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Le court terme, paradoxe des «maîtres du temps»

EDITORIAL

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février 2024


Le court terme, paradoxe des «maîtres du temps»

L’image d’une marque horlogère se construit sur des décennies, pas sur des trimestres – d’autant plus avec l’essor du marché secondaire qui remet à la lumière du jour la production et l’image qu’une marque pouvait avoir il y a cinquante ans et plus. En cela, l’horlogerie est particulière: elle repose, encore plus que d’autres industries, sur une stratégie de long terme, sur une crédibilité éprouvée auprès des collectionneurs et des professionnels. Malheureusement, la tentation du court terme empêche la pleine réalisation du potentiel de l’industrie...

A

l’occasion de notre premier numéro de l’année sur les «Mystères du Temps» (sortie le 4 mars), il vaut la peine de se pencher sur la maîtrise stratégique du temps par les horlogers. Et à cet égard, on ne peut qu’observer une accélération phénoménale, qui conduit souvent à une approche très paradoxale de court terme, à défaut de cette longévité tant vantée et chérie par les «maîtres du temps».

Avec un recul de près de cent ans et des générations d’éditeurs, nous pouvons nous-mêmes témoigner de cette évolution radicale. Un exemple qui reflète sans nul doute ce qui se passe dans toute la chaîne de valeur horlogère. Autrefois, nous pouvions décider avec une marque d’une collaboration stratégique globale sur plusieurs années, le fruit d’une réflexion mûre et solide – or, aujourd’hui, nous faisons face à des «plannings» reposant souvent sur un trimestre, voire un mois, teintés de revirements soudains. Les années se suivent mais ne se ressemblent pas.

En ce début d’année, par exemple, marqué par la crainte d’une croissance plus faible que l’euphorie des années post-pandémie, une grande partie de l’industrie s’est trouvée comme figée, proprement tétanisée, semblant freiner des quatre fers plutôt que de maintenir une confiance dans une stratégie établie à long terme.

Aujourd’hui, nous faisons face à des «plannings» reposant souvent sur un trimestre, voire un mois, teintés de revirements soudains. Les années se suivent mais ne se ressemblent pas.

Le fruit certainement d’une accélération plus globale de nos vies et sociétés, des pressions des investisseurs pour les entreprises cotées, de l’impact de l’immédiateté et de la surdose des réseaux sur nos comportements et réflexions quotidiennes, de l’application à l’industrie horlogère de pratiques venues du monde de la grande consommation.

Mais cette évolution, poussée à ses extrêmes, est néfaste pour la bonne santé de l’horlogerie et sa prospérité. Car elle empêche la stabilité stratégique et la réalisation du plein potentiel de l’industrie. Est-ce un hasard si les partenariats que nous avons établis à plus long terme le sont avec les horlogers qui rencontrent aussi le plus de succès, ne changeant pas de cap à tout bout de champ? Ce n’est pas une coïncidence. Ces sociétés sont devenues des «institutions», capables de résister à une pensée à court terme paralysante.

Or, l’image d’une marque horlogère se construit sur des décennies, pas sur des trimestres – d’autant plus avec l’essor du marché secondaire qui remet à la lumière du jour la production et l’image qu’une marque pouvait avoir il y a cinquante ans et plus. En cela, l’horlogerie est particulière: elle repose, encore plus que d’autres industries, sur une stratégie de long terme, sur une crédibilité éprouvée auprès des collectionneurs et des professionnels.

Il faut vivre avec son temps mais on ne peut pas s’empêcher de constater que cette pensée à court terme fait perdre du temps à tout le monde.

Les revirements stratégiques que nous observons, à notre échelle, sont ainsi inquiétants quant aux modes d’opération en cours dans l’industrie. Cette pensée pernicieuse, si paradoxale pour des horlogers, freine le développement de l’industrie quant à ses réelles capacités.

De notre côté, malgré cette pression, nous avons fait le choix stratégique de ne pas céder au court terme mais de continuer à développer une couverture éditoriale au long cours, sans subir un agenda autre que le nôtre. Car nous pensons qu’il s’agit là du prérequis pour durer à travers les décennies et les générations – et cela nous donne l’opportunité de développer notre propre identité, singulière, et notre propre voix. Par cette approche, nous espérons faire des émules: il faut vivre avec son temps mais on ne peut pas s’empêcher de constater que cette pensée à court terme fait perdre du temps à tout le monde… alors apprenons à résister!

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