Horlogerie et environnement


«En innovant, nous atteindrons une traçabilité à 100%»

CASE STUDY

juillet 2022


«En innovant, nous atteindrons une traçabilité à 100%»

Faisant partie du leader mondial du luxe, Bulgari est tenue de suivre les objectifs de développement durable fixés au niveau du groupe LVMH. Nous avons rencontré Eleonora Rizzuto, Chief Ethics & Compliance Officer et Director Corporate Sustainability & Responsibility, dans le cadre de notre série sur la durabilité et l’industrie horlogère.

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ulgari est l’un des piliers du pôle «Joaillerie et Horlogerie» de LVMH, le leader mondial du luxe. L’approche ESG du groupe est fondamentale de par le nombre de marques qu’il détient et donc son impact sur le terrain, mais aussi par les signaux qu’il envoie à toute une industrie.

Dans son rapport de durabilité 2021, LVMH annonce – au niveau du groupe – des émissions globales de 4.8MTeqCO2 (millions de tonnes équivalent carbone). Mais il ne distingue pas les constats par marques. Il vaut ainsi la peine de s’intéresser de plus près aux cas particuliers posés par celles-ci.

Quel est l’impact d’une marque mondialisée et leader comme Bulgari dans le domaine de la joaillerie et de l’horlogerie? Quelles actions spécifiques entreprend-elle en matière d’ESG, pour quels objectifs et quelles échéances? Pour en savoir plus, nous avons rencontré Eleonora Rizzuto, Chief Ethics & Compliance Officer et Director Corporate Sustainability & Responsibility chez Bulgari.

Europa Star: LVMH publie un rapport de durabilité au niveau du groupe, mais aucun détail n’est précisé par marque. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le cas spécifique de Bulgari?

Eleonora Rizzuto: La marque rend compte de son impact environnemental et le mesure chaque année; les résultats sont communiqués annuellement à l’échelle du groupe. Afin d’être totalement transparent, nous sommes en train de finaliser pour l’automne 2022 les calculs de notre empreinte carbone. Nous avons commencé il y a longtemps à nous atteler à ce sujet. Dès 2012, les énergies renouvelables ont été privilégiées sur les sites de production. Aujourd’hui, 100% de la production est alimentée de cette manière sur nos sites de Valenza, Florence, ainsi qu’en Suisse. De même, chacune de nos 200 boutiques rénovées depuis 2013 utilise des matériaux recyclés. Elles sont strictement contrôlées pour leur consommation d’électricité et sont dotées à 100% d’ampoules LED.

Bulgari a établi un plan d’action pour mesurer ses émissions et agir en conséquence à tous les niveaux clés que sont la production, les points de vente et le transport. Ainsi, sur les sites de production, nous avons mis en place des systèmes de certifications (ISO14001, ISO 45001) qui nous permettent d’avancer vers une diminution constante de notre empreinte carbone et une amélioration continue de nos performances environnementales.

Eleonora Rizzuto, Chief Ethics & Compliance Officer et Director Corporate Sustainability & Responsibility, Bulgari
Eleonora Rizzuto, Chief Ethics & Compliance Officer et Director Corporate Sustainability & Responsibility, Bulgari

Vu l’urgence des bouleversements climatiques, environnementaux et sociaux, le temps presse pour agir…

Pour lutter contre le réchauffement climatique, le but est de contribuer au mieux à l’objectif du groupe d’avoir une trajectoire carbone compatible avec l’Accord de Paris de 2015, en réduisant de 50% les émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation énergétique des sites et boutiques d’ici 2026 (base 2019), grâce à la politique de 100% d’énergie renouvelable déjà appliquée par Bulgari.

Notre engagement est permanent en faveur de pratiques durables et éthiques dans tous les aspects de notre activité. Nous sommes certifiés membre du Responsible Jewellery Council depuis 2006, Chain of Custody (du même RJC, ndlr) depuis 2015 et œuvrons à baisser nos émissions carbones en propre ainsi qu’avec tous nos partenaires. Notre approvisionnement en or minier pour l’horlogerie et la joaillerie est 100% éthique depuis cette année, et l’or recyclé est lui aussi tracé à 100% grâce à nos partenaires, comme Metalor par exemple. C’est un système intégré et global avec tous nos fournisseurs. Nous travaillons avec le groupe sur un système similaire couvrant les pierres de couleurs, car il n’y a pour le moment pas de standard global.

LVMH a mis en place une feuille de route en matière d’ESG, intitulée «Life 360», qui compte quatre piliers principaux. Comment vous inscrivez-vous dans ce cadre?

L’une des actions concrètes dans ce domaine est le partenariat avec Forestami, un projet de reforestation urbaine qui prévoit la plantation de 3 millions d’arbres d’ici 2030 à Milan. Bulgari contribuera à financer ces plantations. Ce projet contribue à l’objectif du groupe LVMH de régénérer et /ou réhabiliter 5 millions d’hectares d’habitat de la faune et de la flore d’ici 2030. L’ambition de Bulgari est de faire de même autour de notre site de Valenza.

Dans la continuité des engagements du groupe LVMH, nous contribuons également à l’objectif de zéro plastique vierge d’ici 2026. Afin de poursuivre cet objectif, Bulgari s’est engagé, depuis 2019, à éliminer progressivement les plastiques à usage unique de ses bureaux, magasins et sites de production et à partager les meilleures pratiques avec ses employés dans le but de les sensibiliser aux questions environnementales.

«En innovant, nous atteindrons une traçabilité à 100%»

Qu’en est-il des emballages?

Nous avons introduit l’an dernier un nouvel emballage sans plastique pour les lignes de base des bijoux et des montres. Grâce à ce nouvel emballage, qui permet une réduction de 96 % du plastique par rapport à la version actuelle, Bulgari économisera plus de 160 tonnes de plastique chaque année (sur la base des volumes de 2019).

En octobre 2021, Bulgari a également introduit ses nouvelles cartes de garantie et de certificat d’authenticité sans plastique, fabriquées en papier 100% recyclable, pour les montres, les bijoux et les accessoires. Résultat tangible de cet effort: sept tonnes supplémentaires de plastique seront économisées chaque année.

L’économie circulaire est le troisième pilier du programme «Life 360» de LVMH. Un point particulièrement important pour votre marque…

Pour nous, l’économie circulaire se traduit par l’adoption de modèles de réutilisation, de recyclage et d’innovation, afin de garantir non seulement un approvisionnement responsable et la traçabilité des matières premières, mais aussi la récupération de matières premières secondaires. Dans cette optique, Bulgari a soutenu en 2017 la création de l’Alliance Italienne pour l’Economie Circulaire, dont les principes et les actions guident une évolution du contexte de production dans une structure circulaire, valorisant l’excellence italienne. La participation d’entreprises opérant dans différents secteurs est l’un des principaux atouts de l’Alliance, car elle permet de créer des synergies entre les industries et de dégager des possibilités de générer une valeur partagée.

Pour Bulgari, cela passe aussi par une réflexion sur le cycle de vie des produits, en incitant à une plus grande attention sur la conception des produits pour la réduction des déchets à la source, en augmentant les taux de réutilisation et de recyclage des déchets. Par exemple, Bulgari met actuellement en œuvre l’approche de «Life Cycle Assessment» afin de mesurer scientifiquement l’impact environnemental de ses produits – à commencer par les parfums et les accessoires.

Le dernier volet de ce programme est la traçabilité. Sur son site, Bulgari évoque la création d’un système dédié d’identification sur tous les nouveaux produits d’ici 2026. De quoi s’agit-il?

L’idée est de transposer ce qui est fait sur l’or, comme le passeport biométrique de l’or de Metalor, pour tracer l’origine de toutes les matières. En janvier 2021, le processus global de «Due Diligence» de l’OCDE a été mis en place. Tout va dans le même sens: c’est loin d’être évident et nous sommes encore en phase d’expérimentation, mais cela progresse vite.

Bulgari est à l’origine du prix «Swiss Genius» pour promouvoir l’innovation en matière de responsabilité sociale des entreprises. En 2022, il a été décerné à trois jeunes filles pour la création d’une application favorisant les meilleures pratiques de communication en matière de ESG dans le luxe. L’urgence n’est-elle pas à la promotion de démarches concrètes plus qu’à une communication vertueuse?

Ce que montre surtout ce prix, c’est que la jeune génération n’envisage absolument pas n’importe quel type de travail dans une entreprise sans un aspect durable et éco-responsable. Ce projet lie tout l’écosystème des universités et de l’industrie autour de ce thème. Bulgari donne ainsi l’opportunité à tous ces jeunes de se mesurer au monde réel de l’entreprise. C’est une démarche globale.

Vous évoquez la nécessité d’une collaboration plus étroite dans l’industrie pour plus d’efficacité. Seriez-vous prêts à rejoindre la Watch & Jewellery Initiative 2030, pour prendre cet exemple?

Il y a beaucoup d’initiatives de collaboration entre les entreprises. Par exemple, The Dragonfly Initiative sur les pierres précieuses a été lancée dès 2014 et est toujours en cours. Il est évident qu’il faut collaborer pour avancer. Rien n’est décidé concernant l’Initiative 2030, mais je suis toujours ouverte aux possibilités de coordonner les efforts.

Le luxe ne devrait-il pas repenser son modèle de croissance pour inspirer le consommateur vers plus de respect, de responsabilité et de contribution au bien commun?

Pour Bulgari et LVMH, le premier défi est de bien tenir nos objectifs énoncés dans le cadre du programme «Life 360», de progresser par synergies au sein du groupe en utilisant au mieux les compétences de chacun. Concernant l’industrie du luxe, elle a déjà beaucoup progressé en créant de la valeur sur les territoires, en perpétuant des savoir-faire d’excellence. Cela bénéficie à la société en général.

Mais l’industrie doit faire plus, c’est certain. Le développement du marché de la seconde main va aussi dans le bon sens. Le luxe doit bien sûr être exemplaire dans son empreinte sur l’environnement. L’équilibre entre le volet de l’éthique sociale et l’environnement est le défi le plus difficile à gérer. Mais il faut le faire. Je crois beaucoup en l’innovation. Elle va nous permettre d’atteindre une traçabilité à 100%, qui offrira une transparence réelle. Elle facilitera l’éco-design et favorisera l’économie circulaire, base nécessaire d’un nouveau modèle économique. Pour y arriver, il faut une vision globale qui engendre une symbiose industrielle.