près quatre ans de travaux visant à réorganiser complètement ses espaces, le Musée national de la Marine au Palais de Chaillot a rouvert ses portes en novembre sur la place du Trocadéro au coeur de Paris. Et c’est une excellente nouvelle pour la maison Breguet, dont l’histoire est intimement liée à la fois à la Ville Lumière et au chronomètre de marine. Le timing est judicieux, puisque Paris accueillera les Jeux olympiques en 2024 et s’attend donc à un afflux de visiteurs internationaux. Le Musée national de la Marine accueillait déjà plus d’un million de visiteurs par an avant sa rénovation.

Plus spécifiquement, la marque est mécène d’une nouvelle salle dédiée aux techniques historiques ayant permis aux marins de se repérer en mer, de l’astrolabe ancien au GPS contemporain.

«Parmi les pièces présentées dans cette salle figure un exemplaire de chronomètre de marine réalisé par Abraham-Louis Breguet, que nous avons pu dater des années 1820 et qui a navigué durant une quarantaine d’années», relève Emmanuel Breguet, Vice-Président et Head of Patrimony de la marque. L’occasion était belle d’évoquer la place particulière des chronomètres de marine dans cette genèse du repérage en mer: leur précision permettait notamment le calcul de la longitude, facteur critique pour s’orienter lors de la navigation sur les vastes océans.

Abraham-Louis Breguet devient Horloger de la Marine Royale en 1815. La fourniture de chronomètres à la marine militaire et à la marine marchande sera poursuivie pendant plusieurs décennies par son fils, puis par son petit-fils.

Un poste privilégié

Les spécimens réalisés par Breguet et ses successeurs ont été les instruments privilégiés de la marine militaire et marchande française tout au long du 19ème siècle. En 1840, c’est un de ces chronomètres de marine, équipé d’une boîte doublée pour le préserver du froid et des intempéries – depuis lors malheureusement perdu – qui a accompagné le capitaine Jules Dumont-D’Urville, le premier Français ayant exploré l’Antarctique à bord de son navire L’Astrolabe. Ironie de l’histoire, ce grand navigateur mourra deux ans plus tard dans un accident de… chemin de fer. Une station scientifique porte encore son nom en Terre d’Adélie de nos jours.

Inventeur prolifique, Abraham-Louis Breguet était déjà âgé de 68 ans lorsqu’il devint Horloger de la Marine Royale sous Louis XVIII et la Restauration en 1815. Pourquoi une nomination si tardive alors qu’il avait déjà largement fait ses preuves en matière de précision chronométrique? «Parce qu’il y avait un seul Horloger de la Marine Royale et que le poste était déjà occupé, répond Emmanuel Breguet. C’était une survivance de l’Ancien Régime qu’une seule personne soit nommée à ce poste prestigieux et avant Abraham-Louis Breguet, il avait été confié à Ferdinand Berthoud puis à son neveu Louis Berthoud.»

Certes, le maître-horloger avait intégré en 1814 le Bureau des longitudes, mais il aurait certainement espéré devenir Horloger de la Marine Royale plus tôt: parmi les motivations pour le développement de son tourbillon breveté le 26 juin 1801 figurait bien la possibilité d’augmenter la précision en mer!

Double hommage

C’est là que la nouveauté présentée par Breguet cette année, plus de deux siècles après cette épopée, prend tout son sens: la Marine Tourbillon 5577 tout juste dévoilée associe en effet cette complication-maîtresse avec la précision de la chronométrie de marine.

Étonnamment, on a connaissance d’un seul chronomètre de marine réalisé par Abraham-Louis Breguet équipé d’un tourbillon. En revanche, sur la quarantaine de montres de poche dotées de la complication et signées de sa main, une dizaine ont été utilisées dans l’univers naval, précise Emmanuel Breguet. Le maître-horloger disposait en effet d’un solide réseau commercial sur la façade atlantique avec des agents le représentant dans ces hubs maritimes qu’étaient alors déjà Le Havre, Brest ou Bordeaux.

La Marine Tourbillon 5577, d’un diamètre de de 42 mm, proposée en or rose ou en platine, s’impose ainsi comme un très bel hommage au fondateur de la maison, en distillant la quintessence de son œuvre dans un modèle à l’esthétique particulièrement épurée par rapport aux versions qui l’ont précédé dans la collection Marine. Une simplicité cachant une grande complexité, en phase avec l’héritage d’Abraham-Louis Breguet, mettant d’autant plus en valeur le tourbillon situé à 5 heures.

Incarnant bien cette épure, le calibre à remontage automatique 581 fait seulement 3 mm d’épaisseur grâce à l’utilisation d’un rotor périphérique. Son balancier oscille à une fréquence de 4 hertz, avec une réserve de marche de 80 heures. Le calibre est muni d’une cage en titane ainsi que d’un spiral en silicium.

Les finitions du mouvement se dévoilent au travers du fond saphir de la boîte: notamment, le tambour de barillet arbore une rose des vents et différentes décorations de la ligne Marine s’y retrouvent également, comme des côtes droites.

Pour mettre en relief le tourbillon, le tour d’heures a été excentré. Enfin, les index ainsi que les aiguilles Breguet de type «pomme» en or sont luminescents.

Mystères au fond des mers

Avant sa nomination au poste d’Horloger de la Marine Royale en 1815, Abraham-Louis Breguet avait déjà construit une dizaine de chronomètres de marine. La cadence s’accélérera avec cette nouvelle position, puisqu’il en réalisera encore près de 80 jusqu’à sa disparition en 1823.

Les registres tenus par la maison permettent de retracer une partie de ces chronomètres, vendus notamment au ministère de la marine ainsi qu’à la marine marchande française. «La production de chronomètres de marine bat son plein sous Abraham-Louis Breguet et ses successeurs, jusqu’en 1840. Ensuite une nouvelle génération de chronomètres est lancée dans les décennies 1860 et 1870. Nous savons combien de temps ils étaient opérationnels: entre trente et quarante ans. Ainsi ils ont pu être utilisés jusqu’à la Première Guerre mondiale. Et bien sûr nous ne sommes pas passés tout de suite au GPS! Breguet a continué de fournir des montres à la marine française jusqu’aux années 1950», explique Emmanuel Breguet.

La maison a racheté une dizaine de ces chronomètres de marine historiques, représentant plusieurs générations successives de modèles sur les centaines qui ont été produits. Mais on a perdu trace de la plupart d’entre eux – dont, justement celui de Dumont-D’Urville et de son expédition au Pôle Sud: «Certains se trouvent au fond des mers, d’autres dans des musées ou en main privée, enfin l’armée a généralement coutume d’ordonner la destruction de tout ce qui est considéré comme matériel militaire lorsqu’il n’est plus utilisé (lire à ce sujet notre article sur la Type XX, ndlr)», souligne l’expert.

Qui sait-ce ainsi que nous réservent de futures chasses au trésor sous-marines? Des explorations permettront-elles un jour de faire réémerger certains chronomètres Breguet logés dans des épaves du 19ème siècle reposant au fond des mers? Cela laisse songeur…

SPÉCIFICATIONS TECHNIQUES Boîte: or rose 18 carats et platine Diamètre: 42,5 mm Épaisseur: 9,35 mm Cadran: en or, soleillé Mouvement: automatique avec masse oscillante périphérique Fonctions: heures, minutes et petite seconde, tourbillon extra-plat Spiral: en silicium Étanchéité: 10 bar (100 m) Calibre: 581 Fréquence: 4 Hz Réserve de marche: 80 heures Composants: 334 Bracelet: Le Tourbillon Marine est disponible sur bracelet caoutchouc noir, alligator brun et or rose pour le modèle en or rose et sur un bracelet caoutchouc bleu, alligator bleu nuit ou platine pour le modèle en platine.