L’horlogerie indépendante


XRby: les potions magiques du cadranier Xavier Rousset

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novembre 2023


XRby: les potions magiques du cadranier Xavier Rousset

Le premier octobre 2020, jour du lancement de sa marque XRby, Xavier Rousset a franchi le Rubicon. Cet ingénieur en micromécanique, cadranier par lignée familiale, a choisi de placer le cadran au cœur même de son projet professionnel. Son approche singulière lui a valu d’être cité par le New York Times, dans un article consacré aux Métiers d’art. Une reconnaissance d’autant plus significative que la société réalisait alors ses tout premiers pas. Pour en savoir plus, nous avons rencontré l’entrepreneur indépendant, véritable «porte-parole» du monde caché des artisans d’art sur cadran.

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avier Rousset aime partager. Il a même rédigé plusieurs recettes de cuisine intitulées les «potions magiques du cadranier». Vous apprendrez, par exemple, que pour réussir une décoration «brossé soleil soyeux» sur un cadran de montre, il vous faudra «mélanger 100 grammes de pierre du levant avec 100 grammes de crème de tartre et 2 dl de Bois de panama liquide». Ces articles consacrés au grené argent, au brossé soleil, à l’adoucissage, au polissage ou encore au satiné soyeux, dévoilent les secrets industriels d’un savoir-faire horloger unique.

Anecdotique à première vue, la démarche révèle surtout une détermination à valoriser cet écosystème horloger pour lequel Xavier Rousset était doublement destiné. Il est, en effet, né à la clinique de la Mouillère à Besançon «au pied de l’immeuble SIDHOR où fut inventée la première montre électrique par Fred Lipmann». Il est aussi le petit-fils de Lucien Bouvier, co-fondateur en 1957 de la fabrique de cadrans Fraporlux.

Au fil du temps, Xavier Rousset tisse des liens d’amitié forts avec une multitude de sous-traitants de l’arc jurassien. À l’heure où les délais de livraison des fournitures horlogères se comptent en mois, voire en années, l’entrepreneur s’appuie sur ce réseau dense pour réaliser un projet fou: développer une nouvelle marque de montres aux cadrans d’art uniques.

Xavier Rousset prétend ainsi donner un terrain d’expression à ces petites mains magiques de la décoration horlogère, ces artisans indépendants talentueux: graveurs, émailleurs ou encore marqueteurs. En espérant qu’une clientèle d’esthètes et d’amoureux des arts l’accompagnent dans son aventure. Nous l’avons rencontré.

Xavier Rousset
Xavier Rousset

Europa Star: Comment définissez-vous votre profession?

Xavier Rousset: Je défends la place du cadran dans l’horlogerie. Sans lui, aucun mouvement n’a lieu d’être alors que le cadran – notamment solaire – existe sans un mouvement. Je me définis ainsi, comme un chef d’orchestre qui doit faire jouer la même partition à différents corps de métier, souvent méconnus: le soudage, l’étampage à froid, le polissage, l’adoucissage, la galvanoplastie, la tampographie ou encore le sertissage.

Vous affirmez concevoir une «montre-écrin pour mettre en valeur le cadran».

Oui. Ma démarche est un prétexte pour mettre en valeur les artisans d’art.

Pouvez-vous décrire votre parcours?

En 1957, mon grand-père et M. Perrenoud, graveur de matrice d’étampage, ont créé la société de cadrans Fraporlux. Mon père Michel Rousset a ensuite repris la fabrique. Après des études scientifiques, j’ai assumé la direction de production de la société familiale pendant quinze ans, à Besançon puis à Porrentruy après avoir acquis un de nos concurrents - Asotec. À l’époque, nous produisions 2’000 cadrans par semaine pour Breitling, notre client principal. Suite au rachat de notre société par Pierre-Alain Blum, j’ai collaboré avec Carlos Diaz chez Roger Dubuis puis chez Bulgari. À 42 ans, j’ai intégré l’École Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques, avant de décider de lancer ma propre marque: XRby.

Vous auriez également pu baptiser votre projet «XR & Friends»...

XRby n’est pas seulement une marque horlogère, c’est bien plus que cela. C’est une plateforme qui met en lumière les talents des artisans des métiers d’art. Je collabore étroitement avec ces artisans, en leur offrant une totale liberté artistique pour créer leurs chefs-d’œuvre. Je dois célébrer leur créativité et leur savoir-faire exceptionnel.

Je recherche la fibre artistique des artisans en métiers d’art. J’ai en effet envie que le grand public connaisse leurs noms. La marque porte donc les initiales XRby suivies du nom de l’artiste. Je les rencontre, nous passons du temps ensemble et devenons de vrais amis. Nous partageons le même champ lexical du cadran. La première artiste, Rose Saneuil, est une star! Certaines marques ne veulent travailler qu’avec elle, car elle a une force de propositions assez rare.

XRby: les potions magiques du cadranier Xavier Rousset

Comment recrutez-vous de nouveaux artisans?

Je recherche dans l’artisan un artiste frustré. Comme cadranier, je possède un beau carnet d’adresses. De plus, ma présence sur les salons m’ouvre de nouveaux contacts. Lors du dernier salon parisien dédié aux métiers d’art, organisé au Louvre, j’ai rencontré une enlumineuse. Je remarque souvent chez les artisans une grande curiosité pour le cadran, dont l’échelle leur échappe. Les possibilités sont infinies. En France, ce sont 281 métiers d’art recensés officiellement, répartis dans 16 domaines.

Vous vous décrivez comme un «petit poucet» de l’horlogerie. Comment gérez-vous les multiples contraintes industrielles, dans un contexte d’euphorie de la demande?

Je possède mon propre stock de mouvements Schwarz-Etienne et je ne produis mes montres qu’à la commande. Mon investissement principal passe par ma présence lors des salons. J’espère arriver à l’équilibre financier dans un horizon de cinq années. Pour le moment, je dois injecter de mon propre argent.

Pouvez-vous décrire votre clientèle?

Des «renégats» de l’horlogerie qui possèdent déjà de belles collections de montres de marque! Avec nous, ils se font plaisir en achetant ce que les autres n’ont pas. Ils habitent essentiellement en Europe, notamment à Paris, Monaco, Londres, ou encore à Genève. Par ailleurs, je pense me développer en Asie et en Amérique lorsque XRby sera reconnue par ses pairs, ou bien après avoir remporté un prix international. Comme pour les vins exhibant des médailles gagnées en concours, ces distinctions rassurent la clientèle. Je suis ainsi présent dans la catégorie féminine 2023 du Grand Prix d’Horlogerie de Genève.

À quel moment impliquez-vous vos clients?

Je suis le médiateur entre l’artisan et le client. Ce dernier est impliqué dans toutes les étapes de la production de sa montre. Dès la conception, il peut choisir une de nos montres, telles quelles ou sélectionner lui-même la technique de son choix parmi l’échantillon proposé par XRby. Il pourra aussi visiter les ateliers de l’artisan. Je crois à la transparence la plus totale afin que le client de XRby puisse s’exprimer lui-même sur sa propre montre.

XRby: les potions magiques du cadranier Xavier Rousset

Vous défendez une marque «100% Arc jurassien» avec des fournisseurs établis à Besançon, Morteau, Bienne et La Chaux-de-Fonds. La reconnaissance de ce territoire horloger par l’UNESCO vous a-t-elle influencé?

Non. Mon projet précède la décision de l’UNESCO. L’Arc jurassien est le berceau de l’horlogerie, là où se concentrent toutes les innovations et se produisent tous les composants. De part et d’autre de la frontière, des professionnels passionnés partagent les mêmes valeurs. Ce territoire possède une incroyable faculté à inventer et à créer la surprise. Regardez la fibre de carbone utilisée dans la construction du bateau Alinghi, elle provient du cœur du massif jurassien! C’est aussi celui de mon parcours personnel, de Besançon à Bienne en passant par La Chaux-de-Fonds et Granges. Quel bonheur d’évoluer dans ces montagnes!

L’euphorie actuelle engendre des délais d’approvisionnement plus long. Est-ce une contrainte au développement de la marque XRby?

Lorsque vous produisez un nombre limité de montres chaque année, il est très complexe de recevoir, par exemple, une dizaine de paires d’aiguilles. L’industrie horlogère est cyclique: si la production horlogère ralentit, les fournisseurs se mettent à l’écoute des indépendants. Dans mon cas, j’ai eu la «chance» de commencer XRby en plein Covid, ce qui nous a aidé notamment avec Schwarz-Etienne, notre fournisseur de mouvement.

De plus, je connais personnellement plusieurs ateliers de mécanique de pointe – auxquels je recours. Pour un cadran en or, par exemple, je ne soude pas les pieds. J’évide une plaque entière en or. Cela me coûte plus cher puisque la plaque doit avoir l’épaisseur totale des pieds et de la base. Je travaille également avec des ateliers de polissage et de galvanoplastie. Je connais à peu près toutes les gammes opératoires (description de l’ordre des étapes de production, ndlr) que je notais lorsque je dirigeais la production Fraporlux.

Quel avenir pouvons-nous souhaiter à XRby?

Obtenir la reconnaissance de mes pairs, particulièrement à travers le GPHG ou le prix Louis Vuitton. Cela ferait connaître au grand public le monde des artistes et des artisans horlogers.

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