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Faire tourner les tables

CARNET D’ÉTÉ

juin 2018


Faire tourner les tables

Non, il ne s’agit pas ici de spiritisme ni de faire tourner les tables pour parler avec ses ancêtres. Plus prosaïquement, il s’agit de transformer un mouvement mécanique en table. Drôle d’idée?

C

es dernières années, l’art mécanique horloger s’est mis à dévoiler de plus en plus ouvertement ses organes les plus cachés. Les cadrans se sont effacés pour mieux révéler les rouages qu’ils dissimulent, les fonds ont presque tous adoptés la transparence et des hublots sont même apparus sur les flancs du boîtier pour offrir des plongées latérales au cœur du mouvement.

Fort bien, mais à moins d’avoir toujours sa loupe sur soi, et faute d’une vision d’ensemble, difficile pour le profane de bien comprendre les jeux d’interactions entre les différents composants d’un calibre et les plus fins détails de leur finition. Le monde horloger est un microcosme dans lequel il est plus facile de se perdre que de s’y retrouver. Comment y remédier?

Faire tourner les tables

Voyage virtuel ou promenade réelle

Certes, direz-vous, les prouesses de la digitalisation vidéo nous ont déjà fait voyager dans les entrailles des mécanismes, passer sous des ponts, circuler entre des rouages, plonger entre les lames enroulées d’un spiral et voir de près l’action d’une bascule ou celle d’un marteau frappant sur son timbre. Mais ce voyage reste virtuel. Une forme de dénégation pour un art qui se revendique avec fierté concret, tangible, physique et matériel.

Les voyages virtuels sont certes bluffants - et parfois un peu instructifs - mais ils se déroulent toujours à vitesse grand V, accompagnés la plupart du temps par une musique tonitruante, entre Wagner, science-fiction et techno binaire. Et du mouvement, ils nous montrent les détails les plus spectaculaires, les angles les plus cinématographiques, sans forcément nous faire comprendre le tout.

Mais mettez-vous un instant dans la peau d’un horloger penché sur son établi, avec le temps pour étalon. Chaque composant du mouvement qu’il a sous les yeux n’a d’importance que parce qu’il interagit avec un autre. Un mouvement fourmille de détails, mais c’est avant tout, ou in fine, un tout qui s’anime rythmiquement. Et qui ne peut se comprendre et s’apprécier pleinement qu’en se «penchant» longuement par-dessus.

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Venez prendre un verre...

Loin du monde virtuel, que diriez-vous donc de venir prendre un verre en chair et en os autour d’une table de verre abritant un mécanisme horloger?

En changeant d’échelle, le mouvement s’offre à la fois dans son intégralité et dans ses détails, sans avoir besoin de l’appendice d’une loupe vissée à l’œil. Chaque composant peut-être vu à la fois pour lui-même et dans sa relation à l’ensemble. Chaque détail fonctionnel, formel, esthétique peut être considéré.

Ce changement d’échelle, on le doit à Iulian et Aleksandra Sabau. Soit un ingénieur mécanicien spécialisé en horlogerie et une architecte passionnée de design industriel. Sous le nom de Studio Architecture Horlogère (archh.ch) le couple a imaginé marier haute horlogerie et ébénisterie en créant la MVTable. «Née avant tout comme un objet d’art pour passionnés de montres», comme tient à le préciser Aleksandra Sabau, la MVTable est constituée autour d’un mouvement de montre agrandi et fonctionnel, «sans avoir la précision d’une horloge, cependant...», nuance-t-elle.

Mais n’importe quel mouvement peut être reproduit, à n’importe quelle échelle, en utilisant toute une panoplie de matériaux, des plus précieux aux plus avant-gardistes, et en offrant tous les types de terminaisons et de décoration.

Objet d’art, la MVTable peut ainsi se prêter à une exploration in vivo des complexités d’un mouvement, de façon naturellement interactive et conviviale.

«La première MVTable que nous avons dessinée était une table haute. Un objet spécifiquement destiné aux détaillants et aux boutiques. La paroi vitrée permet de voir le mouvement de tous côtés, côté cadran et côté ponts, grâce à un miroir disposé en fond.»

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Objet d’art, la MVTable peut ainsi se prêter à une exploration in vivo des complexités d’un mouvement, de façon naturellement interactive et conviviale.

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Mais l’horloger et l’architecte n’en restent pas à de seules tables. Ils explorent leurs changements d’échelle horlogères de multiples façons. Comme par exemple avec cette platine d’un mouvement enserré dans un mur en béton «squeletté».

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Ou ces jeux de couleurs et de formes qui leur permettent d’explorer toutes formes d’expression artistique du temps et de ses mécanismes.

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