Un tour du monde horloger


Les promesses de l’Iran



Les promesses de l'Iran

Comptant une population de 80 millions d’habitants et un PIB de 400 milliards de dollars, un géant économique rejoint le système commercial international, avec la levée progressive des sanctions. Quelles opportunités et quels écueils pour les horlogers? Analyse.

Ecueils et opportunités: les conseils d’un détaillant iranien

Les promesses de l'Iran
Massoud Zomorrodian
Massoud Zomorrodian, aujourd’hui âgé de 76 ans, est l’un des plus anciens importateurs de montres en Iran. Son père et son grand-père étaient déjà marchands horlogers, et la quatrième génération a maintenant repris les rênes de l’affaire, en la personne de ses fils Ali et Hadi. En Iran, les boutiques horlogères sont le plus souvent tenues par des familles et ont un sens très fort de la tradition et des valeurs horlogères! On est encore loin des chaînes uniformes de magasins cotées en Bourse...

Aujourd’hui représentant de marques suisses comme Louis Erard ou Victorinox, il est positionné sur le créneau du moyen de gamme avec des magasins à Téhéran et en province. Massoud Zomorrodian en a vu au cours de sa longue carrière: le temps du Shah, le coup d’état de 1953, la révolution islamique, la longue guerre contre l’Irak dans les années 1980, les sanctions internationales, jusqu’à l’accord sur le nucléaire iranien début 2016. Et l’on ose se plaindre du contexte géopolitique en Suisse! Il est aussi un habitué de la Confédération, puisqu’il visitait Baselworld pour la 41ème fois cette année...

«L’Iran est la deuxième plus grande économie du Moyen-Orient et fait partie des 25 plus grandes puissances économiques mondiales, rappelle le détaillant. En ce moment, on assiste à des changements importants sur ce marché d’environ 80 millions de personnes. Les filiales de marques américaines établies hors des Etats-Unis sont désormais autorisées à vendre des marques horlogères Swiss made ou d’origine chinoise en Iran. Les compagnies américaines restent en revanche interdites d’accès sur le marché iranien. Le cœur de l’accord consiste donc à permettre à leurs filiales de vendre en Iran des produits qui n’ont pas été fabriqués aux Etats-Unis. Pour les sociétés suisses, en revanche, il n’y a aucun risque.»

Les investissements étrangers vont croître en Iran, car avec le développement du marché et l’ouverture économique, les Iraniens auront plus d’argent à dépenser sur place pour acheter des montres, estime Massoud Zommorrodian. Voici ses conseils sur les limites, les opportunités et les points essentiels dont il faut avoir conscience en se lançant sur le marché iranien. «La plupart des marques horlogères sont en réalité déjà présentes en Iran, mais elles pourraient y avoir une bien meilleure position. Mes recommandations ne sont pas issues d’une thèse universitaire théorique mais de ma pratique professionnelle!»

LIMITES

  • Contrebande: L’Iran a des frontières très étendues et beaucoup de produits circulent illégalement, dont des montres.
  • Droits de douanes et taxes: Sur le papier, ils ne sont pas très élevés mais beaucoup d’éléments et contraintes sont ajoutés: corruption, fausses régulations... On vous dira par exemple que si vous expédiez avec une compagnie aérienne spécifique, cela vous coûtera 10% de plus. Les douanes peuvent aussi saisir des montres pour de soi-disant tests en «laboratoire».
  • Montres fausses et marchés parallèles: On voit partout en Iran de fausses montres produites surtout en Chine. Le marché gris est aussi important, notamment sur les montres en provenance de Dubaï. Le phénomène est tel que nous devons fournir du service après-ventes sur des montres issues de marchés parallèles.
  • Variations du taux de change: En la matière, l’Iran est championne du monde, ce qui a ruiné de nombreux habitants.
  • Problèmes économiques: Ils demeurent, surtout en raison des sanctions internationales mais aussi du fait de la mauvaise gestion du gouvernement. L’Iran est un pays riche mais un marché instable. Les taxes peuvent afficher une différence de 5% d’un jour à l’autre.
  • Pouvoir d’achat: Il n’est pas similaire à celui des pays environnants. Les pays arabes sont riches mais ont une population bien moindre. En Iran, l’écart de richesse est très important entre les personnes aisées et défavorisées. Il est même en train de se creuser encore davantage. En même temps, l’Iran a une économie au potentiel plus important que beaucoup de ses voisins.
  • Transferts: Les paiements peuvent être compliqués, notamment en dollars. Il faut transiter par la Turquie et signer des documents officiels anti-blanchiment. Les paiements en francs suisses sont moins concernés par des risques de blocage.

OPPORTUNITÉS

  • Affaires: Les Iraniens sont dignes de confiance et honnêtes. Cela fait 50 ans que je travaille dans le business horloger et j’ai pu tenir sur la durée en raison de cette loyauté dans les affaires. Et malgré la lourdeur des sanctions, presque toutes les marques horlogères sont restées en Iran. C’est un carrefour commercial incontournable, depuis la Route de la Soie!
  • Swiss made: Le label suisse est très valorisé en Iran. Un peu comme les tapis iraniens en Occident!
  • Jeunes générations: La population a doublé ces 25 dernières années. La moitié des Iraniens sont âgés de moins de 25 ans. Les jeunes sont par ailleurs très sensibles à la mode et attirés par les marques et le prêt-à-porter. Sur internet, le gouvernement filtre les contenus à teneur politique mais pas ceux sur les montres, donc l’information peut circuler facilement.
  • Consommation en hausse: Il existe une forte culture et tradition d’offrir des cadeaux lors de toute célébration, ce qui favorise évidemment l’achat de montres.

RECOMMANDATIONS

  • Taux de change: Il faut être très vigilant sur ce point, car le taux de change du gouvernement n’est pas similaire à celui du marché!
  • Contrôles: Les horlogers doivent mieux contrôler les flux de montres fausses et les marchés parallèles. Ce n’est pas la mission des distributeurs.
  • Soutenir les acteurs locaux: Il faut donner les meilleures conditions aux partenaires en Iran: c’est une situation exceptionnelle, car les opportunités sont nombreuses, mais nous devons bénéficier du soutien total des marques pour développer le marché domestique.
  • Oser se lancer: Le risque n’est pas de venir, mais de ne pas venir en Iran! A la place des vraies montres, ce sont les fausses montres qui prendront la place et s’ancreront dans l’esprit des habitants. Par exemple, Gucci n’est pas venu sur le marché iranien et maintenant les Iraniens sont habitués à acheter des modèles à 50-100 dollars. Ce sera difficile de changer leur perception.
  • Goûts: En termes de goûts et de culture, les Iraniens sont plus proches des Européens que des Arabes! Les gens restent discrets, ce n’est pas le show-off que l’on voit sur d’autres marchés de la région.
  • Distribution: Il n’existe pas de grandes chaînes de distribution, mais un grand nombre de détaillants indépendants, qui possèdent parfois plusieurs magasins.
  • Pouvoir d’achat: Même si la population est similaire à celle de l’Allemagne, la comparaison a ses limites, notamment en termes de structure de la population (beaucoup plus jeune) et de pouvoir d’achat (beaucoup plus faible)...
  • Publicité: Elle est très chère, qu’il s’agisse des panneaux d’affichages, des magazines ou de la télévision, en raison de mesures protectionnistes.
  • Respect: La qualité du marché horloger iranien va augmenter. Il ne faut plus considérer l’Iran comme un marché secondaire où écouler les stocks d’invendus.