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De l’Observatoire astronomique à Timelab

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août 2023


De l'Observatoire astronomique à Timelab

Héritière d’une ancienne tradition scientifique, la fondation privée Timelab délivre ses propres certifications chronométriques, ainsi que le prestigieux Poinçon de Genève. Outre la précision, elle met aussi l’accent sur la fiabilité et l’excellence des finitions des modèles qu’elle teste. Tout en collaborant avec des instituts de recherche pour faire évoluer la discipline. Reportage.

«A

près sa fondation en 1772, l’Observatoire astronomique de Genève a très rapidement intégré la mission d’aider les horlogers locaux dans leur quête de mesure du temps. Ainsi, on remarque la filiation qui va du premier observatoire jusqu’à Timelab aujourd’hui», relève Alexandre Chiuvé.

Exactement 250 ans après la fondation de l’observatoire, celui-ci a repris l’an dernier la tête de la fondation genevoise de droit privé Timelab, chargée notamment par le canton d’exploiter le fameux Poinçon de Genève, ainsi que d’assurer le contrôle et la certification des chronomètres, via l’Observatoire Chronométrique de Genève. L’authenticité de tous les certificats qu’elle délivre peut être vérifiée en ligne par le numéro de certification de la montre ou code QR.

Exemple de certificat de l'Observatoire Chronométrique de Genève
Exemple de certificat de l’Observatoire Chronométrique de Genève

Précédemment, Alexandre Chiuvé était passé par les départements techniques de deux vénérables noms de l’horlogerie genevoise, qui l’ont certainement bien préparé pour ce rôle: Vacheron Constantin et Rolex. Si l’exigeant Poinçon de Genève délivré par Timelab est bien connu des amateurs de Haute Horlogerie (il a été adopté par Cartier, Chopard, Louis Vuitton, Roger Dubuis, Vacheron Constantin et Ateliers de Monaco), le certificat de l’Observatoire Chronométrique de Genève a certainement pour vocation de se faire mieux connaître.

Louis Vuitton a affiché cette certification pour ses nouveaux modèles Tambour présentés cette année (lire notre article). Parmi les marques qui déclarent officiellement utiliser ce certificat figure aussi Longines, mais «davantage l’utilisent en interne».

De l'Observatoire astronomique à Timelab

Ne pas confondre avec le COSC

De fait, il subsiste une certaine confusion lorsqu’on évoque la certification chronométrique: un peu comme quand on parle de Jeep pour une voiture tout-terrain par raccourci de langage, le COSC est tellement dominant en la matière, avec ses deux millions de montres certifiées par année, qu’il en est devenu l’incarnation.

Or, Timelab, qui traite de son côté environ 5’000 montre par an, se pose en alternative en basant sa certification chronométrique sur la même norme ISO 3159.

Les sept critères de la norme ISO 3159 évalués pour l'obtention de la certification chronométrique
Les sept critères de la norme ISO 3159 évalués pour l’obtention de la certification chronométrique

Cet héritage chronométrique est ancien – et lié d’ailleurs au COSC, comme l’explique Alexandre Chiuvé: «Historiquement, les premiers concours chronométriques étaient organisés par et pour des privés. Les marques souhaitant faire valoir la précision de leurs modèles, sept écoles d’horlogerie suisses ont lancé au fil des décennies différents prix de chronométrie, mais selon des critères différents. Le Contrôle officiel suisse des chronomètres ou COSC est né dans les années 1970 pour uniformiser les pratiques. Pendant des décennies à Genève, c’est le canton qui a officié comme bureau officiel du COSC. Mais puisqu’il s’agissait d’un service destiné à des sociétés privées, l’Etat a souhaité confier cette mission à une fondation privée: cela a abouti à la création en 2008 de Timelab, qui a alors repris les attributions du bureau officiel du COSC. Aujourd’hui, la fondation assure sa propre certification chronométrique en tant qu’héritière de la tradition de l’observatoire de Genève.»

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OC+: aller plus loin que la norme

Etablie dans les années 1970, la norme internationale chronométrique ISO 3159 adoptée tant par le COSC (qui est une association à but non lucratif) que par Timelab a été révisée en 2009 – un processus lent au vu des évolutions technologiques et nouveaux matériaux qu’intègre rapidement le monde horloger.

Cette norme impose sept critères spécifiques pour obtenir le statut de chronomètre: les tests réalisés concernent la marche diurne moyenne, la variation moyenne des marches, la plus grande variation des marches, la différence entre les marches en positions horizontale et verticale de la montre, le plus grand écart des marches, la variation de la marche en fonction de la température et la reprise de marche. Les pièces (montre complète ou mouvement seul, selon le choix des marques) sont examinées durant 16 jours chez Timelab.

L’exigence la plus connue est certainement celle d’une marche diurne moyenne dont la variation ne doit pas dépasser des écarts de -4/+6 secondes, mais chaque critère comprend sa propre exigence de précision.

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Outre le certificat de chronométrie répondant à la norme ISO 3159, Timelab a également lancé un label OC+ (Observatoire Chronométrique+): plus exhaustive dans ses exigences, elle comprend, en plus du respect de cette norme, la mesure de l’étanchéité, de la résistance au magnétisme et de la durée de marche.

De plus, concernant la chronométrie, un critère de marche «dynamique» est également pris en compte: au lieu d’être stockée dans une position particulière, la pièce reste en mouvement sur un «cyclotest» durant 24 heures. Seules les montres sont testées (pas d’essais sur mouvement, contrairement à l’ISO 3159).

«La précision est importante, mais la fiabilité aussi, souligne Alexandre Chiuvé. Cette certification prend en compte ces deux aspects.» Alors que la lutte contre le magnétisme est sur le devant de la scène (les échappements en silicium sont d’ailleurs acceptés dans les certifications livrées par Timelab), la fondation est en train d’élever ses exigences en la matière.

Quand Genève crée son propre label

Une autre certification importante délivrée par Timelab est bien sûr le fameux Poinçon de Genève, une distinction qui s’adresse exclusivement aux horlogers et manufactures de Haute Horlogerie établis sur sol genevois. «Le Poinçon de Genève reflète le statut de la ville en tant que véritable berceau de la Haute Horlogerie», relève non sans fierté Alexandre Chiuvé.

C’est en 1886 que le Grand conseil genevois, répondant aux attentes des fabricants locaux, crée cette mesure de protection visant à préserver la renommée place horlogère genevoise de toute appropriation abusive, ainsi qu’à maintenir l’emploi sur place. Plus précisément, la «Loi sur le contrôle facultatif des montres» établissait l’instauration d’un Bureau de contrôle des montres genevoises chargé d’apposer sur les montres présentées par des fabricants établis à Genève le poinçon officiel de l’Etat, sur une pièce du mouvement (platine et un pont), le plus en vue possible – un rôle de fait endossé, plus d’un siècle plus tard, par Timelab.

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Les maisons Vacheron Constantin et Patek Philippe seront les premières à bénéficier du prestigieux label. Et gare à ceux qui auront imité, contrefait ou falsifié les poinçons ou les certificats: ils seront soumis à des peines prévues à l’article du Code pénal...

Le règlement du Poinçon de Genève précise les conditions de son obtention. Contrairement aux certificats de chronométrie évoqués jusqu’ici, qui s’en tiennent strictement à la bonne marche des modèles, ce label insiste particulièrement sur la notion de «bienfacture» chère à l’horlogerie genevoise.

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Ainsi, les composants du mouvement (platines et ponts, système réglant, rouages et rubis, pièces de formes) et l’habillage sont examinés afin de «garantir une esthétique irréprochable et un assemblage parfait», souligne Timelab. Car une montre marquée du Poinçon de Genève «n’est pas qu’un instrument de décompte du temps, il s’agit d’une œuvre d’art». Un grand nombre de composants doivent afficher des angles polis et des flancs étirés, tandis que les ressorts fils ne sont pas admis.

Répertorier tous les modèles Poinçon de Genève

Outre les terminaisons, la fiabilité du modèle est également évaluée par plusieurs contrôles rigoureux (fonctions, étanchéité, précision de marche et réserve de marche), effectués sur la montre complète. Après sept jours, la montre ne doit pas varier de plus d’une minute, entre autres tests pris en compte. Un comité technique composé d’experts, comme par exemple l’horloger genevois Florian Preziuso actuellement, est chargé de la définition des critères du Poinçon de Genève et de la mise à jour du règlement en fonction des innovations technologiques.

De l'Observatoire astronomique à Timelab

«Ce règlement est justement en cours de révision, autour de deux éléments: une meilleure définition des exigences et l’inclusion potentielle de nouveaux critères, comme l’éco-responsabilité, la réparabilité et l’accès aux composants», précise Alexandre Chiuvé. La territorialité, point sensible, pourrait aussi être remise en question à terme, avec certaines opérations qui pourraient être effectuées hors du canton de Genève, plus en accord avec l’évolution des pratiques.

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Timelab s’est aussi mise à répertorier toutes les montres ayant bénéficié du Poinçon de Genève depuis 1886, avec son initiative «Héritiers de l’Excellence» permettant aux détenteurs ou héritiers de tels modèles de partager l’histoire de leur garde-temps: la fondation a déjà dénombré plus d’un million d’exemplaires!

Administrée par un conseil de fondation de sept membres désignés par le Conseil d’État de Genève, Timelab mène également, au-delà de ces diverses certifications, des tests sur mesure pour les marques, comme la résistance aux chocs ou la tenue des bracelets, réalisés dans son laboratoire. La fondation, forte de 15 collaborateurs, travaille par ailleurs avec des instituts de recherche, écoles techniques et universités pour le développement de l’horlogerie, de la microtechnique et de la formation professionnelle. Avec l’Hepia, elle vient notamment d’étudier l’application de l’intelligence artificielle pour déterminer précisément la position des aiguilles par machine learning. Et s’assure ainsi, malgré son long héritage, de bien rester en phase avec son temps.

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