rapport au même mois de l’année précédente, avec le chiffre record de 896,4 millions de FS et une hausse de +21% en nombre de pièces. Quelques voix discordantes apportaient cependant un bémol. « Off record », des fabricants de composants disaient enregistrer une baisse allant jusqu’à –50% de leurs carnets de commande en 2003 et mettaient en doute la véracité absolue des statistiques douanières suisses, prétendant que certaines firmes, parmi les plus importantes, exportaient des pièces pour les réimporter aussitôt, faisant ainsi gonfler leurs propres statistiques…

Une « talking piece »
Que cette remarque soit fondée ou non, force est de constater qu’au niveau créatif la cuvée 2004, que nous imaginions assez pauvre, s’en en fait révélée assez étonnante, et ce dans tous les secteurs de l’horlogerie. La « talking piece » de Bâle a sans contexte été le prototype « révolutionnaire » présenté par TAG Heuer, la Monaco V4 Concept Watch. Imaginée et conçue par Jean-François Ruchonnet, façonnée dans les ateliers de TAG Heuer elle a finalement été assemblée et terminée par un des meilleurs maîtres horlogers de Suisse, Philippe Dufour. Cette caution était absolument nécessaire pour faire taire tous les sceptiques qui prédisent qu’elle ne fonctionnera jamais. Et c’est un paradoxe que ce soit l’horloger le plus traditionnel qui soit qui ait contribué à mettre au point cette approche radicalement nouvelle de la mécanique horlogère. Inspirée par le moteur automobile, la Monaco V4, qui tire son nom de ses 4 barillets montés en V, comporte des innovations tout à fait spectaculaires. Les traditionnels pignons sont remplacés par 13 micro-courroies dentées façonnées dans un matériau dit « stratégique » et top secret; le traditionnel rotor a été remplacé par une masse « oscillante » linéaire montée sur roulements à bille céramique et qui entraîne par un engrenage une roue dentée qui convertit le mouvement linéaire en mouvement rotatif; les rubis sont tous remplacés par des roulements à bille…L’énergie considérable fournie par les 4 barillets (un total de 1,5 kilo) ouvre à la mécanique horlogère de nouvelles perspectives. Lesquellesı Comme le déclare lui-même Philippe Dufour, « il est encore trop tôt pour le dire » et deux à trois ans seront sans doute encore nécessaires pour passer du prototype à l’industrialisation. Mais quoi qu’il en soit, cette démonstration de créativité pure est tout à l’honneur de TAG Heuer qui, en l’occurrence, a fait preuve de courage en acceptant l’idée folle de Ruchonnet (un Ruchonnet qui ne compte pas s’arrêter en chemin puisqu’il prévoit déjà de nouvelles conceptions révolutionnaires, inspirées cette fois du bateau et de l’avion…). (Au sujet de cette montre, voir notre Cover Story)

Un TAG Heuer décidément en grande forme puisque la marque présentait aussi une autre innovation, certes technique (pour la première fois un chronographe comporte des poussoirs disposés non pas sur le côté de la boîte mais sur le dessus de la lunette) mais aussi et avant tout de marketing. En effet, pour avoir « le droit » d’acheter le SLR Chronograph by TAG Heuer, il faudra d’abord débourser environ 350’000 ¤ pour acquérir la Mercedes-Benz SLR McLaren…Plus exclusif, tu meurs. Ce feu d’artifice, animé avec sa fougue habituelle par Jean-Christophe Babin, CEO, ne faisait pourtant pas taire les rumeurs, croissantes au fur et à mesure du déroulement des salons: « LVMH veut vendre TAG Heuer…mais c’est très cher », entendait-on dire, « et surtout, vendre Zenith! ».

La bourse des rumeurs
La rumeur du désengagement horloger de LVMH, qui, selon les bruits de couloir, ne conserverait que ses marques « fashion », soit principalement Vuitton, Dior et Chaumet (plus Fred, dirigé par la femme du grand patron), se faisait en effet extrêmement insistante au sujet de la manufacture Zenith. Zenith orchestrait aussi ses feux d’artifices, mais d’une toute autre nature. Plutôt que de créativité horlogère, il s’agissait d’un super-show personnel, entièrement dédié à la personne de son CEO, Thierry Nataf qui, il est vrai, a su redonner à la vieille marque assoupie, un allant, des produits et une visibilité exceptionnelle. Lors d’une soirée mémorable peuplée de belles femmes (il faut voir comment les grands cadres horlogers se lâchent au son de la techno) organisée dans l’ancienne usine des camions Saurer, Nataf, après une fort longue attente, surgit comme une rock-star de music-hall, allant jusqu’à mimer le bruit de ses tourbillons qu’il comparait aux battements de son propre cœur. Cette mise en scène déroutante était-elle le festif prélude du désengagement de LVMHı

Redémarrage de Ebel
Chez Ebel, que LVMH a très récemment revendu au groupe américain Movado, on ne commentait pas ces rumeurs, mais on se disait bienheureux d’être retournés entre les mains de « véritables » horlogers. Il est encore bien trop tôt pour savoir avec précision comment Movado entend faire remonter la pente à la marque en perte de vitesse, mais quelques pistes de réflexions se présentent déjà. Essentiellement, Ebel entend revenir à ses « fondamentaux » horlogers, après des années d’errance. « Retrouver les codes initiaux du luxe selon Ebel, redevenir très cohérent, rassurer les détaillants autour de valeurs simples, connues et reconnues… ». telles sont les tâches fondamentales de la nouvelle équipe, selon Miriam DiNinni, la convaincante porte-parole de la marque. Premier effet concret de ces intentions: le relancement de la fameuse SportWave, supprimée par LVMH, en version relookée. Il est encore bien trop tôt pour dire si cette stratégie de retour aux valeurs profondes de la marque va prendre mais le soulagement était perceptible parmi les cadres de la marque.

L’exception horlogère
L’horlogerie serait-elle une industrie « à part »ı Force est en tous les cas de constater que les greffes hétérogènes ne prennent pas toujours, quelle que soient les sommes, parfois colossales, qui sont injectées. Les hommes de marketing ont encore et toujours besoin du savoir-faire des hommes de l’art. Ainsi, tout comme TAG Heuer a eu recours à Philippe Dufour pour mettre pratiquement au point son concept révolutionnaire, l’autre grande sensation de BaselWorld, l’Indicator de Porsche Design (propriété d’Eterna) doit aussi beaucoup à un horloger indépendant, Paul Gerber, membre de la véritable pépinière d’idées et de talents qu’est l’Académie des Horlogers Créateurs Indépendants (AHCI). (Et doit aussi beaucoup au monde de l’automobile qui, cette année, est le grand inspirateur de l’horlogerie. Autre exemple: Oris a fêté ses 100 ans en faisant tourner une voiture de F1, pilotée par Ralph Schumacher, à l’intérieur du dernier étage d’une Halle de Bâle).

Les maîtres-horlogers de l’ACHI ont été ainsi mis à contribution par de nombreuses marques, anciennes ou toute nouvelles, comme la marque Vogard, très récemment créée par Mike Vogt, un ancien « as » du marketing formé chez TAG Heuer, Ebel et Gucci. Vogt a demandé à Thomas Präscher, jeune « candidat » auprès de l’AHCI, de l’aider à mettre au point une nouvelle montre mécanique à heure universelle qui soit la plus conviviale au monde. Le mécanisme mis au point par le jeune horloger est une première mondiale. Il permet de régler directement le fuseau horaire désiré en tournant tout simplement la lunette, dans un sens comme dans l’autre. Ultra simple d’utilisation, elle permet de régler son heure sans se soucier des fuseaux horaires, en se réglant sur une des 24 destinations gravées sur la lunette (ou 12 avec heure d’été et 12 correspondantes avec heure d’hiver). La première collection de Vogard existe également pour pilotes avec indications d’aéroports ou pour golfeurs avec indication des plus fameux parcours de golf du monde.

Folie des tourbillons
On retrouvait, à quelques mètres de là, le même Thomas Präscher devant sa vitrine de l’ACHI. Là, il présentait un coffret qui a fait sensation. On y découvrait trois tourbillons. Dans l’ordre: un tourbillon « normal » à un axe, un tourbillon à deux axes et un tourbillon à trois axes! Une petite foule s’amassait régulièrement devant cette modeste vitrine et on y aperçut tout les grands « pontes » de l’horlogerie officielle. Thomas Präscher était aux anges et on susurrait qu’il avait déjà reçu dix commandes pour son coffret unique en son genre. De quoi voir venir. Tout à côté de lui, on pouvait découvrir un autre tourbillon à deux axes, d’une toute autre conception, magnifiquement réalisé par Greubel Forsey. Ces deux tourbillons, tout comme le superbe tourbillon deux axes présenté par Jaeger-LeCoultre au SIHH, d’une conception radicalement différente, dominaient de haut la folie tourbillonesque qui s’est emparée de nos horlogers. (Sur ces nouveaux tourbillons à deux axes nous présenterons une analyse détaillée dans notre prochain numéro) Tourbillon par ci, tourbillon par là, en veux-tu, en voilà. Tourbillons à toutes les sauces: prestigieux, chez Harry Winston avec l’Opus IV de Christophe Claret, combinant tourbillon, répétition minute, et grande phase de lune avec heure et minute sur son autre face, le tout enrobé de diamants; ultra-fantaisiste, chez TechnoMarine, avec un tourbillon coincé entre les jambes de Spiderman – tous vendus; superfétatoire, chez Hysek, avec deux tourbillons l’un au-dessus de l’autre pour créer une…dual-time; discret, chez Bulgari, plus discret que le BULGARI gravé sur la lunette; en arabesque, chez Gérald Charles, pour qui Antoine Preziuso a dessiné un pont reprenant la forme de la moustache de Monsieur Gérald Genta; accessible, chez IWC avec un tourbillon mystérieux sur Portugaise; combiné, chez Blancpain, avec en sus une Grande Date; squeletté ou logé dans un lit de diamants chez Piaget; excentré chez Zenith; avec 8 jours de réserve de marche et à révolution en 30 secondes (au lieu de l’habituelle 1 minute) chez Parmigiani; caché, au dos de la Jaquet Droz comme au dos de la Museum de Movado… sans compter tous ceux dont nous avions déjà parlé dans notre précédente édition.

L’horlogerie est oublieuse de sa propre histoire
Ce n’est pas la première fois qu’un vent de folie-tourbillon s’empare de l’horlogerie. Souvenez-vous, il y a quelques années. On avait alors accusé Nouvelle Lemania, qui n’appartenait pas encore au Swatch Group, de déprécier le tourbillon en le vendant à « n’importe qui ». La folie s’était rapidement épuisée mais avait laissé des traces collatérales. En permettant à des marques n’ayant aucune légitimité mécanique d’accéder au « nirvana » du tourbillon, on discréditait, d’une certaine façon, le travail très complexe - même si potentiellement « inutile » en termes de précision dans une montre-bracelet – des quelques maîtres horlogers réellement capables de créer et de façonner un tourbillon. Mais, pour être la gardienne du temps, l’horlogerie n’en est pas moins oublieuse de sa propre histoire.

Un vent de fraîcheur
Un autre vent a également soufflé sur l’horlogerie, un vent apportant fraîcheur et inventivité, sans doute en réaction contre les lourdes tempêtes de notre époque. Ce vent clair a été particulièrement profitable à Jaeger-LeCoultre, dont l’ensemble des collections a subi comme un coup de jeunesse. On connaît les vertus assez « protestantes » de la marque, la rigueur qui a fait son succès, en termes de qualité et de fiabilité de ses produits. Sans rien céder à la mode, ni tomber dans aucun excès « fashion », Jaeger-LeCoultre, à coups de petits détails, de raffinement, de petites touches de couleur ou de légères fantaisies décoratives, a donné à ses produits une allure plus dégagée, moins empesée que par le passé, qui lui donne un éclat vraiment nouveau. La ligne des Master prend enfin la place très méritée qui lui est due, notamment auprès des femmes.

Ce vent de « fraîcheur » a parfois pris un tour bien particulier, comme chez Rolex, cet imprenable bastion de l’orthodoxie horlogère, qui en a « décoiffé » plus d’un avec son étonnant Cosmograph Daytona. Les designers de la vénérable vieille dame ont-ils « abusé de pilules d’ecstasy » nous sommes-nous demandés en contemplant cette improbable greffe entre le séculaire design de la Daytona et les fonds comme le bracelet aux motifs de peau de panthère richement empierréeı Si même Rolex se laisse aller, que peut-on attendre des autresı

Influences latine et féminine
Peut-être faut-il aussi y voir l’influence, à ne jamais négliger dans ce secteur, d’une horlogerie italienne totalement « libérée » des classiques contraintes de formes et de couleurs. Cet attrait pour le « coloriage », ou pour la fraîcheur la plus immaculée, et cette libération des formes sont, stylistiquement et tendanciellement, le fait le plus marquant de ces salons. Sans doute faut-il y voir également un effet de la « féminisation » progressive de l’horlogerie. La femme – la vraie ou la fantasmée – est devenue l’horizon stylistique et le nouveau territoire économique des horlogers. Partout, une attention particulière a été portée aux collections pour femmes, que ce soit dans le domaine de la montre mécanique comme dans les modèles quartz. De Zenith, qui propose une palette de montres pastellisées, à Audemars Piguet, avec ses Royal Oak toutes de blancheur et ses collections dédiées aux « femmes du monde », en passant par l’intégralité des marques fashion, les designers et les stylistes se sont enfin attaqués à une montre féminine qui ne soit pas la simple réduction des modèles masculins.

Persistance du XXL
La taille des montres reste aussi à la hausse, même si on peut trouver d’exquises petites montres – comme chez Léon Hatot, par exemple. Cette tendance à des tailles avoisinant les 40mm dégage un espace supplémentaire pour l’affichage des fonctions et l’expressivité des cadrans. Elle peut générer parfois de très bonnes surprises, comme avec NHC, soit la Nouvelle Horlogerie Calabrese. Vincent Calabrese, un maître horloger au caractère rebelle et aux inventions souvent géniales, a lancé, en parallèle à son travail de fond, une nouvelle marque indépendante, destinée à exploiter « de façon plus commerciale » ses explorations horlogères et autres poèmes mécaniques. En augmentant la taille de ses montres, en faisant redessiner de superbes boîtes, il donne à son horlogerie une nouvelle visibilité et l’ouvre à un public potentiellement bien plus large, tout en ne faisant aucune concession qualitative. (Europa Star présentera NHC en détail dans son prochain numéro, consacré à la montre mécanique)

Mettre de l’eau dans son vin
Cette attitude moins rigoriste peut aussi se percevoir auprès des designers les plus « purs et durs ». Ceux-ci se libèrent progressivement des stricts canons du « Bauhaus » et se permettent plus de souplesse créative. On peut le voir, par exemple, chez Milus, qui confirme les très intéressantes pistes ouvertes suite au relancement de la marque: une horlogerie aux formes très inventives, fines et fort bien sculptées, une horlogerie précieuse sans préciosité…le tout dû au talent de designer de Paul Junod, malheureux entrepreneur qui a dû céder le contrôle de sa marque, mais heureux designer, confirmé à son poste, qui s’est libéré des strictes contraintes qu’il s’était à lui-même imposées. Même évolution libre chez Ventura qui, tout en proposant de très intéressantes explorations techniques, comme la deuxième génération – enviée par de grands groupes - de son modèle Tec Delta dont toutes les fonctions peuvent être atteintes par une molette, ou esthétiques, comme avec le nouveau modèle EGO-Square qui, vu de dessus, est un carré parfait et, vu de dessous, est un cercle parfait…Une très étonnante quadrature du cercle.

Rediversifications
Sans doute que ces nouvelles pistes vont donner lieu, dans les années qui viennent, à une rediversification bienheureuse de l’industrie horlogère. Car les choses commencent à bouger également dans d’autres domaines, que ce soit dans la recherche de matériaux (on l’a notamment vu avec un Harry Winston très en verve qui propose, avec la Z1, sa première montre « sport », une très intéressante tri-rétrograde excentrée, taillée dans un alliage-maison inédit, le zalium) ou dans l’offre en termes de mouvements. Après des années d’atermoiements, on est passé du stade de la plainte à celui de l’initiative. Dernière en date, présentée à BaselWorld, celle de Technotime. Cette manufacture, issue des décombres de France-Ebauches dont elle a repris les effectifs et le matériel, proposera dès cet automne une série de mouvements mécaniques complets issus d’une toute nouvelle conception. Technotime, qui, dans une optique d’indépendance, dit maîtriser la fabrication de tous les composants stratégiques de ses pièces (les organes réglants, y compris le spiral en Elinvar) lance ses deux premiers mouvements automatiques, le 731, un 13 1/4’’’ conçu comme un tracteur de complications, avec ses deux barillets et ses 120h de réserve de marche, et le 741 qui y ajoute un module de quantième à guichet et un chrono à roue à colonnes. Ces deux premiers mouvements, modulaires, fruit d’un développement de 2 ans, seront lancés à 10’000 exemplaires dès octobre 2004. Technotime affirme avoir des capacités de 50’000 exemplaires. A 330.-FS le chrono et 280.-FS le double barillet, sans compter les complications additionnelles, ces deux mouvements sont clairement destinés au haut de gamme et viennent en concurrence directe du 7750 de ETA.

Ce n’est qu’un exemple, mais très distinctement ces exemples se multiplient dans tous les domaines. Le tissu industriel horloger helvétique, très largement dominé par le Swatch Group, est en train de lentement se réorganiser. De nouveaux pôles apparaissent et avec eux de nouvelles opportunités s’ouvrent graduellement. Comme quoi, l’histoire n’est jamais écrite pour toujours.

Le milieu de gamme relève la tête
Même si, sous le climat général d’apaisement que l’on ressentait, les batailles commerciales restent rudes, un certain équilibre global semble être en passe de s’imposer. Les indépendants ont démontré, par leur vitalité, que de larges interstices subsistent entre les murailles des groupes. De même, le milieu de gamme, pour lequel on pouvait émettre des craintes, semble relever la tête. Un des leaders en ce domaine, Raymond Weil, le démontre avec force, en montant en gamme progressivement, et ce depuis plusieurs années, mais tout en étant attentif à ne pas sortir de la légitimité qu’il s’est créée. Plutôt que de céder aveuglément aux sirènes du tourbillon à tout prix, Raymond Weil préfère creuser son ADN en présentant de nouveaux modèles qui ne sont pas en rupture mais qui enrichissent son offre. Ainsi en va-t-il avec les très beaux modèles Two Time Zone Don Giovanni Cosi Grande et Réserve de Marche Parsifal. Entre les folies magnifiques mais dispendieuses du haut de gamme et le tout-venant de la production mondialisée et fashionisée, de nombreux espaces témoignent d’une véritable et nouvelle vitalité où prix, qualité et originalité trouvent leur équilibre. C’est dans ce type de niches que se joue une partie de l’avenir de l’horlogerie. C’est dans cet espace que s’investissent les marques les plus dynamiques du moment, que ce soit un Maurice Lacroix recentré sur sa recherche d’un nouveau classicisme, un Wyler-Vetta qui propose une horlogerie de grande qualité, brillamment dessinée par Rodolphe, inspirée des années 50 et 60 mais revue et corrigée selon les canons actuels, voire même un Hermès qui poursuit sa voie qualitative et originale ou un Dubey & Schaldenbrand qui, sous la houlette de l’étonnante Cinette Robert, continue son chemin en toute beauté. Toutes ces démarches ont pour elles la constance, une certaine modestie et une vue qui cherche à s’écarter du court terme.

Aveuglé par les projecteurs du haut luxe, assommée par les prix vertigineux des pièces d’exception, l’observateur a tendance a oublier parfois qu’il est encore sur terre, une Terre qui n’est pas peuplée des seuls collectionneurs de pièces rares mais qui est remplie de gens pour qui acheter une montre reste un acte d’importance et de confiance. Regagner cette confiance était un des paris des Salons 2004. Il semble qu’il soit en passe d’être tenu. Le dernier mot, maintenant, est au « sell-out ».