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Breitling: «Nous allons dépasser le milliard de chiffre d’affaires en 2023»

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mai 2023


Breitling: «Nous allons dépasser le milliard de chiffre d'affaires en 2023»

Avec son concept de luxe non élitiste et en revalorisant son patrimoine, Breitling a su se reconnecter avec de nouvelles générations de clients et décupler sa taille et son influence. Son CEO, le stratège Georges Kern, nous expose les racines de ce renouveau.

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epris en juillet 2017 par le fonds d’investissement privé CVC (rejoint par Partners Group, un autre fonds, devenu actionnaire majoritaire en 2022), et sous l’impulsion de son CEO et co-actionnaire, Georges Kern, Breitling connait depuis une croissance insolente.

La manufacture, née en 1884 à Saint-Imier et établie à Granges, se rapproche du club très fermé des marques au chiffre d’affaires de plus d’un milliard de francs suisses. Selon la dernière étude horlogère de Morgan Stanley, elle est désormais dans le Top 10 mondial des marques, après avoir enregistré une croissance de l’ordre de +25% en 2022.

Les changements se font sentir à tous les niveaux: produits, distribution, communication. Interview sans détours de son bouillonnant CEO pour comprendre les raisons d’un succès.

Georges Kern, CEO et co-actionnaire de Breitling
Georges Kern, CEO et co-actionnaire de Breitling

Europa Star: Breitling a affiché ces dernières années l’une des plus fortes progressions sur le circuit horloger. En termes de volumes, à quel niveau se situe votre production aujourd’hui?

Georges Kern: Nous sommes dans une très bonne dynamique, effectivement. Le travail entrepris depuis cinq ans porte ses fruits. Notre production s’est bien développée, elle devrait atteindre entre 250’000 et 280’000 pièces en 2023 et nous allons dépasser le milliard de chiffre d’affaires. Lorsque nous avons repris Breitling, la marque employait 380 personnes. Aujourd’hui, nous sommes 1’700!

En quoi a consisté votre travail pour parvenir à ce renouveau de la marque?

Ce n’est jamais le fruit d’une seule formule magique. Les facteurs sont multiples. Breitling possède quatre à cinq atouts majeurs qui la rendent très forte. Tout d’abord, nous sommes une marque généraliste. Nous avons un assortiment très large de styles allant de la Premier à l’Endurance Pro, ce qui permet de plaire à un très grand nombre de clients. Cette situation existait déjà précédemment, mais nous avons su moderniser l’offre et exprimer pleinement les valeurs de la marque.

Ces dernières sont le deuxième élément majeur expliquant notre succès. Le souci de l’éco-responsabilité qui imprègne la marque dans sa globalité est aujourd’hui, selon moi, une condition sine qua none de sa réussite. Le concept d’une horlogerie décontractée, inclusive et abordable (au sens humain du terme) est aussi une des raisons. Nous sommes présents dans le surf, le triathlon, le cyclisme, dans des univers non élitistes qui parlent au plus grand nombre. De plus, le covid a accentué l’importance de toutes ces valeurs.

Ensuite, nous avons des équipes formidables, jeunes, dynamiques, qui ont su donner un style à la fois moderne et rétro à la marque, qui plaît énormément. Enfin, notre prix moyen, autour de CHF 6’300, est pour moi le «sweet spot» du marché, ce qui nous a permis d’élargir notre clientèle.

Paradoxalement, c’est en fouillant dans votre patrimoine que avez rajeuni la marque pour toucher de nouvelles générations…

Breitling dispose d’un héritage incroyable. Nous avons juste compris comment l’utiliser et l’adapter à la modernité. La collection Premier, que nous mettons à l’honneur cette année avec de nouveaux chronographes animés par notre mouvement manufacture B01, en est un exemple parfait. Cette ligne n’avait pas évolué depuis 30 ou 40 ans. Des merveilles à redécouvrir comme celle-ci, nous en avons beaucoup chez Breitling… de quoi travailler pendant encore des décennies.

Revenons à votre prix moyen: à CHF 6’300, il a malgré tout fortement augmenté. Mais vos ventes aussi. Comment vous-y êtes-vous pris pour affronter la contradiction historique qui existe entre volume et valeur dans l’industrie?

Il faut tout d’abord souligner que nous avons quasiment arrêté le quartz. Nous nous concentrons sur nos calibres manufactures. Nous créons de la valeur et nos produits plaisent à un nombre en forte croissance de clients et collectionneurs. Enfin, nous avons rationalisé notre distribution.

Breitling a ajouté à la collection Premier six nouveaux modèles, tous animés du calibre Manufacture Breitling 01 à remontage automatique.
Breitling a ajouté à la collection Premier six nouveaux modèles, tous animés du calibre Manufacture Breitling 01 à remontage automatique.

Justement, quel est votre objectif avec votre distribution en forte évolution?

Lorsque nous avons repris la marque, nous travaillions avec des agents sur tous les marchés. Aujourd’hui, nous avons des filiales en propre partout. Cela représente un très gros investissement, mais il était nécessaire pour maîtriser notre distribution. C’est désormais chose faite avec 250 boutiques à travers le monde et près de 1’500 points de vente au total. Cela nous permet de mieux contrôler notre image et de véhiculer cette atmosphère et ce sentiment de décontraction partout où Breitling est vendue. Même si nous avons développé notre e-commerce – qui représente environ 10% de nos ventes – nous sommes très attachés à l’expérience physique que nous offrons à nos clients… et qu’ils réclament! La majeure partie de notre travail de refonte de la distribution vise à une présence très locale pour être au plus près de notre clientèle.

D’ailleurs, Breitling ouvre à présent un restaurant à Genève, adossé à la boutique. Com-ment vos valeurs se retrouvent-elles dans ce concept?

C’est une opportunité qui s’est présentée pour l’extension de la boutique. Nous avons préféré accentuer l’aspect convivial que simplement élargir le mètre linéaire de vente. Le style et l’esprit Breitling sont conservés, c’est une évolution naturelle, une expérience à vivre qui correspond à l’état d’esprit de la marque. L’avenir nous dira si le modèle est à développer.

La marque horlogère vient d'inaugurer son deuxième restaurant, Breitling Kitchen Genève, avec un concept de street-food moderne.
La marque horlogère vient d’inaugurer son deuxième restaurant, Breitling Kitchen Genève, avec un concept de street-food moderne.

Votre communication s’est très largement redéfinie également. Elle est plus jeune, décomplexée, éco-responsable. Quels sont les axes principaux que vous allez continuer à développer?

Tout cela s’est fait de manière très intuitive, pas forcément calculée. Mon compte Instagram est une véritable plateforme d’étude marketing. Il m’a permis de confirmer que ce qui compte réellement, c’est la cohérence dans l’attitude. C’est ce qui crée l’«esprit de marque». Notre axe est simple: nous inspirons la sympathie, nous sommes abordables, décontractés. Nos montres et notre communication reflètent cet état d’esprit, ce style de vie.

Avec tous ces changements, votre clientèle a-t-elle fondamentalement changé également?

Avant, nous avions deux communautés distinctes, qui n’interagissaient pas entre elles: les collectionneurs de modèles Breitling des années 1940 jusqu’aux années 1980 d’un côté, ainsi que les fans d’aviation et des montres pilotes des vingt dernières années de l’autre. Aujourd’hui, notre clientèle a énormément évolué, nous avons deux tiers de nouveaux clients, dont beaucoup de Millenials et de GenZ, qui adhèrent plus à la philosophie globale de la marque. Ils échangent entre eux et se reconnaissent dans nos valeurs. L’aspect rétro «twisté» de moderne plaît, il n’est pas «poussiéreux», bien au contraire. Dans un monde de plus en plus incertain et surdigitalisé, les valeurs humaines revêtent de plus en plus d’importance: elles rassurent. Les gens aiment se retrouver dans la vraie vie, autour de produits auxquels ils peuvent s’identifier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Breitling estime que le metaverse n’est pas pour elle. Nous évoluons dans la vie réelle, en revendiquant qui nous sommes, en étant cools et abordables, tout comme nos clients.

L’aspect éco-responsable, environnemental et social, semble de plus en plus important pour Breitling. Envisagez-vous d’étendre votre «score carbone» à tous vos produits?

Nous avons été les premiers à intégrer le sourcing des matières premières dans nos certifications par la blockchain. Notre engagement dans l’éco-responsabilité est fondamental et incontournable. Nous vendons des produits pérennes, pas du jetable ou de l’usage unique. Bien évidemment, nous souhaitons élargir ce «score carbone» à tous nos produits. Mais c’est un travail de longue haleine, notamment parce qu’il faut inclure tous nos fournisseurs dans le processus, ce qui est loin d’être simple. Nous y travaillons activement.

Les quatre montres de la série Top Time Classic Cars arborent les couleurs et les emblèmes de voitures de sport de référence des années 1950 et 1960.
Les quatre montres de la série Top Time Classic Cars arborent les couleurs et les emblèmes de voitures de sport de référence des années 1950 et 1960.

Breitling joue beaucoup cette carte de l’éco-responsabilité (bracelet en filet de pêche recyclé, packaging recyclé, diamants de laboratoire, or artisanal), est-ce votre stratégie pour anticiper de futurs nouveaux «standards» ou est-ce une réaction à des demandes déjà présentes?

Bien entendu nos clients de plus en plus jeunes le réclament… et ils ont bien raison! Mais la volonté initiale est présente chez toutes les équipes Breitling. Je suis un pro-environnement convaincu, depuis longtemps. Notre but est de faire le maximum dans notre sphère d’influence. Nous ne pouvons pas tout changer tout seul, mais chaque geste que nous faisons compte. Et nous sommes conscients que c’est un devoir. Les jeunes générations, qui sont nos futurs clients, nous le font comprendre de plus en plus clairement. Il demeure que l’impulsion de départ pour ce mouvement de fond doit venir des entreprises, des comités de directions, des CEO.

Cette dimension éco-responsable pourrait-elle un jour faire partie intégrante de la notion de Swiss made?

C’est une bonne réflexion. Je pense qu’il est difficile d’imposer des normes de but en blanc et les réticences risquent d’être fortes. Il est plus efficace de convaincre de la valeur du changement. Il pourrait être intéressant de proposer la possibilité de deux appellations ou certifications: Swiss made standard et Eco Swiss made, par exemple. Le débat serait intéressant et porteur d’améliorations pour le bien de toutes et tous, celui de la planète.

Quels sont pour vous les grands défis à venir pour Breitling – et pour l’horlogerie en général?

Les plus grands défis viennent en général des éléments que vous ne pouvez pas influencer vous-mêmes directement. Aujourd’hui, la situation globale est compliquée avec la guerre en Ukraine, les risques liés au climat, l’inflation… et pourtant le marché horloger continue de se développer, les marchés matures continuent de grandir, comme les Etats-Unis. D’autres n’en sont qu’au début, comme la Chine, l’Inde, la Thaïlande. Selon moi, le potentiel de croissance pour l’horlogerie est encore énorme. Pour Breitling également, notamment en Chine qui ne représente que 5 à 7% de nos ventes. Il est certain que l’état général du monde est le plus grand défi.

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