Horlogerie et environnement


MycoWorks: le spore chic à la conquête du luxe

BIOMATÉRIAUX

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janvier 2024


MycoWorks: le spore chic à la conquête du luxe

Les biomatériaux commencent à faire leur apparition dans le haut de gamme. L’un des plus flexibles et appréciés reste le champignon. Nous avons rencontré la startup MycoWorks, qui se spécialise dans la R&D en ce sens, avec des applications spécifiques pour le monde du luxe grâce au biomatériau qu’il a conçu, Reishi™, aujourd’hui utilisé par Hermès, General Motors ou encore Ligne Roset. Explications.

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armi les innovations qui peuvent aider les entreprises à réduire leur impact environnemental (carbone, énergie, eau, plastique, pollution, etc), les biomatériaux constituent une des pistes les plus prometteuses. Les initiatives se multiplient (lire ici), mais elles doivent être évaluées à l’aune de leur possible mise à l’échelle nécessaire pour réellement faire une différence.

L’entreprise américaine MycoWorks, née en 2013, est en train de passer à une échelle commerciale importante et l’attrait de sa technologie Fine Mycelium™ qui donne naissance à un nouveau produit, Reishi™, ne laisse aucune industrie indifférente, luxe compris. Europa Star les a à nouveau rencontrés lors du salon Biofabricate à Paris en janvier 2024.

Sac de Hermès en Sylvania
Sac de Hermès en Sylvania
Courtesy of MycoWorks, Photo By Coppi Barbieri

Co-sponsor du salon avec Kering, MycoWorks fait office de figure de proue dans le monde des biomatériaux. En effet, après avoir prouvé la validité de son concept et sa qualité applicable au luxe, avec le sac Victoria d’Hermès sorti en 2021 et réalisé en Sylvania (nom donné par la marque à cette nouvelle matière issue de la technologie Fine Mycelium™, ndlr), l’entreprise a accéléré son développement. Sa nouvelle usine de Caroline du Sud est totalement opérationnelle et les premiers lots de taille «commerciale» de Reishi™ commencent déjà à être expédiés.

La marque Allen St. réalise ses accessoires en Reishi™.
La marque Allen St. réalise ses accessoires en Reishi™.
Courtesy of MycoWorks, Photo By Pol Rebaque

Les atouts de Reishi

Matthew L. Scullin, PDG de MycoWorks, confirme: «La production se passe très bien. Nous sommes même en avance sur nos projections. Nous avons récolté nos premières 1’000 «feuilles» de Reishi et les prochaines 10’000 le seront dans les six prochaines semaines. Elles seront ensuite expédiées vers les tanneries de nos partenaires experts pour être transformées.»

Matthew L. Scullin, PDG de MycoWorks, lors de la présentation de la société au salon Biofabricate à Paris en janvier 2024
Matthew L. Scullin, PDG de MycoWorks, lors de la présentation de la société au salon Biofabricate à Paris en janvier 2024

La force de MycoWorks est la qualité indéniable du produit final, sa texture, sa douceur, sa flexibilité, sa résistance. La technologie est unique, comme l’explique Fred Martel, senior vice-président en charge des ventes de l’entreprise: «La pousse de notre Reishi est basée sur un substrat naturel. Il peut se développer «pur» ou intégrer une feuille de coton à travers laquelle se développe le mycelium. Le résultat est une nouvelle matière dont le rendu rappelle le cuir tant dans sa souplesse que ses performances.»

Le Reishi™ dans ses diverses finitions
Le Reishi™ dans ses diverses finitions
Courtesy of MycoWorks, Photo by Pol Rebaque

Grâce à l’étude du cycle de vie complet de son produit, effectuée par des indépendants (voir ici), Mycoworks démontre que l’impact de Reishi est largement inférieur à son équivalent en cuir animal: 2.7 à 5.8 kg/m2 (selon le produit final) de Reishi, à comparer à 61kg/m2 pour le cuir animal. Une réduction de plus de 90% en terme d’émissions.

Mais l’impact ne se résume pas à cela. La production de Reishi utilise beaucoup moins d’eau, d’énergie et de polluants que son équivalent animal. L’usine de Caroline du Sud fonctionne à l’énergie solaire et hydraulique. Le tannage, passage obligé pour garantir la qualité finale, ne fait pas appel au chrome (polluant notoire des tanneries du cuir animal), utilisé pour fixer le collagène présent dans les peaux animales pour les rendre imputrescibles. Cela n’est pas nécessaire avec le Fine Mycelium car il est végétal. Il se résume surtout à un travail de lubrification. Il réplique cependant toutes les étapes d’un tannage traditionnel de la maroquinerie, comme le foulonnage pour conférer de la souplesse.

Exemple de rendu «grené» d'une feuille de Reishi
Exemple de rendu «grené» d’une feuille de Reishi
Courtesy of MycoWorks, Photo by Pol Rebaque

Souvent, MycoWorks sous-traite ce savoir-faire à des entreprises partenaires ou livre directement des «feuilles» de Fine Mycelium™ à ses clients pour qu’ils procèdent à leur tannage propre (comme l’a fait Hermès pour son sac Victoria en Sylvania). Mais les vertus du biomatériau se révèlent aussi lors du procédé de tannage. Ainsi, Fred Martel précise: «Nos feuilles de Reishi peuvent être refendues jusqu’à 0,2 mm et démontrent à cette épaisseur une meilleure résistance que le cuir animal.»

Cette qualité s’améliore encore au sein de la nouvelle usine. Matthew L. Scullin détaille: «Nous avons automatisé un bon nombre d’étapes nous permettant de ne conserver que les interactions humaines nécessaires à l’amelioration qualitative de notre matériau. Ceci nous a permis d’accélérer la production de masse, d’obtenir une qualité encore plus consistante et de baisser radicalement les coûts.» Le savoir-faire de MycoWorks est, avant tout, dans la technologie et dans la capacité unique du mycelium à intégrer d’autres matières dans sa pousse, comme le coton actuellement… mais les possibilités sont quasi illimitées.

Dernier point important, Reishi est pratiquement zéro-plastique. Ceci peut paraître incongru comme qualité, mais il faut savoir que la plupart des cuirs intègrent ou sont recouverts d’une couche, plus ou moins épaisse, de polyuréthane ou de PVC pour assurer leur protection. Avec Reishi, c’est moins de 1% de la composition globale du matériau… et MycoWorks peut même livrer ses feuilles sans finition de surface, comme ce fut le cas pour Hermès.

Applications dans l’automobile

Avec la collaboration réussie pour Hermès, MycoWorks s’attendait à ce que de nombreuses autres marques de luxe, dans la mode notamment, les contactent. Fred Martel raconte: «Le sac Victoria d’Hermès était une superbe vitrine, un immense coup de projecteur sur les potentialités de notre Reishi. Mais nous avons été surpris par les retombées… qui se sont faites plutôt dans d’autres secteurs. Davantage dans le premium que dans le luxe pur.»

Ainsi, dès 2022, General Motors les a contactés pour développer une matière en remplacement du cuir animal, gros poste d’impact pour le constructeur automobile. Les premiers sièges en Reishi devraient voir le jour d’ici quelques années. «C’est un excellent étalon pour évaluer les performances de notre Reishi. Les contraintes sur les sièges auto en cuir sont très fortes. La résistance et la souplesse sont mises à rude épreuve par les écarts de températures, les frottements, les griffures, les tâches. Signer avec le constructeur nous a ouvert d’autres portes», explique Fred Martel.

Frédéric Martel, vice-président en charge des ventes de MycoWorks
Frédéric Martel, vice-président en charge des ventes de MycoWorks

Pas étonnant que Natalie Portman, ardente avocate de la cause durable, et John Legend, aient investi dans l’entreprise MycoWorks lors de la levée de fonds de 187 millions de 2022. Et la diversification premium se poursuit. Dernier en date, le fabricant de meuble haut de gamme français, Ligne Roset, vient d’annoncer sa collaboration avec MycoWorks.

«Nous sommes fiers d’être les premiers à introduire le Reishi dans nos collections et dans l’industrie du design de meubles. Nous attendions depuis des années un matériau naturel, durable, qui réponde à nos standards de qualité et à l’attente de nos clients. Nous pensons que le Reishi est la solution», explique Antoine Roset, directeur marketing du Groupe Roset, dans leur communiqué de presse. De nombreux produits en Reishi devraient voir le jour en 2024 chez Ligne Roset.

Ligne Roset x Reishi
Ligne Roset x Reishi
Courtesy of MycoWorks, Photo By Pol Rebaque

La mode…et l’horlogerie?

Les marques de mode s’en emparent également. Les chapeaux sur mesure de Nick Fouquet avaient déjà fait parler d’eux en 2022. À présent, c’est sur les podiums de la Fashion Week de Paris que le Reishi défile avec les manteaux de Deadwood, la marque de niche suédoise empreinte de durabilité et de design pointu.

Les manteaux en Reishi Deadwood
Les manteaux en Reishi Deadwood
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Dans sa version «naturelle», le Reishi utilisé dévoile la richesse de sa palette de couleurs et de motifs uniques. Mais les possibilités sont encore plus larges. La personnalisation des feuilles de Reishi est infinie: «Il est tout à fait possible d’intégrer au sein même de la pousse du Reishi, un motif, un mot, un logo, que le mycelium va venir «embosser» directement dans la matière», révèle Fred Martel.

Nick Fouquet x Reishi
Nick Fouquet x Reishi
Courtesy of MycoWorks, Photo By Aran Martinez Solana

Les possibilités sont illimitées. Du kevlar dans votre costume en Reishi? De l’acier conducteur pour votre tableau de bord intégré? Votre logo directement dans votre bracelet? Les idées ne manquent pas.

Et l’horlogerie dans tout cela? Plusieurs marques, que la discrétion légendaire du luxe garde secrètes pour le moment, seraient intéressées et en discussion avec la société américaine. Son vice-président confirme: «Nous sommes en phase de réflexion avec certaines grandes marques. Les défis sont nombreux en termes de qualité, de résistance à la transpiration, d’hypoallergénie, de flexibilité pour les bracelets de montres en particulier. Mais d’autres débouchés existent, notamment dans le retail pour les displays. Le matériau est innovant, très qualitatif et permet de réduire de manière conséquente les impacts en émissions carbone, en utilisation de l’eau et en polluants. Ce n’est que le début.»

Autre point important: chaque feuille de mycelium possède son propre code unique pour en assurer l’authenticité et la traçabilité. Une vraie «matière miracle» que l’on ne devrait pas tarder à retrouver dans une horlogerie soucieuse de son empreinte environnementale? À suivre!

MycoWorks: le spore chic à la conquête du luxe