time-keeper


MONTBLANC, L’HORLOGERIE À L’ÈRE DU DESIGN

English Español
janvier 2018


MONTBLANC, L'HORLOGERIE À L'ÈRE DU DESIGN

Pourquoi les chronographes vintage et utilitaires ont-ils une cote aussi grande aux enchères? Est-ce que le minimalisme est une tendance ou un mouvement de fond? Après des années de surenchère mécanique, l’industrie semble vouloir en faire enfin un peu moins...

R

encontre avec Davide Cerrato, responsable de la division horlogère de Montblanc, qui porte son regard aiguisé sur les changements en cours et se réjouit d’une forme de simplicité retrouvée et de purisme esthétique.

Comme on parle d’un «nez» en parfumerie, Davide Cerrato est un «œil» en horlogerie. Italien d’origine, toujours bien mis et affable, il met aujourd’hui son regard au service de la division horlogère de Montblanc, après avoir grandement contribué à la remise au goût du jour de Tudor, qui connaît un nouvel âge d’or grâce à la formule gagnante du chrono, du vintage, du prix accessible et de la lisibilité, décuplant au passage la valeur de cette marque aux enchères.

MONTBLANC, L'HORLOGERIE À L'ÈRE DU DESIGN
L’OBJET:
«Je reviens de Londres, le seul endroit où je peux confortablement sortir avec un chapeau melon à l’anglaise. J’aime beaucoup les chapeaux. Récemment, j’ai d’ailleurs craqué pour un modèle Ranger de parc américain. En Suisse, on voit moins de gens porter des chapeaux, c’est dommage! Un jour, quelqu’un m’a demandé ce que j’avais envie d’apporter à l’industrie horlogère? Du style!»

Alors, pourquoi Montblanc? Car derrière Montblanc, il faut lire... Minerva. C’est l’intégration de cette manufacture historique, fameuse pour ses «stop watches», qui a attiré l’oeil de Davide Cerrato. Minerva, devenue aujourd’hui la Manufacture Montblanc de Villeret, fêtera ses 160 ans l’an prochain. L’occasion de faire un point avec lui sur les grandes tendances esthétiques du marché. L’ère de l’extravagance technique semblant se refermer progressivement, la discussion s’oriente rapidement vers le design et le minimalisme.

Si l’on compare la production horlogère actuelle à celle d’il y a encore cinq ans, on a l’impression que les codes esthétiques se sont assagis. Aujourd’hui, beaucoup de «nouveautés» ressemblent à s’y méprendre à des modèles d’il y a cinquante ans – tandis que les «originaux » d’il y a cinquante ans, eux, s’arrachent aux enchères, notamment les chronos et les montres sport...

Prenons un peu de recul. Le quartz a été un choc terrifiant pour l’industrie horlogère suisse à partir des années 1970 et face à ce choc, la réponse de cette dernière a été de concevoir de la mécanique encore plus technologique. Ce faisant, le design a été quelque peu laissé de côté.

La crise de 2008-2009 a vu le début de la clôture de ce cycle technologique. Nous sommes revenus à l’ère du design, avec l’envie désormais de reprendre le meilleur de l’artisanat mécanique et de la forme. En horlogerie, comme dans toute industrie, le design, c’est le premier regard, le plus important. On voit bien aujourd’hui l’importance du design, dans notre époque dévouée au minimalisme. La question qu’il faut se poser n’est plus ce qu’il y a à ajouter mais à enlever sur une montre. N’oublions pas que la raison d’être de la montre a d’abord consisté à servir d’instrument de mesure. Nous nous réapproprions les dimensions primaires de la montre, la lisibilité de la montre sport si appréciée aujourd’hui, son côté fonctionnel pur. Un nouveau cycle s’ouvre, qui puise dans le vintage.

Montblanc ExoTourbillon Chronographe
Montblanc ExoTourbillon Chronographe

Ce cycle ne semble pas forcément favorable aux horlogers contemporains. D’un côté, de nombreux nouveaux acteurs dans l’entrée de gamme puisent dans ces codes vintage pour se donner une image de luxe à bon prix auprès des jeunes... Et de l’autre, beaucoup de collectionneurs semblent préférer l’original et se tournent vers les ventes aux enchères!

Je ne crois pas au brouillage des codes du luxe aujourd’hui, car la différence entre un objet de luxe et de mode réside dans deux éléments. La profondeur d’analyse, d’une part, c’est-à-dire que l’on peut sans cesse explorer son passé et apprendre de chaque étape. Et la qualité technique d’autre part: nous avons fait des recherches sur les matériaux qui ont conduit au développement d’une montre comme la TimeWalker Pythagore UltraLight Concept, qui pèse moins 20 grammes. Et elle ne pourrait pas être plus épurée. C’est là que le design rencontre l’innovation.

Par ailleurs, je crois que chaque époque passe par ses cycles de régénération, qui créent de nouveaux collectionneurs. Pour moi, le marché du neuf et celui de l’ancien ont toujours coexisté. Certains retailers ont d’ailleurs toujours eu des montres d’occasion en magasin. Le vintage fait partie du système.

Votre patrimoine, parlons-en. L’année prochaine marque les 160 ans de Minerva, qui est aujourd’hui intégrée à Montblanc. Pourquoi ne pas l’avoir faite revivre comme marque, elle qui est justement très appréciée des connaisseurs?

Il faut souligner que Minerva a toujours été plus axée sur le produit que sur sa marque propre. Son rôle était d’abord celui de fournisseur. Les montres Minerva sont du reste assez rares. Nous signons aujourd’hui les mouvements Minerva et prolongeons la vie de cette manufacture.

Cela me semble cohérent. Nous disposons avec Minerva d’un vrai laboratoire créatif, avec le patrimoine technique et design de cette marque. Cela concerne non seulement les mouvements mais aussi les cadrans ou les boîtes. Ces archives sont un puits de valeur. Nous avons déjà commencé à valoriser le patrimoine de Minerva à travers nos collections 1858 et TimeWalker. Le RallyTimer ravive par exemple l’esprit des «stop watches» de Minerva. Une stop watch, c’était l’ordinateur de l’époque! Il s’agissait d’instruments au sens propre, avec une contrainte très forte sur la lisibilité de la montre.

En parlant de lisibilité justement, on est parfois un peu perdu devant l’extension continue de Montblanc – peut-être un héritage de Jérôme Lambert et son activisme créatif – qui va aujourd’hui de la montre connectée aux hautes complications. Quel est le rôle de Minerva au sein de cette gamme de produits très large?

L’intégration de la manufacture Minerva nous a justement permis de réaliser des pièces haut de gamme, comme l’ExoTourbillon, et nous pouvons maintenant appliquer ces innovations plus largement à la production de la marque. L’ExoTourbillon est un bon exemple, puisque sa «traduction industrielle» a été le modèle slim.

Montblanc 4810 ExoTourbillon Slim
Montblanc 4810 ExoTourbillon Slim

Notre corps de métier est clair: c’est la montre mécanique. Nous faisons de l’horlogerie mécanique avec une forte valeur intrinsèque, un bon prix d’appel et des très grandes complications en plus. La montre connectée Summit est un produit d’appel auprès des Millenials et nous appliquons d’ailleurs nos designs de cadrans vintage sur la montre connectée.

Mais vous pointez en effet un élément important: nous allons progressivement passer de dix à six collections pour rendre notre offre plus visible, avec une démarcation fondamentale entre les périmètres du sport et de l’héritage. Pour chaque thème, nous avons un niveau de belle horlogerie assez large et un un positionnement prix juste. Nous n’avons donc pas à changer de stratégie comme le font certaines marques, car nous nous sommes toujours battus sur le concept de la valeur intrinsèque. Notre cœur de métier reste un segment entre 2’000 et 5’000 francs mais nous proposons aussi des lignes entre 20’000 et 100’000 francs.

Photographe: Fabien Scotti|Arcade Europa Star