Sous-traitance horlogère


LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS

SUIVIE DE « QUI FAIT QUOI? QUI PENSE QUOI? »



LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS

Toute crise agit comme révélateur et précipite ou cristallise, dans le sens chimique du terme, une situation jusqu’alors en germe. C’est particulièrement vrai dans le secteur-clé des mouvements mécaniques. La crise horlogère actuelle – une crise systémique, pensons-nous, et non pas seulement conjoncturelle – révèle au plein jour une grave problématique: l’actuelle surcapacité de production dans le secteur des mouvements. Comment en est-on arrivé là et qui sont les principaux acteurs de cette scène? Quelles évolutions attendre? Europa Star a enquêté.

« Qui fait quoi? Qui pense quoi? »

SELLITA: PRÉSERVER LES ACQUIS

Entretien avec Miguel Garcia, directeur et propriétaire de Sellita Holding SA

«Préserver les acquis» est, aux yeux de Miguel Garcia, la tâche prioritaire en cette période de fort ralentissement. Et les «acquis» de Sellita sont très importants car la firme neuchâteloise, qui emploie 500 personnes, est le concurrent les plus important d’ETA avec environ 1.4 millions de mouvements mécaniques produits par année.

Dès l’annonce par le Swatch Group en 2002 - 2003 de sa décision de diminuer progressivement ses livraisons de mouvements terminés et, surtout, de kits de montage, Sellita est montée au créneau et a saisi la COMCO. Car à l’époque, l’essentiel de son activité reposait sur le montage et la finition de kits fournis par ETA. Cette décision pouvait donc signifier sa disparition à terme. Sellita – en ceci porte-parole de nombre de marques importantes qui n’osaient pas affronter elles-mêmes directement le puissant Swatch Group – a donc agi en deux directions: auprès de la COMCO afin d’encadrer strictement ce retrait progressif d’ETA qui risquait de l’étrangler, et en lançant un programme de développement de ses propres mouvements. Pour y parvenir, il fallait absolument gagner du temps. Ce qui fut fait, avec 2019 pour ligne d’horizon.

Cet objectif semble en passe d’être atteint, mais voilà que frappe la «crise» et que le contexte est à la surabondance de l’offre.

Miguel Garcia a bien voulu répondre à nos questions mais étant donné l’ampleur des enjeux, il reste très prudent et très laconique dans ses propos.

Miguel Garcia:

«Oui, nous vivons une période compliquée avec des baisses de commandes de la part de nos clients depuis début 2015.

Nous avons mis en place les mesures nécessaires depuis plus d’une année et adapté notre outil industriel afin d’y faire face.

L’offre de mouvements dépasse aujourd’hui la demande. Nous profitons de ces instants pour renforcer nos structures et notre position afin d’être prêts à répondre à la demande lors de la reprise, cat tôt ou tard elle viendra.

Aujourd’hui, nous offrons une large palette de mouvements mécaniques de qualité à des prix très concurrentiels et nous avons une capacité de production dynamique.»


LA JOUX-PERRET: UN JOUR LES STOCKS AURONT DISPARU

Entretien avec Frédéric  Wenger, directeur de La Joux-Perret

Installée à La Chaux-de-Fonds, La Joux-Perret (racheté en 2012 par le groupe japonais Citizen, par ailleurs propriétaire du fabricant de mouvements Miyota et qui vient de racheter Frédérique Constant – lire à ce propos l’article de Joe Thompson dans ce numéro) est un des acteurs-phares du mouvement mécanique suisse. La firme ne dévoile pas ses chiffres de production, qu’on peut cependant estimer à un peu moins de 50’000 mouvements et modules. Mais force est de constater que La Joux-Perret propose une des palettes les plus larges et étendues qui soient sur le marché. Caractérisée par la souplesse de son appareil de production, La Joux-Perret offre donc des mouvements simples transformés sur base ETA 2892, par exemple, ou sur base Sellita, mais propose aussi des transformations beaucoup plus complexes et de véritables alternatives. Son offre de chronographes, simples ou plus complexes, à rattrapante ou couplés avec d’autres complications est une de ses spécialités majeures. Mais la firme propose aussi, sous formes de modules ou de mouvements intégrés, des réserves de marche, des grandes dates, des tourbillons maison, voire des spécialités très pointues comme, par exemple, de très rares foudroyantes.

Ses prix vont donc du module de base à 100.- CHF au haut de gamme, voire au très haut de gamme (un tourbillon sur saphir à 30’000.- CHF) ou à la pièce unique. Par ailleurs, La Joux-Perret est aussi propriétaire de la marque haut de gamme Arnold & Son et vient de relancer Angélus.

La maison produit en interne à peu près tout ce qui touche au mouvement, à l’exception des assortiments et des spiraux (sauf dans le très haut de gamme où ils réalisent l’intégralité des composants). La Joux-Perret produit par ailleurs nombre de composants pour des tiers. Aux côtés notamment de Sellita, Le Joux-Perret a aussi été très active dans la cadre des négociations menées par la COMCO. Frédéric Wenger a bien voulu répondre à nos questions mais reste lui aussi laconique.

Frédéric  Wenger:

«Oui, aujourd’hui, l’offre dépasse la demande et c’est le cas pour tous les types de mouvements mais surtout dans le mouvement de base. Il n’y a qu’à regarder les chiffres des exportations du mois de juillet 2016 pour se rendre compte de la gravité de la situation (ndlr: à nouveau moins 14,2% par rapport à juillet 2015. Hong Kong, qui était le premier marché de l’horlogerie suisse, est à moins 33%, soit une baisse de 53% sur 2 ans).

La situation est donc très compliquée et nombre de nos clients, qui sont des indépendants, petits ou moyens, souffrent. Tout le monde a du stock. Je vous l’avoue très franchement, nous avons dû imposer du chômage technique et procéder à un certain nombre, mesuré, de licenciements. Ceci dit, la qualité, la variété et l’étendue de notre offre, la grande souplesse de notre appareil de production et le haut niveau de compétence de nos employés vont nous permettre de passer ce cap. Et le fait d’être adossé à Citizen, un groupe horloger majeur, ambitieux et solide, nous y aidera aussi.»