ans les années 1970, Yves Piaget agit au cœur de la jet-set internationale: à travers les soirées «Piaget Society», le représentant de la quatrième génération est le meilleur ambassadeur de sa marque familiale. On le voit notamment à Gstaad aux côtés de la première James Bond Girl, la Bernoise Ursula Andress.

Les Seventies, c’est déjà l’essor du sport-chic horloger, avec l’acier qui se pose en matériau aussi «noble» que l’or. Mais Piaget veut remettre les pendules à l’heure, à sa manière: elle aussi lancera sa propre montre sport-chic, à la fin de la décennie, entièrement étanche, robuste aussi, mais surtout entièrement en or 18 carats et d’un seul tenant: bracelet et cadran dorés ne font qu’un sur le modèle Polo au motif alternant godrons polis et maillons satinés.

La toute nouvelle Piaget Polo, ici introduite en 1982 dans les colonnes d’Europa Star, aux côtés d’autres icônes de cette époque faste, qui continue de fortement influencer la création horlogère contemporaine.

©Archives Europa Star

A l’occasion de la réinterprétation de ce modèle de 1979 pour lancer les célébrations des 150 ans de Piaget, l’effet est toujours aussi fort au poignet. Une montre qui ne laissera absolument personne indifférent, alors que notre époque est plus que jamais placée sous le sceau du sport-chic. De quoi commencer l’année avec un vrai coup d’éclat. Nous avons rencontré son instigateur, le CEO de Piaget Benjamin Comar.

Benjamin Comar, CEO de Piaget

Europa Star: Quelle a été la genèse du lancement – ou plutôt de la relance – de la Polo 79, qui marque le démarrage du 150ème anniversaire de Piaget en 2024?

Benjamin Comar: C’était une demande de longue date des collectionneurs! J’avais aussi eu cette idée à mon arrivée dans la marque. Dès lors il est intéressant de se demander: pourquoi tout le monde avait cette même idée? Peut-être parce que cette pièce représente parfaitement, à mes yeux du moins, la créativité des années 1970: elle est voyante sans être vulgaire, c’est un bijou et une montre à la fois, elle se porte au sport et en soirée. Elle est la somme de tous ces paradoxes et s’il y a une chose que Piaget sait faire, c’est bien gérer les paradoxes et amener des propositions nouvelles sur le marché, loin du statu quo!

La nouvelle Piaget Polo 79 reprend les codes du modèle présenté à la jet-set par Yves Piaget il y a 45 ans, réalisé en or 18 carats.

Pourquoi cette envie de différence?

La marque était d’abord un fabricant de mouvements. Et dès qu’elle a commencé à produire des montres finies, elle a cherché à se distinguer. Ainsi, quand les montres de sport sont arrivées en force dans les années 1970, la réponse de Piaget a été un modèle sportif en or face à tous les modèles en acier de cette décennie! Le principe en était: «Nous revenons à l’or et nous fusionnons le bracelet et le cadran.» Cette montre porte un message puissant…

Par contraste avec la prise de pouvoir de l’acier, «Le temps Piaget ne se mesure qu’en or». Annonce de 1985

Quelles facettes de Piaget voulez-vous faire ressortir à l’occasion de cet anniversaire?

Réaffirmer que Piaget, c’est d’abord une marque joyeuse, colorée, toujours originale, un peu excentrique, avec de l’audace, des pierres ornementales, des couleurs et un savoir-faire profond dans le travail de l’or – cela à tous les niveaux, autant en horlogerie que sur la ligne Possession et sur la haute joaillerie.

Pour cet anniversaire, envisagez-vous plutôt de poursuivre la réinterprétation de modèles vintage à l’image de la Polo 79, en vous tournant vers votre héritage, ou de concevoir des pièces, voire collections, entièrement neuves?

La Polo 79 est la première pièce de cet anniversaire, mais pour le reste de l’année vous pouvez vous attendre davantage à des nouveautés qu’à des réinterprétations!

Pour correspondre aux tendances actuelles, le calibre à quartz a été remplacé par le calibre de manufacture automatique extra-plat 1200P1, visible à travers le fond en saphir du boîtier dont le diamètre a été légèrement agrandi à 38 mm.

Personnellement, êtes-vous attiré par une décennie ou période particulière?

Oui! Piaget a 150 ans d’histoire, mais l’une des périodes les plus créatives a été celle des Trente Glorieuses: quand j’ai envisagé de rejoindre la marque, j’avais cette période en tête. Durant les Trente Glorieuses, design, art et horlogerie se rejoignent. Je ne suis pas sûr de pouvoir faire du style Premier Empire ou du Louis XVI en revanche! (sourire)

Comment vous organisez-vous en termes d’héritage et d’archives? La Polo est une histoire célébrée, mais il y a certainement encore beaucoup de «pépites» moins connues à retrouver dans votre histoire…

Notre service patrimoine, dirigé par Jean-Bernard Forot, avec Alain  Borgeaud comme acheteur expert, est très efficace. Mais nous devons encore numériser tout un corpus d’archives, donc nous allons en effet sans doute découvrir de nouvelles «pépites». Une particularité de Piaget a été de toujours faire des séries assez courtes, ce qui a assuré à la marque une forte créativité historiquement. Mais il faut d’autant plus de temps pour tout traiter.

Avez-vous fait des surprises particulières en menant des recherches sur l’histoire de Piaget?

Oui, le travail de la marque sur l’opale, avec ce mélange caractéristique des couleurs, ce sens du style aigu, qui n’est pas le fruit du hasard: j’ai découvert que Valentin Piaget envoyait ses équipes à Paris durant la Fashion Week dans les années 1960 et 1970, ce qui était loin d’être anodin et certainement peu courant pour les marques horlogères traditionnelles! Il y a toujours eu ces deux facettes chez Piaget: un classicisme dans la production de mouvements couplé à une très forte ouverture sur la culture d’avant-garde. On retrouve aussi cela dans la communication et dans les publicités d’époque.

Vous avez redonné une place importante à l’horlogerie depuis votre arrivée, après plusieurs années qui semblaient dominées par la joaillerie. Était-ce une volonté stratégique?

En réalité nous visons systématiquement l’équilibre. Il ne faut pas opposer les deux activités, l’une nourrit l’autre!

Certes mais «fatalement» dans les marques avec ce double héritage, on constate que l’une des deux activités a tendance à prendre le pas sur l’autre (avec des retournements de situation au fil de l’histoire bien sûr)…

Je crois qu’après le covid les clients du luxe se sont rassurés avec du «hard luxury», ce qui a bénéficié autant à la joaillerie qu’à l’horlogerie. Ce qui est peut-être particulier en joaillerie ces dernières années – et qui donne une forte dynamique au segment – est la progression marquée dans la part de marché des produits signés face au «non branded».

Justement, pouvez-vous aussi nous donner un avant-goût de la manière dont vous envisagez cet anniversaire du point de vue joaillier?

Une toute nouvelle collection arrive cet été! Et notre collection-phare Possession fera l’objet de beaucoup d’animations… Nous avons la chance d’avoir sous un même toît horlogerie, haute horlogerie, joaillerie, haute joaillerie. C’est très rare!

Voyez-vous une industrie horlogère suisse qui va continuer d’être dominée par la montre sport-chic, comme le reflète peut-être la relance de la Polo 79?

Oui je le pense, car la culture du sport est de plus en plus présente dans la société. En mode, ce qui était réservé au domaine du sport est devenu courant dans notre vie quotidienne. Mais il y a toujours des effets de balancier.

Vous célébrez cet anniversaire alors qu’après plusieurs années d’euphorie et un record d’exportations en 2023, les perspectives commerciales sont moins enthousiasmantes pour l’industrie horlogère suisse cette année. Comment analysez-vous la situation?

Nous entendons rester optimistes et je suis certain qu’il y aura un redressement des marchés. Le luxe reste un domaine particulier, qui intéresse de plus en plus de clients potentiels. Et les nouvelles générations sont toujours mieux informées sur les marques de luxe. En ce qui nous concerne, nous avons été très «asiatiques» dans notre développement ces dernières années et entendons renforcer notre présence ailleurs dans le monde.

Quand on pense Piaget, on pense presque automatiquement ultra-plat. Allez-vous poursuivre la course au record du plus fin, alors que d’autres marques sont venues elles aussi sur ce terrain?

De plus en plus de marques s’intéressent à l’ultra-fin, après une période dominée par des dimensions plus larges, et j’en suis ravi. C’est bien d’être plusieurs sur ce créneau, cela en montre la portée, le dynamisme, et redonne ses lettres de noblesse à l’artisanat que nous pratiquons de longue date. Et cela ne concerne pas que l’Altiplano, ces développements techniques essaiment sur toutes nos lignes. J’en veux pour exemple la Polo Squelette très fine présentée il y a deux ans. Mais nous ne sommes pas dans une logique de records: notre créativité est d’abord au service d’une certaine esthétique.