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Une autre baffe américaine au secret suisse

septembre 2016


Une autre baffe américaine au secret suisse
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ake America great again! Rétro-spectivement, le fameux slogan de Donald Trump semblait avoir été suivi à la lettre par la marque américaine Shinola. On était alors en 2011, bien avant que le New Yorkais n’annonce sa candidature à la présidentielle américaine – à l’époque il était du reste plus connu pour une autre injonction entrée dans la culture populaire: You’re fired!

Retour en 2011, donc. Comme vous le lirez en détail dans l’analyse du marché horloger américain par le cabinet Mazars dans notre édition Europa Star Première, la marque co-fondée par le créateur de Fossil Tom Kartsotis et le fabricant suisse de mouvements quartz Ronda était inaugurée à Détroit, devenant le symbole des tentatives de résurrection d’une ville sinistrée par la désindustrialisation et les délocalisations. Un chiffre d’affaires se montant à 100 millions de dollars, 500 employés locaux, des ateliers dans une école de design... Bref, l’American Dream dans sa rapide splendeur. Au point que Barack Obama a décidé de porter un garde-temps Built in Detroit et d’en offrir un modèle à David Cameron. Bill Clinton aussi a été aperçu avec une Shinola au poignet.

Et pourtant, ce symbole de la «réaméricanisation» a récemment perdu son label... Made in America! Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si la Swatch, qui est autant un symbole qu’une montre, perdait son label Swiss made... En cause, la société ne respecte pas les normes établies par la Federal Trade Commission (FTC), car certains de ses composants viennent – ô honte ô horreur – de... Suisse, plus précisément de Ronda. Dans nos contrées et depuis notre tour d’ivoire horlogère, on est plutôt habitué à l’inverse. La marque a dû revoir toute son identité, gravant désormais Built in Detroit using Swiss and Imported Parts sur le dos de ses montres. Et aux oubliettes le slogan Where American is Made.

Aujourd’hui, on ne met plus seulement à nu les montres physiquement, via le squelettage par exemple. Une mise à nu «morale» est en cours.

Ce paradoxe assez savoureux d’un Swiss made mis sous le paillasson par des Américains est néanmoins révélateur d’un degré d’intransigeance plus élevé quant à l’origine à Washington que dans la Berne fédérale. Un degré extrême, même, puisque la FTC requiert que la quasi-intégralité de la production des composants se fasse sur sol américain. Ce qui a mis l’habituellement très discret Tom Kartsotis dans un état d’amertume rare, face à des concurrents usant et abusant d’un label Swiss made bien plus laxiste...

Ce Swiss made peu contraignant, en cours de réforme mais qui a constitué une poule aux œufs d’or pour tant d’horlogers durant les belles années. Problème pour ces derniers: le consommateur est cependant de plus en plus sourcilleux quant à la «sincérité» des horlogers et le pedigree des produits qu’on lui propose, à l’ère de la transparence, souligne Grégory Pons dans Business Montres. Alors, en Suisse, on hésite, on penche d’un côté puis de l’autre et l’on accouche d’un compromis très... helvétique, entre les excès constatés mais profitables et le risque de perte de crédibilité totale d’un label qui a pour l’heure résisté aux assauts de la transparence. Pour combien de temps encore?

Le débat sur la transparence porte sur l’origine des produits mais aussi sur le prix. Dans notre numéro d’Europa Star Première, vous découvrirez également le projet Goldgena qui ne vise pas, pour une fois, à casser les codes horlogers mais plutôt le culte du secret quant à la vraie valeur d’une montre. Percée ou dictature de la transparence? Aujourd’hui, on ne met plus seulement à nu les montres physiquement, via le squelettage par exemple. Une mise à nu «morale» est en cours. D’où vient la montre que je porte, quelle est sa vraie valeur? Nous y reviendrons prochainement via une enquête ambitieuse dans une nouvelle formule d’Europa Star... Mais ne dévoilons pas le fond de l’affaire tout de suite. En attendant, bonne lecture!