Sous-traitance horlogère


Les mains dans le moteur

ÉDITORIAL

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octobre 2023


Les mains dans le moteur

Permettez-moi d’employer la première personne. Durant deux mois, je n’ai fait que visiter les manufactures dans lesquelles ont fabrique le «cœur» de la montre, son mouvement.

S

ans elles, il n’y aurait pas d’industrie horlogère suisse. Des artisans, des artistes peut-être, mais pas de ceux capables de livrer leur indispensable moteur par million, centaine de millier, dizaines de millier, jusqu’à une poignée. Pour qu’une industrie soit digne de ce nom, il faut qu’elle puisse assouvir tous les besoins, des plus exceptionnels aux plus «standards».

Un de mes interlocuteurs, sans pourtant s’en plaindre outre mesure, m’avouait tout de go que «le business model du fabricant de mouvement n’est pas bon. On prend tous les risques et soucis du développement, les problématiques de la production, de l’approvisionnement, du coût des matières. Sans même parler de la baisse des volumes de chaque commande… Et nos marges sont très faibles.»

En plus, la plupart du temps, le fabricant en est réduit au silence. Ses clients? Ils sont nombreux à lui demander la plus grande discrétion. Comme s’il y avait quelque chose de honteux à avouer ce que le marketing tait: derrière vos belles montres, il y a de l’huile et des machines… et ce n’est pas forcément nous qui mettons les mains dans le moteur.

Mais surtout, ce qu’ils taisent – parce qu’ils l’ignorent trop souvent ou n’y pensent plus – c’est que derrière, il y a des gens. Des gens qui font avancer la machine, qui la mettent en mouvement. Et ces gens, je le dis à nouveau à la première personne, ces gens sont formidables. Fabriquer une montre n’est pas seulement une partie de plaisir. Ça implique de l’huile et des machines (et beaucoup de savoir pour les faire fonctionner), mais aussi une infinie patience, une minutie extrême, un jonglage avec le microscopique, un regard affûté, de la pensée précise, des calculs, des connaissances en métallurgie, en chimie, en tribologie, des «secrets», des poudres et des élixirs. De la répétition aussi, de la résistance, du labeur.

Est-ce un hasard si quasiment toutes les manufactures de mouvements, grandes ou plus modestes, se retrouvent du côté de la grande région jurassienne? Ce qui est sûr, c’est qu’on ressent un esprit commun à ces entreprises et aux gens qui y œuvrent. Une communauté d’esprit et d’expérience. Un regard différent plus lucide peut-être, sur les tenants et aboutissants de «toute cette industrie». Avec un mouvement, on ne peut pas tricher: il marche ou il ne marche pas (bien). Avec une montre finie, l’affaire est différente. Avoir les mains dans le moteur aide à avoir les idées plus claires.