L’horlogerie indépendante


Urwerk: réflexions sur la nature du temps

janvier 2024


Urwerk: réflexions sur la nature du temps

Lorsque la marque Urwerk est née, en 1997, il fallait aux fondateurs une certaine dose d’idéalisme pour proposer une horlogerie alternative. Et pourtant, plus de vingt-cinq ans après, Felix Baumgartner et Martin Frei ont relevé leur pari et ouvert la voie vers l’horlogerie contemporaine, tout en menant une vaste réflexion sur la perception même du temps à travers leurs créations. Retour sur ce formidable succès lors d’un long entretien avec les cofondateurs de la marque.

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a première fois que nous avons découvert cette marque au nom étrange, c’était en 1998, sur le stand de l’AHCI, l’Académie horlogère des créateurs indépendants, durant la foire de Bâle. Trois jeunes inconnus dans la vingtaine présentaient une montre qui ressemblait à une soucoupe volante miniature indiquant l’heure. Il s’agissait des frères horlogers Felix et Thomas Baumgartner et du designer Martin Frei, les fondateurs de la marque Urwerk. Ils présentaient leur UR-101, qui ne ressemblait à rien de connu à l’époque, si ce n’est au Millennium Falcon, le vaisseau de Star Wars. Cette montre rappelait à la fois la tradition tout en s’en éloignant fortement.

Durant les dix premières années, les garde-temps d’Urwerk furent une variation autour de l’heure vagabonde, avec leurs satellites servant de support à l’indication des heures. Chacun d’eux réalise une révolution complète autour du cadran en quatre heures ainsi qu’une rotation de 120 degrés sur son propre axe. Mais l’avantage d’être une maison jeune, c’est qu’elle n’a pas à être fidèle à son passé. Au fil du temps, Felix Baumgartner et Martin Frei, les actuels propriétaires d’Urwerk, ont cherché à créer une marque horlogère alternative, dans laquelle ils pourraient inscrire toutes leurs références culturelles et faire évoluer leurs créations.

La montre UR-100V Time & Culture II «Sumer» fait référence à la cité mésopotamienne de Ur.
La montre UR-100V Time & Culture II «Sumer» fait référence à la cité mésopotamienne de Ur.

On leur doit quelques modèles qui relèvent de la science-fiction, comme la UR-T8 Transformer présentée en 2017, qui se métamorphose: par le biais d’une pression, le boîtier se déverrouille, pivote autour de son axe pour se retourner, dévoilant une sorte de carapace de titane orné d’écailles gravées. Ou encore la UR-105M Trinity T. rex dans laquelle on retrouve un fragment du TRX-293 TRINITY, le squelette de Tyrannosaurus rex adjugé en avril 2023 par la maison de ventes aux enchères suisse Koller.

Urwerk: réflexions sur la nature du temps

En 2022, les cofondateurs ont acquis de nouveaux locaux sur trois étages dans la Vieille Ville de Genève, sur la place du Bourg-de-Four, qui leur sert à la fois de bureau, d’atelier et de showroom. Rencontre avec Felix Baumgartner et Martin Frei afin de parler de la symbolique du temps, de leurs montres et de leur histoire.

Europa Star: La symbolique occupe une large place dans les montres que vous créez depuis vos débuts. En 2022, vous avez lancé la UR-100V Time and Culture I suivie en 2023 de la UR-100V Time & Culture II Sumer. La première est une représentation des motifs de la Pierre du Soleil, emblématique de l’art aztèque, et la seconde fait référence à la cité mésopotamienne de Ur. Qu’est-ce qui vous a poussés à vous lancer dans ce projet ?

Felix Baumgartner: Nous nous sommes plongés dans l’histoire de la transcription du temps. Comment les premières cultures indiquaient-elles le temps? Urwerk, notre nom, a une double origine. «Ur» signifie le début, la source en allemand. Nous sommes donc plongés dans l’histoire des civilisations et essayons de leur rendre hommage à travers nos créations. Urwerk c’est aussi un nom qui puise ses origines dans la ville Mésopotamienne de Ur, or en Mésopotamie, qui est aujourd’hui l’Irak. On y mesurait le temps avec le soleil et des poudres de feu. La UR-100V Time and Culture II s’inspire de cette culture. Quant à la première pièce, elle est d’inspiration amérindienne. Elle se base sur une croyance lointaine d’un voyage interstellaire effectué par les Mayas. Tout cela nous a intéressés.

Martin Frei: C’est l’auteur suisse Erich von Däniken qui a interprété ces images mayas en y voyant un astronaute dans une capsule, mais sans aucune base scientifique. Les Mayas avaient conçu un calendrier cosmologique très sophistiqué capable de calculer le temps jusqu’en 2012, date à laquelle il s’arrêtait. Les Aztèques, à la suite des Mayas, ont gravé leur calendrier sur une roche baptisée la Pierre du Soleil qui mesure environ 4,5 mètres de haut et qui est exposée au musée de Mexico City. Nous nous sommes inspirés de ses motifs pour réaliser la montre.

La montre UR-100V Time & Culture I s'inspire d'un calendrier cosmologique gravé sur une roche baptisée la Pierre du Soleil, qui est exposée au musée de Mexico.
La montre UR-100V Time & Culture I s’inspire d’un calendrier cosmologique gravé sur une roche baptisée la Pierre du Soleil, qui est exposée au musée de Mexico.

Felix Baumgartner: Nous avons utilisé une photo très précise de la Pierre du Soleil, que nous avons réduite afin de réaliser la gravure sur le boîtier.

Martin Frei: Quant à la pièce sumérienne, la Time and Culture II, elle s’inspire d’un calendrier gravé de motifs et de symboles retrouvé sur une tablette d’argile qui montre les étoiles dans le ciel et comment les Sumériens les ont interprétés. Au centre se trouve le symbole du soleil, qui est le dieu Utu. Il est entouré de Nanna, le dieu de la lune, et de la déesse Innana (Vénus) aussi appelée Ishtar. Nanna était le dieu de la cité de Ur et il est donc notre ami sumérien.

«Ur» signifie le début, la source en allemand. Nous sommes donc plongés dans l’histoire des civilisations et essayons de leur rendre hommage à travers nos créations.»

Avez-vous le sentiment qu’en portant l’une de ces montres, on ressent encore mieux la magie que représente l’art horloger et la complexité de la notion de temps?

Felix Baumgartner: Evidemment! Mais ces montres parlent aussi de la complexité de leur donner vie. Le point de départ est la curiosité de Martin pour les civilisations anciennes. Nous voulions les mettre au cœur de nos montres. Il a fallu ensuite trouver une façon de reproduire ces motifs puis trouver des techniques pour les graver. Nous en avons exploré deux. Pour la montre mésopotamienne, nous avons fait appel à une technologie de laser très récente qui permet un rendu de dessins d’une finesse incroyable. Quant à la pièce inspirée des Mayas, nous l’avons faite avec de la gravure mécanique extrêmement fine réalisée par des artisans exceptionnels. On ne peut oublier cette touche humaine en regardant ces pièces. Cela fait rêver. Ces montres nous transportent dans le temps et l’espace.

Martin Frei: Les êtres humains ont toujours été fascinés par la notion de temps depuis qu’ils sont apparus sur Terre. Ils se sont rendus compte sans doute depuis toujours de l’existence de répétitions, de récurrences, de règles qu’ils observaient dans le ciel. Cette collection nous permet d’observer la manière dont chaque civilisation a défini le temps et s’est organisée autour de lui.

«Cette collection nous permet d’observer la manière dont chaque civilisation a défini le temps et s’est organisée autour de lui.»

La UR-105M Trinity T. rex contient un morceau d'os fossilisé de T-Rex.
La UR-105M Trinity T. rex contient un morceau d’os fossilisé de T-Rex.

Début 2023, vous avez intégré un morceau d’os fossilisé de T-Rex dans le modèle UR-105M Trinity T. rex. Pourquoi ce geste?

Felix Baumgartner: C’est une longue histoire. En avril, la maison Koller a proposé aux enchères un squelette (un assemblage d’os issus de trois différents T-Rex retrouvés dans le Nord-Ouest des Etats-Unis, ndlr). Lorsque ce squelette a été remonté pour la vente, une toute petite pièce est tombée. Parce qu’il était impossible de la recoller, on nous l’a proposée.

Martin Frei: Chez Koller, Christian Link (le responsable du département «Out of This World», ndlr) s’est souvenu que nous avions créé une montre T-Rex, dont la gravure du boîtier était inspirée du tyrannosaure. La maison Koller nous a donc proposé de placer cette vraie pièce de T-Rex dans notre montre.

Felix Baumgartner: Cela nous a beaucoup touchés. A la place de l’indicateur qui calcule le changement des huiles sur cinq ans, nous avons placé ce morceau de fossile. Il est comme un autre indicateur, d’un temps très long. C’est un peu comme si le propriétaire portait l’origine du monde sur son poignet.

«A la place de l’indicateur qui calcule le changement des huiles sur cinq ans, nous avons placé ce morceau de fossile. Il est comme un autre indicateur, d’un temps très long.»

Martin Frei: Oui, c’est une pièce unique qui a été vendue à un client de Hong Kong.

Depuis la création de votre marque en 1997, vous n’avez cessé de surprendre. A vos yeux, si l’on ne devait citer qu’un modèle qui résumerait votre philosophie et qui serait le concentré de ce qu’est Urwerk, lequel choisiriez-vous?

Felix Baumgartner: Urwerk est un puzzle dont il est difficile de définir la pièce principale. En revanche, ce puzzle a commencé à dévoiler une certaine image au moment où l’on a lancé la Ur-103. J’ai adoré la simplicité et la pureté de la Ur-101 et de la Ur-102 de nos débuts. C’était d’ailleurs le message que nous souhaitions passer: le fait qu’il y avait une alternative aux grandes complications. La 103 a continué à afficher une certaine simplicité mais elle portait en elle une tridimensionnalité qui est l’une des signatures de notre horlogerie. C’est la 103 qui nous a fait.

Martin Frei: Je suis d’accord pour la 103, mais j’ajouterais que notre dernière création est toujours LA montre. Urwerk est un projet évolutif et la dernière en ligne encapsule toutes les autres. Peut-être que la montre la plus «Urwerk» est celle qui n’existe pas encore, celle qui commence à prendre forme dans notre esprit…

La dernière création de Urwerk est la UR-230 inspirée de l'Opus 5 réalisé pour Harry Winston en 2005. Son petit nom est « Aigle » parce qu'elle chasse le temps avec son aiguille rétrograde énorme.
La dernière création de Urwerk est la UR-230 inspirée de l’Opus 5 réalisé pour Harry Winston en 2005. Son petit nom est « Aigle » parce qu’elle chasse le temps avec son aiguille rétrograde énorme.

Comme vous parlez de la dernière montre, qu’en est-il de la UR-230?

Felix Baumgartner: Elle puise ses origines dans un modèle créé il y a presque vingt ans: l’Opus 5 que nous avions réalisée pour Harry Winston en 2005, lorsque Max Büsser en était le CEO, avec des satellites qui tournaient à 95 degrés. Son petit nom est «Aigle»: c’est une montre qui chasse le temps avec son aiguille rétrograde énorme.

Sa boîte possède un décor qui ressemble à une carte topographique. Etait-ce voulu?

Felix Baumgartner: Son boîtier est en carbone forgé formé de 383 couches extrêmement fines qui forment ces motifs. C’est très léger et solide à la fois.

Martin Frei: Un peu comme un aigle. Cet oiseau de proie est très puissant, impressionnant, mais en même temps très léger. Nous avons eu l’idée de faire une montre à demi-chasse (qui dévoile une partie du cadran.

Felix Baumgartner: C’est un objet un peu brutaliste.

Urwerk: réflexions sur la nature du temps

Quand on regarde l’ensemble des montres que vous avez créées, une esthétique futuriste s’en dégage. Est-ce que les films de science-fiction que vous avez regardés quand vous étiez encore des enfants ont influencé le visage de vos montres ou est-ce le résultat d’une esthétique personnelle?

Martin Frei: Les deux. Nos montres sont le fruit de nos projections dans le futur, à travers la science-fiction, et du regard porté en arrière, vers l’histoire de l’horlogerie.

Pourtant rien ne ressemblait à vos montres avant que votre marque existe?

Martin Frei: D’un point de vue purement conceptuel, nous nous sommes inspirés de l’indication du temps telle qu’on la connaît depuis les années 1650. Nous nous sommes aussi inspirés d’inventions de Breguet et des grands maîtres du passé pour écrire notre horlogerie futuriste.

Felix Baumgartner: Le but d’avoir une montre à son poignet pendant des dizaines d’années, avant l’invention du quartz, c’était d’avoir un instrument de précision qui indiquait le temps. Nous avons amené une nouvelle couche d’émotion, d’intérêt, de culture, d’histoire, que nous avons déposée sur l’horlogerie. Je viens d’une famille d’horlogers et Urwerk s’inscrit dans cette tradition mais c’est une base sur laquelle nous avons ajouté des rêves, des fantasmes, tout ce que nous sommes, ce que nous avons vécu dans notre enfance, les films regardés, la musique écoutée, tous nos intérêts…

«Nos montres sont le fruit de nos projections dans le futur, à travers la science-fiction, et du regard porté en arrière, vers l’histoire de l’horlogerie.»

La première montre créée par Urwerk, la UR-101
La première montre créée par Urwerk, la UR-101

En parlant de cela, quand vous étiez adolescents, la culture des squats battait son plein, en Suisse. Ce que vous avez créé finalement, c’est une horlogerie alternative, comme on parle de culture alternative. Pensez-vous que si vous n’aviez pas baigné dans cette culture, vous auriez fait naître ce genre d’horlogerie?

Martin Frei: Personne ne nous a jamais posé cette question mais je pense que vous avez raison. Contrairement à la plupart des autres horlogers vivants, nous venons d’un endroit différent et cela a eu une influence.

Felix Baumgartner: Le style de musique que nous apprécions depuis notre plus jeune âge, ma mère qui adorait la musique punk, le jazz, le rock, tout ceci a eu une influence. J’ai grandi dans des vibrations alternatives. L’existence des squats à Genève ou à Zurich, le Wohlgroth, tout cela nous a poussés à créer une horlogerie différente, en effet.

Martin Frei: Nous ne sommes pas issus d’un milieu privilégié, nous sommes partis de rien et nous avons dû édifier notre entreprise comme on construit un bâtiment, pas à pas, étage par étage. Quand on commence à zéro, on voit les choses différemment que lorsque l’on hérite de l’argent ou une entreprise de sa famille.

Vous êtes-vous rencontrés dans un squat?

Martin Frei: Non, nous avons fait connaissance à Lucerne, dans une résidence d’artistes. Ce genre de communauté existait dans les années 1960 et même avant: c’était une manière de vivre ensemble, de créer ensemble.

«Je viens d’une famille d’horlogers et Urwerk s’inscrit dans cette tradition mais c’est une base sur laquelle nous avons ajouté des rêves, des fantasmes, tout ce que nous sommes, ce que nous avons vécu dans notre enfance, les films regardés, la musique écoutée, tous nos intérêts…»

Vous avez tous les deux choisi des directions assez différentes de celles empruntées par vos parents.

Felix Baumgartner: En effet. mon père était un horloger traditionnel qui réparait des pendules. Quant à Martin, il a quitté Zurich à la fin des années 1990 pour s’installer à New York comme artiste.

Martin Frei: Mon père était un ingénieur en recherche fondamentale. Il créait des instruments pour des institutions qui utilisaient des accélérateurs de protons. Parallèlement à cela, il était très doué en peinture et dessin, mais quand il était jeune, c’était plus «cool» de devenir ingénieur qu’artiste. Mes parents m’ont toujours soutenu dans mes choix. Ils étaient déjà tellement contents que je trouve quelque chose à faire qui me plaisait (rires)! J’ai emprunté un chemin certes différent du leur de prime abord, mais quand vous observez le monde de la science et celui de l’art, ils ne sont pas si différents. L’art aussi c’est de la recherche, de la construction, c’est comprendre le monde.

Comment étaient les débuts d’Urwerk?

Martin Frei: Je me souviens de Felix et de son frère Thomas qui avaient leur atelier près de la Placette au-dessus de la pizzeria l’Age d’Or. Je vivais à New York, à l’époque. On se voyait de temps en temps.

Felix Baumgartner: C’était rock’n’roll! C’était le début d’un mouvement d’indépendants qui aujourd’hui a pris une vraie place.

La pendule monumentale Space-Time Blade
La pendule monumentale Space-Time Blade

Début 2023, vous avez dévoilé la pendule monumentale Space-Time Blade. Elle devait être vendue en novembre lors de la vente aux enchères Only Watch, qui a finalement été annulée. Qu’allez-vous en faire?

Felix Baumgartner: Nous avions prévu de créer une série de ces pendules. Nous avons présenté le prototype dans nos ateliers, pendant Watches and Wonders, et nous allons continuer à en produire. Pour l’instant, on la garde chez nous.

La UR-102 Reloaded a été conçue en hommage aux premiers modèles de la marque.
La UR-102 Reloaded a été conçue en hommage aux premiers modèles de la marque.

En 2023, vous avez aussi lancé la UR-102 Reloaded, un hommage à vos premiers modèles. Quelle était l’intention derrière ce lancement: marquer le chemin accompli, rendre un hommage à vos origines?

Felix Baumgartner: Je ne suis pas du tout quelqu’un de nostalgique. J’essaie d’éviter de l’être et je n’y arrive pas toujours (rires). On devient un peu nostalgique de son histoire quand on refait une pièce. Celle-ci fêtait ses 25 ans. Yacine (Yacine Sar, la directrice de la communication, ndlr) a eu la bonne idée de l’appeler Reloaded. On a finalement pu fabriquer la 102 exactement comme on l’avait imaginée à l’époque, avec les possibilités d’aujourd’hui, tout en rappelant la simplicité, la pureté des débuts de Urwerk. Vous la connaissiez car vous avez assisté à nos débuts, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Croquis de la UR-102
Croquis de la UR-102

Martin, comment réussissez-vous à toujours nous surprendre avec un design différent, tout en créant des montres tellement identitaires que l’on reconnaît une Urwerk à 10 mètres?

Martin Frei: Je dirais que c’est le résultat d’étapes évolutives. Si vous construisez par-dessus tout ce que vous avez déjà créé, vous pouvez modifier certaines choses, tout en gardant certains éléments. La nouveauté s’inscrit ainsi dans une lignée avec des signes distinctifs. C’est une forme de maintenance. Mais il arrive parfois que quelque chose de complètement nouveau naisse de ce processus et ouvre ainsi une nouvelle voie à emprunter. C’est un processus de création naturel. L’artiste Roman Signer, qui fut mon professeur, nous demandait de limiter les outils avec lesquels nous jouions afin de créer «une expression». Avec Urwerk, c’est ce que nous avons fait. Nous avons créé nos propres règles, que nous suivons et notre travail est devenu plus sophistiqué avec le temps. Ce sera intéressant de voir ce qui sortira dans le futur de tout cela.

Felix Baumgartner: Nous racontons ensemble une histoire qui évolue, mais tout vient de nous, de ce qui nous inspire. Notre motivation première n’est pas d’augmenter notre chiffre d’affaires. Bien sûr que nous devons payer nos factures, mais nous avons trouvé un équilibre confortable. Ce n’était pas le cas à nos débuts: pendant les dix premières années, ce qui nous animait, c’était de la pure passion! Nous avions tous les deux des activités annexes qui nous permettaient de financer la marque et nos créations. Nous devons aimer chaque produit que nous faisons: nous ne commençons à le fabriquer que lorsque nous avons envie de le porter au poignet. Nous ne cherchons pas à cibler une clientèle particulière, à faire une montre pour les moins de trente ans ou pour les clients asiatiques. Notre motivation est assez pure et c’est sans doute ce que vous reconnaissez dans nos montres.

Martin Frei: Quand on regarde le passé de l’horlogerie, ce qui animait les horlogers, c’était le fait d’inventer de nouveaux mécanismes. La forme n’avait pas autant d’importance qu’aujourd’hui. L’aspect esthétique est une préoccupation de notre époque.

«L’artiste Roman Signer, qui fut mon professeur, nous demandait de limiter les outils avec lesquels nous jouions afin de créer «une expression». Avec Urwerk, c’est ce que nous avons fait. Nous avons créé nos propres règles, que nous suivons et notre travail est devenu plus sophistiqué avec le temps.»

Le modèle UR-T8 Transformer, une montre aux multiples visages
Le modèle UR-T8 Transformer, une montre aux multiples visages

Combien de montres fabriquez-vous par an?

Felix Baumgartner: Pendant de nombreuses années nous sommes restés très stables: nous fabriquions entre 120 et 150 montres. Puis nous avons senti la nécessité d’une évolution et depuis trois ou quatre ans, nous avons installé une petite croissance: nous fabriquons environ 250 montres par année. Faire le même volume est une forme de stagnation. Le changement est nécessaire.

Parlez-nous de l’acquisition de cet immeuble de la Vieille Ville où nous nous trouvons et où vous avez installé la compagnie. Etait-ce important pour vous d’avoir un point d’accroche qui soit à la fois une boutique et un atelier en plein cœur de la Genève historique?

Felix Baumgartner: Quand j’ai acheté ma maison à Hermance, il y a 15 ans, le contrat de vente a été signé ici-même! Ce lieu était une agence immobilière qui s’appelait Bucher & Moret. Nous étions assis dans cette pièce, d’ailleurs. J’ai immédiatement adoré ce lieu: c’était comme un voyage dans le temps, avec ces murs qui ont 700 ans. Cet endroit a un petit côté Jules Verne. La place du Bourg-de-Four est la plus belle de Genève, elle a une âme, elle est romantique, elle vit de 5 heures à 2 heures du matin. C’est une scène. Quand j’ai appris que l’agence avait fait faillite, j’ai commencé à me positionner pour qu’Urwerk puisse acquérir les lieux. Cela a pris cinq ans. Nous avons acquis trois étages, le reste est en PPE.

Martin Frei: Ce lieu nous permet d’exprimer tout l’esprit d’Urwerk, à la fois à travers nos montres et l’architecture. Nous avons travaillé avec un de mes amis, l’architecte zurichois Philippe Stuebi.

Felix Baumgartner: Au premier étage nous avons une Green Room, un lieu où l’on reçoit des clients. C’est un endroit exceptionnel et une manière pour des horlogers de reconquérir la Vieille Ville: on vit, on travaille ici, comme les cabinotiers d’autrefois.

«Quand on regarde le passé de l’horlogerie, ce qui animait les horlogers, c’était le fait d’inventer de nouveaux mécanismes. La forme n’avait pas autant d’importance qu’aujourd’hui. L’aspect esthétique est une préoccupation de notre époque.»

Quel est le Graal après lequel vous courez?

Martin Frei: Quand Max Büsser nous avait approchés pour créer l’Opus 5 de Harry Winston, nous avions eu l’idée de créer une montre qui s’appelait «Time Bandit».

Felix Baumgartner: Elle aurait fonctionné un peu comme une machine à sous, sauf qu’à la place des cerises, le temps apparaissait.

Martin Frei: Le concept voulait que l’on actionne un levier et que des rouleaux tournent et s’arrêtent en indiquant le temps précis. C’est techniquement très difficile à réaliser.

Felix Baumgartner: En réalité, cela aurait dû être l’Opus 5: elle avait été approuvée! Mais nous n’avons pas réussi à la fabriquer dans les temps.

Martin Frei: Le nom venait du film Time Bandits (un film d’aventure fantastique produit par Terry Gilliam en 1981, ndlr). De temps en temps je demande à Felix si on ne ressortirait pas ce projet… Mais peut-être que nous ne la fabriquerons jamais.

Urwerk: réflexions sur la nature du temps