Le marché horloger chinois


Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

PORTRAIT

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mars 2024


Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

Installé dans une grotte pour pratiquer au mieux son art loin de toute perturbation extérieure, le seul maître artisan guillocheur de Chine livre des cadrans à la marque horlogère Atelier Wen, dont le but est de sublimer les savoir-faire nationaux. Portrait d’un véritable «trésor vivant» du patrimoine.

L

a trentaine tout juste passée, Cheng Yucai pouvait estimer avoir réussi sa vie: issu d’une famille pauvre d’une région rurale, ayant quitté l’école à l’adolescence, il était «monté» à Pékin, et après avoir enchaîné les petits boulots, il avait trouvé dans la capitale un bon emploi comme ouvrier spécialisé dans le secteur de la machine-outil, s’était marié et avait eu des enfants.

Un jour de 2014, pourtant, une rencontre va changer le cours de sa vie. Il déjeune avec un ami de passage, qui sort à la fin du repas une vieille boîte à tabac russe et la lui présente. Cheng est intrigué: la boîte présente un magnifique motif radial ondulé, guilloché et flinqué d’une couche d’émail bleu. La façon dont cet objet reflétait la lumière et affichait la profondeur ne ressemblait à rien de ce que Cheng avait vu dans sa vie, et il tomba sous son charme.

Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

Curieux, il veut en savoir davantage et son ami, qui est collectionneur, lui donne une brève introduction au guillochage, terminant son discours en déclarant que personne en Chine ne pratiquait ce type de décoration. Pour une raison qu’il ne peut toujours pas expliquer à ce jour, fasciné par l’objet, Cheng s’est senti heureux. Et il décide de se lancer dans une quête incompréhensible pour ses proches: maîtriser l’art du guillochage.

Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

Venu d’un milieu modeste, Cheng s’était fait tout seul et estimait être capable de changer sa vie à nouveau. Son objectif était clair: il lui fallait devenir le premier maître artisan chinois du guillochage. Avec femme et enfants, il quitte la bruyante capitale et son emploi pour un environnement beaucoup plus calme et propice à son art, dans la province du Henan, au centre du pays. Il met presque toutes ses économies dans cette quête obsessionnelle.

Son nouveau lieu de travail: une grotte dans une montagne à proximité de la ville de Xinmi, qu’il a aménagée en atelier pour garantir le silence et l’absence de toute vibration qui pourrait perturber sa mission. Il y loue une maison à proximité pour installer sa famille. Son dévouement au guillochage est pur et idéal. Mais les problèmes s’accumulent, à commencer par le manque de matériel ni même de toute documentation pour construire sa propre machine à guillocher – même en Suisse, celles-ci, qui ne sont plus fabriquées, sont difficiles à trouver.

Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

Il tente de concevoir une première machine, entièrement fabriquée à la main avec les moyens du bord, mais après un an de travail ininterrompu, il doit se rendre à l’évidence: elle ne fonctionne pas du tout. L’échec est total. Pourtant, il persiste. Deux autres machines sortent de son atelier, mais elles non plus ne produisent pas les résultats escomptés.

Après deux ans de travail, il parvient enfin à mettre au point une machine fonctionnelle, suivie de plusieurs autres: il s’agit de machines à rosace ou de machines à ligne droite (celles-ils peuvent graver uniquement des motifs horizontaux ou verticaux) et, ensemble, elles lui permettent de graver plus de 1’000 motifs sur les cadrans de montres.

Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

Son rêve n’est pas de fonder une marque, mais de s’élever au niveau des références du guillochage en Suisse que sont Comblémine ou Metalem. Il rêve également de populariser ce métier en Chine, même s’il est difficile de trouver des jeunes apprentis prêts à vivre dans ces conditions monastiques pour mener un dur labeur exigeant une très grande concentration. Un métier fait de sacrifices. Maître Cheng a néanmoins réussi à rassembler quelques apprentis autour de lui. Il a également commencé à enseigner son art dans une école de la région.

Il fournit la marque Atelier Wen, développée par deux entrepreneurs français pour mettre en avant les savoir-faire chinois en horlogerie, qui cite explicitement son travail, à travers la ligne Perception. «Au fil de notre collaboration, la complexité dans les motifs guillochés des cadrans a augmenté de façon exponentielle: de 12 heures nécessaires pour réaliser les motifs des cadrans en champagne, on est passé à 36 heures pour ceux des cadrans en argent», souligne Robin Tallendier, cofondateur d’Atelier Wen.

Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

Celui-ci n’est pas peu fier d’avoir trouvé en Maître Cheng une nouvelle figure de l’artisanat chinois. Récemment, il l’a rejoint dans sa grotte pour la réalisation d’un documentaire sur son travail. S’il a jusqu’à présent oeuvré dans l’ombre, l’artisan connaît une exposition croissante grâce à sa collaboration avec Atelier Wen. Et espère que le sillon qu’il est en train de tracer aura un impact sur de futures générations de guillocheurs en Chine. C’est ce que l’on pourrait appeler, pour paraphraser une grande manufacture, «fonder sa propre tradition»!

Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine

Maître Cheng, premier empereur du guillochage en Chine