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Ces greffes qui ne prennent pas



Ces greffes qui ne prennent pas
C

e n’était pas la première tentative de greffe d’un organe chinois sur le corps horloger helvétique mais, une fois de plus, le greffon a été rejeté. Ou plus exactement, il s’est rejeté de lui-même comme on dit «se tirer une balle dans le pied». Cette ultime tentative, une fois de plus ratée, est celle tentée par CityChamp (ex Haidan Group), qui a acquis Eterna en 2011 et Corum en 2013. Mais diable, pourquoi les Chinois ne parviennent-ils pas à faire convenablement fructifier leurs investissements et leurs prises de contrôle dans l’horlogerie suisse? Y a-t-il une indépassable incompatibilité immunitaire qui condamne systématiquement ces tentatives de greffes au rejet voire à la mort clinique, ou à la mise sous coma artificiel de longue durée (voir par exemple Universal…) de tout l’organisme greffé.

Mais contrairement au domaine médical, dans lequel c’est l’organisme greffé qui se défend en lançant ses défenses immunitaires à l’assaut contre l’intrus, c’est ici le greffon, l’intrus qui semble s’éjecter de lui-même.

Dans le cas de Corum, il serait trop facile d’accuser de mauvais choix le chirurgien Davide Traxler envoyé au front par ses patrons chinois. Le pauvre s’est démené pour remettre la marque sous les feux de la rampe, n’avait pas peur de porter une casquette rouge «Make Corum Great Again», distribuait du viril Bubbliagra aux journalistes et commençait à engranger quelques résultats en misant sur une horlogerie décalée, joyeuse, colorée. Mais s’appeler «Bubble» ne porte peut-être pas chance… sur le plus long terme. Car c’est là que le bât blesse entre Suisses et Chinois. La lenteur paysanne proverbiale de la Suisse est parfois – pas toujours, certes – un atout. «Hâte-toi lentement (en allemand Eile mit Weile, en italien Chi va piano va sano), dont le nom est tiré de la locution latine Festina lente est un jeu de plateau surtout connu en Suisse», nous explique Wikipédia. Allez raconter ça à un milliardaire chinois ultra pressé qui a bâti son immense groupe en quelques courtes décennies. A ses yeux, un investissement rapporte au plus vite possible ou on passe à autre chose. L’horlogerie ne répond pas toujours à cette règle.

Une tout autre greffe semble elle aussi ne pas avoir pris: celle de la Haute Horlogerie sur Cartier. Pourtant Cartier y aura pourtant mis du temps en confiant dès 2005 à la très talentueuse Carole Forestier la responsabilité de la création de mouvements compliqués et pour la plupart très novateurs. Mais quelque chose a résisté. Le «corps Cartier», historiquement fait de joaillerie, n’a pas assimilé la Haute Horlogerie qu’on voulait lui greffer. Le volontarisme seul ne suffit pas, il faut aussi réussir à convaincre ceux à qui l’on tente de s’adresser qu’on possède la véritable légitimité de faire ce que l’on fait. Sans doute qu’au-delà de l’excellence horlogère des mouvements, le design néo-classique un peu lourd de ces montres n’a pas convaincu. Et les collectionneurs patentés, les fortunés fous de mécanique à qui devaient parler ces tourbillons orbitaux ou mystérieux n’ont pas craqué: à leurs yeux la greffe est restée une greffe. Et ce sont eux qui l’ont rejetée.