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E-révolution horlogère en cours aux États-Unis

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février 2018


E-révolution horlogère en cours aux États-Unis

Un expert du commerce de détail horloger américain qui imagine un système où marques et représentants pourraient enfin coopérer sur la vente en ligne? Cela donne Troverie, une plateforme qui remet au centre du jeu le détaillant local et régional. De grandes marques ont rejoint l’aventure, qui pourrait être précurseur de ce qui se fera demain à l’échelle de la planète.

E

n terme de e-commerce horloger, personne n’a encore trouvé la formule magique. Normal, puisque nous en sommes encore à la prime enfance du web, qui voit la numérisation progressive de tous nos actes quotidiens. Le Big Bang digital a éclaté, mais les systèmes solaires et les planètes ne se sont pas encore formés. Résultat: le e-commerce horloger ressemble à une grande mêlée, entre les plateformes des marques, les sites de vente de seconde main, les tiers autorisés et la masse de réseaux aux origines obscures. Une vraie nébuleuse.

Fred Levin, sans doute le plus grand expert vivant des chaînes de distribution horlogères aux Etats-Unis*, se propose de mettre un peu d’ordre dans cette anarchie digitale, via la nouvelle plateforme de vente en ligne Troverie, rassemblant aux Etats-Unis des marques et leurs détaillants.

Un constat de base: les horlogers et leurs représentants n’ont pas encore réussi à s’entendre sur la manière de procéder en ligne.

Le rêve et la réalité

Avec un constat de base: les horlogers et leurs représentants n’ont pas encore réussi à s’entendre sur la manière de procéder en ligne. Les premiers ont lancé massivement leurs propres plateformes de e-commerce, tandis que les seconds, qui réclament légitimement une forme d’exclusivité sur le territoire qu’ils couvrent, se voient souvent empêchés de basculer sur la vente en ligne.

Un autre constat a nourri la réflexion autour de Troverie: celle de l’inadéquation actuelle entre les attentes des clients finaux, qui plébisciteraient selon l’étude réalisée par Fred Levin (voir le graphique suivant) un système «officiel» de vente en ligne, et la réalité des ventes, qui reste dominée par le «brick-and-mortar» et où les circuits officiels en ligne ne représentent guère que... 1% du total, contre 18% pour les plateformes non autorisées.

E-révolution horlogère en cours aux États-Unis

C’est donc pour réconcilier les marques avec les détaillants ainsi qu’avec les nouvelles attentes des clients que Troverie vient d’être lancé. La plateforme de vente vise à donner une chance en ligne en particulier aux détaillants régionaux ou locaux qui constituent l’élément de base de la chaîne de distribution horlogère aux Etats-Unis. Souvent en mains familiales, beaucoup ont dû mettre la clé sous la porte ces dernières années, face à la reprise en main par les marques de leurs canaux de diffusion et à la concurrence du web.

Beaucoup de détaillants locaux américains ont dû mettre la clé sous la porte ces dernières années, face à la reprise en main par les marques de leurs canaux de diffusion et à la concurrence du web.

E-révolution horlogère en cours aux États-Unis

Le modèle omnichannel

Ceux qui ont résisté à cette vague de réorganisation paraissent néanmoins solides. C’est donc à cette «élite» locale et régionale du maillage horloger américain que s’adresse Troverie (voir la liste des détaillants partenaires ici). Et non aux grandes chaînes nationales comme Tourneau ou Tiffany & Co, qui possèdent généralement déjà leurs plateformes de e-commerce.

Les détaillants américains réunis sous la bannière du site de e-commerce Troverie
Les détaillants américains réunis sous la bannière du site de e-commerce Troverie

Troverie fonctionne comme une mise en réseau «omnichannel» des ressources des détaillants, le tout autorisé par les marques partenaires (voir la liste des horlogers ayant rejoint la plateforme ici). Le client va d’abord chercher le modèle de son choix parmi les montres proposées. Ensuite, il décide s’il souhaite la recevoir en ligne ou aller la chercher chez un détaillant membre du réseau. Alors seulement, il entre son adresse et le partenaire en question s’affiche.

Les marques partenaires de la nouvelle plateforme de e-commerce américaine Troverie
Les marques partenaires de la nouvelle plateforme de e-commerce américaine Troverie

Troverie fonctionne comme une mise en réseau «omnichannel» des ressources des détaillants, le tout autorisé par les marques partenaires

Bien entendu, le réseau est encore construction. Par exemple, en faisant des tests sur la plateforme, impossible pour l’instant de trouver de modèle Nomos Club Campus à Miami – mais à New York, oui. Avec le temps, l’offre s’étoffera. Pour l’heure, Troverie travaille avec 16 marques de toutes gammes de prix – de Hamilton à Breguet – et des détaillants présents dans plus de 50 villes américaines.

Fred Levin précise: «Notre plateforme offrira une solution à un certain nombre de problèmes actuels: le marché gris, le déficit de connexion en ligne avec le nouveau client final et la situation de nombreux détaillants indépendants qui, pour la plupart, n’ont pas l’autorisation des marques qu’ils représentent pour développer du e-commerce.»

Troverie travaille avec 16 marques de toutes gammes de prix – de Hamilton à Breguet – et des détaillants présents dans plus de 50 villes américaines.

Exemple de recherche en ligne sur le site Troverie
Exemple de recherche en ligne sur le site Troverie

Résoudre plusieurs équations complexes

L’entrepreneur poursuit: «En ce qui concerne les marques, elles cherchent à reproduire en ligne une forme d’expérience du luxe que l’on trouve dans leurs boutiques, mais ne savent pas trop comment procéder. En ce qui concerne les détaillants, ils sont dans une situation où ils ont des exclusivités sur des territoires donnés, tandis que le e-commerce est global. Quant aux clients, ils souhaitent avoir la possibilité d’acheter selon leurs propres termes, en boutique ou en ligne.»

Les commandes ne sont pas allouées uniquement selon des critères géographiques. En effet, le système d’attribution fonctionne sur la base d’un algorithme prenant également en compte des facteurs comme le niveau de service ou la disponibilité des stocks. «Nous évaluons ce que font les détaillants, notamment via des enquêtes réalisées auprès des consommateurs. Tout repose sur la qualité des données recueillies – les nouvelles technologies nous permettent de les analyser et de les utiliser très efficacement, mais nous avons aussi besoin de la confiance de nos partenaires pour accéder à ces données.»

Les commandes ne sont pas allouées uniquement selon des critères géographiques, mais aussi selon des facteurs comme le niveau de service ou la disponibilité des stocks.

Fred Levin, fondateur de Troverie
Fred Levin, fondateur de Troverie

Vers davantage de transparence?

Le mot est lâché: remettre de la confiance là où, jusqu’à présent, la suspicion a régné en maître sur les intentions de chacun. Ce qui suppose un nouveau niveau de transparence entre les marques et les détaillants. En ce sens le projet Troverie est disruptif: il ne repose pas juste sur un ou deux piliers, mais sur la bonne volonté de tous ses acteurs, impliquant un véritable changement de culture. La technologie permet notamment de suivre très précisément la localisation des inventaires – sans doute le point d’achoppement le plus important, jusqu’à présent, entre les horlogers et leurs représentants. Et qui finissent biens souvent par alimenter les fameux «marchés parallèles». Plus de transparence, donc, pour une meilleure gestion des stocks.

Comment se passe concrètement la mise en place d’un partenariat avec un détaillant? «Nous donnons la possibilité aux détaillants de rejoindre notre système via leur e-commerce qu’ils peuvent prolonger, via notre plateforme ou via les deux canaux. Une fois implémenté, le système peut s’intégrer à n’importe quel site de détaillant ou de marque. Ce qui est vraiment important, c’est que quand un client fait une recherche sur Google, il tombe tout de suite sur des plateformes de vente autorisées par les marques, à la place d’acteurs opérant sur le marché gris.»

«Quand un client fait une recherche sur Google, il devrait tomber tout de suite sur des plateformes de vente autorisées par les marques, à la place d’acteurs opérant sur le marché gris...»

E-révolution horlogère en cours aux États-Unis

Une masse critique pour s’imposer

Le site officiel de Troverie n’est donc que la partie émergée du système... Mais comment contenter visuellement les marques également, plutôt capricieuses sur ce point et sur la préservation de leur image et de leur «univers» en ligne? «C’est un point important, en effet. Nous avons tâché de concevoir une plateforme qui réponde aux exigences des marques en termes de design, pour offrir une expérience de luxe en ligne. Bien entendu, les marques ont leur propre environnement graphique. Nous travaillons étroitement avec elles pour trouver le meilleur équilibre possible.» Le modèle d’affaires de Troverie repose quant à lui sur la base d’un commissionnement fixe et variable.

Le grand mérite de cette initiative est de réussir à inclure une masse critique de marques de prestige et de détaillants de qualité pour partir sur de très bonne base. Elle offre un terrain d’expérimentation, sur le marché sans doute le plus mûr en terme de e-commerce, de ce qui pourrait être appliqué demain ailleurs dans le monde.

Reste maintenant pour cette start-up à s’imposer, notamment en convainquant davantage de détaillants de rejoindre le réseau afin de proposer la couverture la plus complète du territoire. C’est la grande force des géants comme Amazon, qui ont jusqu’ici profité d’une forme de couverture universelle digitale pour avaler toute concurrence... mais qui, en rachetant des chaînes de supermarché, plébiscitent elles aussi à présent le modèle omnichannel, cherchant le meilleur équilibre entre présence dans les mondes physique et virtuel. Et donc l’omniprésence!

*Avant de lancer Troverie, Fred Levin a fondé LGI Network, une compagnie spécialisée dans les études de marché sur les industries bijoutière et horlogère aux Etats-Unis. En 2010, il a vendu cette société au groupe NPD et a continué à en assurer la direction, jusqu’à son départ cette année pour démarrer l’aventure Troverie.