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Le «marketing» n’aime pas l’humour des autres

SIHH 2018

janvier 2018


 Le «marketing» n'aime pas l'humour des autres

Le marketing ne tolère l’humour que quand c’est lui qui le manie pour ses propres objectifs. Mais que d’autres viennent avec humour se moquer de ses travers, ça, le marketing ne le tolère guère. On en a ici la démonstration.

Edouard Meylan, le jeune CEO de H. Moser & Cie, est un habitué des provocations, comme il l’avait déjà démontré avec sa Swiss Alp Watch, pied de nez à Apple, puis avec la Swiss Mad Watch dont le boîtier était façonné dans du fromage «vitrifié». Une façon «100% Swiss Made» de se moquer des matériaux les plus improbables ou les plus furieusement technologiques dont s’est régalée l’horlogerie au cours de la dernière décennie.

Cette année, il a récidivé avec la Swiss Icons Watch, sorte de monstruosité mélangeant quelques uns des signes identitaires les plus reconnaissables de marques aussi diverses que Rolex, Girard-Perregaux, Panerai, Breguet, Patek Philippe, Audemars Piguet

Le résultat est très laid, ressemble à tout sans ressembler à rien, mais on ne peut s’empêcher de sourire en voyant cet ironique patchwork. A priori, pas de quoi fouetter un chat. On pouvait en rire et passer à autre chose.

Mais le fait d’avoir présenté cet improbable et hideux objet comme un «hommage aux légendes de la belle horlogerie mécanique (...), symbole des icônes du passé et du présent et garde-fou des dérives actuelles» a aggravé son cas.

«Beaucoup de marques, même historiques, ne créent et ne produisent plus rien mais substituent à la substance des artifices pour rester pertinentes, ajoute-t-il. À grand renfort d’événements prestigieux ou en se payant des égéries sans rapport avec l’horlogerie, autant d’artifices qui ne sont que poudre aux yeux. C’est à qui se vante d’avoir la plus longue histoire, l’ambassadeur le plus célèbre, le pseudo-influenceur avec le plus de followers. Ce sont là de vaines batailles et l’essentiel est ailleurs: dans le produit, conclut Edouard Meylan dans son communiqué de présentation. Nous devons nous montrer créatifs et nous recentrer sur le produit. Il faut revenir sur terre, remonter ses manches et avoir des idées inédites. C’est à cette seule condition que nous pourrons rendre sa valeur au Swiss Made.»

Une vidéo qui jette de l’huile sur le feu

 Le «marketing» n'aime pas l'humour des autres

Bien plus que la montre elle-même, c’est sans doute cette déclaration officielle, lancée à la veille du SIHH, qui a mis le feu aux poudres. Une déclaration «aggravée» par une vidéo réalisée dans un esprit purement potache, accusant les gens de marketing d’avoir «remplacé les visionnaires». La vidéo décortique le prix d’une montre en l’imputant à hauteur de 12% aux soi-disant scientifiques qui «envoient la montre sur Mars pour que vous puissiez plonger avec dans votre piscine»; à 25% aux «stars d’Hollywood qui changent de marques comme de rôles»; à 16% aux «artistes-alibis d’un manque de créativité»; à 13% pour «l’Ancêtre ramené à la vie chaque 5 ans pour une nouvelle édition anniversaire»; à 11% pour «le sportif légendaire, ambassadeur ou passif?»; sans oublier 13% qui vont «à l’influenceur qui vend ses 144’000 (faux) followers en échange d’une montre gratuite avant de la revendre», soit un total de 90%, ne laissant qu’un modeste solde de 10% pour l’horloger et les frais de production. Et la vidéo de se terminer sur un tonitruant «Stop the marketing bullshit!»

La réaction a été immédiate. On ne sait exactement d’où elle est venue mais vu le nombre de «professionnels» qui se sont sentis directement visés et de marques ainsi moquées, nul doute que les indignés ont été foule et que les téléphones portables ont dû chauffer. Edouard Meylan a été sommé de remballer immédiatement sa montre-Frankenstein et de supprimer toute référence à cette opération.

Dans cette histoire, Edouard Meylan fait un peu figure d’arroseur arrosé. Il a cherché à se moquer des «marketeurs» mais n’a-t-il pas lui-même procédé à une opération de pur marketing ? N’aurait-il pas mieux fait de s’appliquer à lui-même sa propre recommandation en «se recentrant sur le produit»?

Mais la réaction de ses pairs a-t-elle été disproportionnée? Est-ce là uniquement le symptôme d’un manque total de sens de l’humour – qui n’a jamais vraiment été le point fort de l’horlogerie? Il n’empêche que certains des points soulevés par cette montre et la déclaration qui l’accompagne méritent de l’être: les horlogers ne se gavent-ils pas de testimonials et d’ambassadeurs surpayés? De fameux «influenceurs» ont été récemment mis sur le grill et la déontologie n’est assurément pas leur point fort.

Mais H. Moser & Cie n’a-t-elle pas elle aussi cédé aux sirènes du marketing, avec un Brian Ferry, par exemple, ou tout récemment avec une guitare à la couleur «Funky Blue» de ses cadrans fumés, offerte à Adam Clayton, l’un des membres fondateur de U2!

Le marketing ne tolère l’humour que quand c’est lui qui le manie pour ses propres objectifs. Mais que d’autres viennent avec humour se moquer de ses travers, ça, le marketing ne le tolère guère. On en a ici la démonstration.