ors des Geneva Watch Days, TAG Heuer a amené au bord du Léman une «annexe» de sa manufacture de La Chaux-de-Fonds, afin de présenter le TH-Carbonspring, un spiral en carbone conçu, développé et produit en interne par le TAG Heuer LAB (ex-Institute).
Initiée il y a dix ans, cette recherche sur le cœur régulateur de la montre en carbone avait connu un tournant en 2019, avec une première solution mise sur le marché. Mais cet oscillateur n’était pas encore au niveau de stabilité souhaité, comme l’a pointé avec franchise la marque lors de cette présentation à Genève. Ce premier développement a néanmoins permis d’identifier les modifications clés à apporter. Après plusieurs milliers d’heures de tests, la marque l’assure: la technologie est industrialisée, intégrée en série, et s’accompagne d’ailleurs d’une garantie de cinq ans. Une réalisation «épique et héroïque», comme la qualifie le CEO de TAG Heuer, Antoine Pin.
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- Antoine Pin, CEO de TAG Heuer
Parmi les bénéfices présentés, mentionnons l’amagnétisme, la résistance aux chocs ou encore une faible inertie pour une stabilité chronométrique accrue. Pour TAG Heuer, qui a déposé cinq demandes de brevet (dont un accordé, quatre en attente), c’est surtout une précieuse alternative au recours au silicium, encore largement protégé par divers brevets.
Ces deux nouveaux modèles sont les premiers à être équipés d’un spiral en carbone: la TAG Heuer Monaco Flyback Chronograph TH-Carbonspring et la TAG Heuer Carrera Chronograph Tourbillon Extreme Sport TH-Carbonspring.
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- Ces deux nouveaux modèles sont les premiers à être équipés d’un spiral en carbone: la Monaco Flyback Chronograph TH-Carbonspring et la Carrera Chronograph Tourbillon Extreme Sport TH-Carbonspring.
A Genève, TAG Heuer présentait aussi une nouveauté étonnante qui repensait quant à elle complètement la physionomie de la phase de lune autour d’un disque à sept phases progressant chaque jour.
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- Animée par le nouveau Calibre 7 doté d’une réserve de marche de 50 heures, la TAG Heuer Carrera Astronomer réinvente l’affichage des phases de lune, avec son disque rotatif à 6 heures qui montre les sept phases de la lune. Le fond du boîtier révèle un observatoire astronomique, célébrant l’inspiration cosmique de la collection.
Puis à la Dubai Watch Week, TAG Heuer marquait aussi les esprits avec une nouvelle technique additive de croissance du titane présentée sur la Monaco Split-Seconds Chronograph Air 1. Son boîtier ultra-léger en titane grade 5 a été réalisé à l’aide d’une technologie de pointe baptisée «Selective Laser Melting» (SLM) ou fusion sélective par laser, un procédé de fabrication souvent utilisé dans les secteurs de l’aérospatiale, de la médecine et de l’automobile afin de créer des composants précis aux géométries complexes. Le TAG Heuer LAB a adapté le SLM pour l’horlogerie, permettant ainsi d’imaginer et de proposer une forme tridimensionnelle qui rappelle les lignes aérodynamiques des supercars contemporaines.
Après l’énorme opération marketing qu’a représenté le partenariat géant avec la Formule 1® initié au premier semestre par TAG Heuer, cette séquence semblait pensée comme une démonstration de force technique. Ou une manière pour la marque de souligner que derrière ce marketing qui a boosté sa visibilité, elle n’en oublie pas pour autant son cœur battant horloger. Notre entretien avec Antoine Pin.
Europa Star: Vous aimez dire que TAG Heuer «marche à la dopamine». Qu’entendez-vous par là?
Antoine Pin: Nous assumons pleinement l’innovation, avec ses essais et ses erreurs, c’est ce qui nous motive. L’oscillateur TH-Carbonspring en est l’exemple parfait: dix ans de recherche, un tournant en 2019 où une solution a été montrée, pas encore au niveau que nous voulions — mais ce jalon a révélé ce qu’il fallait changer. Cela a entraîné de gros efforts pour parvenir jusqu’à l’industrialisation de cette technologie, sa stabilisation et une garantie de cinq ans. C’est cette énergie-là que nous cherchons: quand une voie se ferme, une autre s’ouvre, et nous allons de l’avant!
Qu’apporte concrètement le TH-Carbonspring?
Trois avantages matériels et mesurables: la résistance aux champs magnétiques du quotidien, la résistance aux chocs, et la légèreté, donc une faible inertie, ce qui améliore la stabilité chronométrique. Tout a été développé chez nous, du concept à la production, avec quatre brevets, dont un déjà accordé. Et ce n’est pas un «one-shot»: c’est une plateforme qui va irriguer nos collections au fil du temps.
Vous inaugurez ce spiral dans deux éditions, la TAG Heuer Monaco Flyback et la TAG Heuer Carrera Chronograph Tourbillon Extreme Sport. Quelles sont leurs caractéristiques principales?
Ces modèles ont la particularité de déployer le carbone à l’intérieur avec ce spiral, mais aussi à l’extérieur: leur coeur est en carbone avec le TH-Carbonspring et leur habillage aussi. On retrouve ainsi des boîtiers forgés en fibre de carbone, tout comme les cadrans, décorés d’une spirale en «escargot» qui évoque justement l’oscillateur. Tout est d’une grande cohérence. La TAG Heuer Monaco Flyback Chronograph TH-Carbonspring de 39 mm est équipée du calibre TH20-60 certifié COSC qui assure une réserve de marche de 80h. La TAG Heuer Carrera Chronograph Tourbillon Extreme Sport TH-Carbonspring, d’un diamètre de 44 mm et équipée du calibre TH20-61 COSC, présente en plus une lunette en carbone. Les deux modèles sont limités à 50 exemplaires. C’est notre façon d’incarner cette nouvelle technologie, sans compromis esthétique ni fonctionnel.
Et même si ce n’était pas forcément l’intention il y a une décennie, vous arrivez juste à temps pour les 350 ans de l’invention de Christiaan Huygens (relire à ce sujet notre numéro 4/25 sur Les Maîtres de l’Horlogerie, ndlr).
Huygens, en 1675, a défini l’architecture de mesure du temps moderne, avec le balancier-spiral. Et même 350 ans plus tard, on ne «change» pas son oscillateur, en réalité, mais on le déploie avec un nouveau matériau. Nous nous inscrivons donc dans une forme de continuité. Le TH-Carbonspring est une réponse d’ingénieur aux contraintes d’aujourd’hui: le magnétisme, les chocs, la durabilité...
La TAG Heuer Carrera Astronomer, quant à elle, étonne par son affichage original des phases de lune.
C’est une nouvelle interprétation: par le disque à 6h qui affiche sept phases de lune, vous n’êtes plus limité dans un moment unique, mais vous voyez très concrètement votre progression à travers le cycle lunaire. C’est à la fois poétique et une forme d’hyper-lisibilité de cette fonction.
Dans l’organisation de votre R&D, vous avez également évolué en passant du TAG Heuer Institute à un nouveau TAG Heuer LAB. Que signifie ce changement?
Le TAG Heuer LAB est la plateforme d’intégration des compétences et de la R&D, que l’on parle de fabrication additive, de nouveaux matériaux, de complications repensées ou encore de connectivité. Nous avons fait évoluer cette structure depuis l’Institute pour renforcer la recherche appliquée. Nous sommes bien conscients que le temps de le laboratoire n’est pas celui de la Bourse et nous voulons libérer le chercheur de la contrainte matérielle, mais nous ne sommes pas non plus un institut universitaire dédié à la recherche fondamentale. Le lien avec le produit doit rester étroit.
Quelle place donnez-vous à l’IA dans ce dispositif?
C’est un accélérateur, pas un substitut créatif. Nous avons déployé des plans de formation interne, car, pour paraphraser, c’est «en promptant que l’on on apprend à prompter». On l’emploie en R&D, en qualité, en simulation. Mais l’intégrité du geste humain derrière la montre reste non négociable: l’IA change peut-être notre rythme, mais ne devient pas notre boussole.
Enfin, à la Dubai Watch Week, vous avez révélé la Monaco Split-Seconds Chronograph Air 1, à la forme non conventionnelle en titane rendue possible par l’additive manufacturing – quel potentiel ouvre-t-elle?
Cette montre renverse notre manière de créer: avec l’Air 1, nous n’avons pas demandé au designer de s’adapter aux limites de la fabrication – c’est la technologie qui s’est adaptée au design. Au départ, cette pièce n’était même pas une montre: c’était une voiture imaginaire, une forme aérodynamique avec des volumes impossibles à usiner. Julien, notre designer, est parti de ce «morphing» automobile sans aucune contrainte horlogère. Faire cette géométrie aurait été impossible par usinage traditionnel. Alors nous avons fait le choix inverse: ne pas changer le design, mais changer la technologie.
C’est là qu’intervient le Selective Laser Melting (SLM). Nous avons utilisé la même logique que pour la croissance d’un diamant: un lit de poudre de titane grade 5, un racleur, un laser qui vient fondre point par point la forme dictée par la CAO. À chaque couche, la matière croît. On doit même créer des piliers internes pour supporter cette architecture, une forme de «dentelle technologique». Ensuite seulement viennent les traitements thermiques, le grossissement des grains, l’usinage, le sablage, qui révèlent la dureté et la structure de la matière. Le résultat est une pièce dont la complexité est presque organique – et pourtant d’une précision et d’une répétabilité inédites.
Le boîtier combine du titane et de l’or 2N avec une légèreté extrême: 85 g au total, seulement 2 g de plus que la version tout titane. Cela montre bien que l’additive manufacturing permet un usage beaucoup plus intelligent et durable des matériaux précieux. Tout est recyclé, presque rien n’est perdu: c’est un processus avec très peu de déchets, et qui s’inscrit dans notre réflexion sur la durabilité. Une montre n’a de sens sans un lien à la Terre, car le Temps est ce qui nous rattache chacune et chacun à notre Terre.
Ce qui est passionnant, c’est que nous sommes passés en un an d’un prototype à une véritable industrialisation horlogère. C’est la transition la plus difficile: transformer une expérimentation en processus fiable, répétable, conforme à nos standards. Dans l’horlogerie, personne n’avait encore utilisé cette technologie de manière aussi avancée pour fabriquer des boîtes de forme. Nous sommes profondément convaincus que l’avenir est là.
Nous entrons dans une ère où la forme ne sera plus limitée par la fabrication, et où les designers pourront concevoir avant tout avec leur audace. Notre rôle, ensuite, sera d’inventer la technologie capable de rendre ces formes réelles. Avec l’Air 1, nous avons posé la première pierre de cette révolution. Et ce n’est qu’un début.


