Le marché horloger chinois


Le marché horloger chinois en 3 mots-clé

ANALYSE

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octobre 2019


Le marché horloger chinois en 3 mots-clé

La corne d’abondance de la consommation contemporaine: c’est ainsi que l’on pourrait décrire le marché horloger chinois, qui combine aujourd’hui hyperconsommation et offre pléthorique. Nous analysons les principales tendances qui déterminent l’acte d’achat horloger en Chine.

1. LABORATOIRE NUMÉRIQUE

La corne d’abondance de la consommation contemporaine: c’est ainsi que l’on pourrait décrire le marché chinois, qui combine aujourd’hui hyperconsommation et offre pléthorique. Sur le site de e-commerce JD.com, par exemple, on trouvera dix fois plus de références que sur Amazon. La plateforme emploie 160’000 personnes et compte 300 millions de clients enregistrés, ce qui en fait le deuxième site de vente le plus fréquenté dans le pays derrière Tmall (Alibaba).

Aujourd’hui, la monnaie liquide est en voie de disparition en Chine, une société passée de l’isolement communiste au monde ultra-connecté de la 5G.

Au-delà de cette abondance de l’offre, c’est surtout la manière d’acheter qui distingue aujourd’hui le marché chinois. Entre logistique imparable, messagerie instantanée et paiement virtuel, les plateformes chinoises ont déjà mis en place cette fameuse expérience d’achat «sans friction» qui est recherchée par les marques de luxe. Tout peut s’acheter en ligne, à toute heure et être livré sous 24h à 48h, y compris des montres de prestige.

Aujourd’hui, la monnaie liquide est en voie de disparition en Chine, une société passée de l’isolement communiste au monde ultra-connecté de la 5G. La centralisation du pouvoir et la constitution de champions nationaux assure l’efficacité du déploiement des nouvelles technologies dans le quotidien des Chinois.

Un article à propos des prémices de la montée en flèche du marché horloger chinois, diffusé dans Europa Star en 1998.
Un article à propos des prémices de la montée en flèche du marché horloger chinois, diffusé dans Europa Star en 1998.

La Chine est aujourd’hui un laboratoire numérique, social et commercial. Certaines boutiques sont déjà entièrement automatisées grâce à la reconnaissance faciale dans des quartiers d’habitation. Une perspective qui fait grincer des dents en Occident, où une série comme Black Mirror imagine un futur sombre sous la tutelle des nouvelles technologies. Un outil domine désormais toutes les interactions quotidiennes: WeChat (du groupe Tencent) et son milliard d’utilisateurs. Les horlogers s’y déploient à présent en force.

Cet écosystème de vente en ligne s’organise autour de la figure des «influenceurs», qui atteignent des niveaux de confiance à laquelle aucune marque ne peut prétendre elle-même. Considérés comme plus fiables que les enseignes de luxe, ils encouragent à l’achat impulsif et direct, titillant le désir de rattrapage des nouvelles élites et de la classe moyenne (aujourd’hui plus grande que l’ensemble de la population américaine).

Un outil domine désormais toutes les interactions quotidiennes: WeChat (du groupe Tencent) et son milliard d’utilisateurs. Les horlogers s’y déploient à présent en force.

Le marché horloger de la Chine continentale a connu une croissance continue depuis 2000, tandis que le hub traditionnel Hong Kong a traversé des hauts et des bas.
Le marché horloger de la Chine continentale a connu une croissance continue depuis 2000, tandis que le hub traditionnel Hong Kong a traversé des hauts et des bas.

2. LA CONSOMMATION POUR SOI

Le paradoxe de la construction de cette grande toile consumériste numérique fonctionnant en réseau, c’est l’individualisme grandissant de la société chinoise. En ce qui concerne le luxe, la campagne anti-corruption menée par le président chinois Xi Jinping a signifié l’affaiblissement des pratiques d’achat avec l’argent «parapublic» (gifting). Cela conduit à un changement majeur pour la consommation de montres.

«Dès lors que vous achetez une montre pour vous-même et plus pour du gifting, le raisonnement change, souligne le journaliste horloger Ryan Chen. On veut savoir quelles marques ont la meilleure valeur. A partir de là, l’information horlogère en Chine a considérablement augmenté.» Un bon exemple de cette diffusion des connaissances est le site Xbiao, la plus grande base de données horlogère en Chine, qui affiche notamment le prix des montres.

«Dès lors que vous achetez une montre pour vous-même et plus pour du gifting, le raisonnement change.»

Cela signifie aussi la construction d’un esprit plus critique et raisonné face aux propositions de l’horlogerie suisse, même si les avis pas forcément neutres des influenceurs restent une source importante dans les choix d’achats. Parallèlement, des blogueurs ou influenceurs spécialisés en horlogerie (encore assez rares) nourrissent de manière plus détaillée l’information spécifique sur le secteur. Et des clubs de collectionneurs comme le Shanghai Watch Gang (lire leur portrait en p. XX) participent à cette grande édification du marché.

Ce qui frappe encore le regard depuis l’étranger est la confusion des genres sur les plateformes de vente, avec du liquide vaisselle proposé à côté d’une montre onéreuse. Accompagnant la sophistication croissante du marché chinois, Tmall ou JD.com tentent de concevoir des offres segmentées sur le luxe. Elle se sont récemment alliées à des partenaires internationaux, qu’il s’agisse de Yoox-Net-A-Porter (Richemont) pour le premier ou de Farfetch pour le second. Le but est à présent d’intégrer les produits de luxe dans cet écosystème numérique chinois, englobant toutes les «courses» du quotidien, à destination d’une clientèle plus éduquée et plus individualiste dans ses habitudes d’achat.

Le but est à présent d’intégrer les produits de luxe dans cet écosystème numérique chinois, englobant toutes les «courses» du quotidien, à destination d’une clientèle plus éduquée et plus individualiste dans ses habitudes d’achat.

Les achats de luxe par les Chinois pourraient doubler d'ici à 2025, selon des estimations de Bain et Morgan Stanley.
Les achats de luxe par les Chinois pourraient doubler d’ici à 2025, selon des estimations de Bain et Morgan Stanley.

3. CASUAL STREETWEAR

Bien que les achats en ligne intègrent progressivement le monde du luxe, en Chine comme partout dans le monde, les points de vente physiques représentent toujours le gros des ventes horlogères. Une présence en Chine même, au-delà du fragile hub hongkongais, se révèle toujours plus importante.

A ce titre, s’il n’a pas pris la même orientation numérique que Richemont, le Swatch Group tire son épingle du jeu via une omniprésence pionnière sur le terrain chinois, grâce à la joint-venture établie avec le groupe Hengdeli Xinyu. Une présence sur Tmall ou JD.com ne bat pas encore cet atout de taille: un maillage complet du territoire. Il signifie aussi la constitution précoce, pour le groupe de Bienne, d’équipes de terrain qualifiées et expérimentées en Chine même. Il en va de même de Titoni.

Les Chinois vont au centre commercial pour s’amuser d’abord, pour acheter ensuite. La dimension de l’«entertainment» est très importante.

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Car la rue chinoise, c’est bien ce qui frappe aussi le regard! La jeunesse omniprésente y arbore un style casual streetwear très prononcé. Pas de souci de se rendre en short à une présentation horlogère d’une marque de luxe. Pablo Mauron, le responsable de Digital Luxury Group en Chine (qui lui-même porte rarement le complet veston à Shanghai), est un fin connaisseur du mode de vie des nouvelles générations du pays: «Comme ailleurs, celles-ci fonctionnent beaucoup en «tribus». Le style urbain sartorial y trouve aussi un bel écho mais de manière générale, la mode y est beaucoup plus casual qu’en Occident. Je crois que l’horlogerie suisse reste un peu trop formelle pour ce marché où le streetwear est très en vogue.»

Une décontraction à tenir en compte non seulement pour le lancement de produits mais aussi pour la mise en place de boutiques dans le pays. «Les Chinois vont au centre commercial pour s’amuser d’abord, pour acheter ensuite! La dimension de l’«entertainment» est très importante, poursuit Pablo Mauron. Des marques comme Starbucks ou Nike l’ont bien compris et proposent des expériences originales et ludiques sur place.» Vu la taille du marché, il n’y a certes pas une seule stratégie qui y est adaptée, mais pour le responsable, «mieux faut investir dans un nombre réduit de flagship stores stratégiques et promouvoir en parallèle le e-commerce que multiplier les points de vente assez standard».