Joaillerie et horlogerie


Giorgio Bulgari lance une nouvelle marque de bijoux

ENTRETIEN

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juin 2023


Giorgio Bulgari lance une nouvelle marque de bijoux

Le fils de Gianni Bulgari vient de lancer sa propre marque de joaillerie baptisée Giorgio B. Des collections conçues dans une esthétique inspirée du Streamline des années 1930. Rencontre.

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epuis ses bureaux de la Vieille Ville de Genève, Giorgio  Bulgari a une vue plongeante sur la cime des arbres avoisinants. Un lieu paisible, propice à la création. Il s’est entouré de locomotives, non par nostalgie d’une enfance oubliée mais plutôt par souci stylistique. Le mouvement Streamline né à la fin des années 1920, avec ses lignes pures et ses volumes, l’inspire.

L’envie de créer des bijoux anime Giorgio Bulgari depuis qu’il est enfant. Il a grandi dans cet univers, vouant à son père, le joaillier Gianni  Bulgari, une admiration immense. Mais avant de continuer la lignée familiale, il a pris quelques chemins de traverse. Après des études d’histoire de l’art et de communication effectuées à Boston, il est entré dans le monde de la finance. Pendant quatre ans, il a fait du trading avant de ressentir l’envie de rentrer en Europe et de trouver sa place au sein de la lignée familiale: chez les Bulgari, on est orfèvre et joaillier de père en fils depuis 1884.

Avant de continuer la lignée familiale, Giorgio Bulgari a pris quelques chemins de traverse. Après des études d’histoire de l’art et de communication effectuées à Boston, il est entré dans le monde de la finance.

Depuis 2003, l’horlogerie et la joaillerie sont devenus son univers. Giorgio Bulgari a d’abord rejoint son père dans la compagnie horlogère Enigma qu’il avait créée en 1989 puis, en 2014, il est entré comme directeur artistique chez Marina B. que sa tante Marina  Bulgari avait fondée en 1978 et qui appartenait alors à Paul Lubetsky, le PDG de Windsor Jewelers à New York. Ce n’est qu’en 2017 qu’il a décidé de se lancer en tant que joaillier indépendant, débutant par des bijoux de commande. L’arrêt imposé par la pandémie lui a donné le recul nécessaire pour envisager de véritables collections sous la marque Giorgio B. La première présentation a eu lieu à Saanen en février devant un public restreint et le lancement officiel s’est déroulé à Londres au Dover Street Market en mai dernier.

Giorgio Bulgari
Giorgio Bulgari

Ses bijoux ont commencé à faire parler d’eux lorsque Sharon Stone a porté une paire de boucles d’oreilles de sa collection Palma lors de la cérémonie des Oscars le 12 mars dernier. Quand on lance sa marque, il faut posséder un excellent réseau pour réussir à «accessoiriser» une star comme Sharon Stone. Par chance, Jasmine Vidal, la consultante en communication de Giorgio B. connaît bien Paris Libby, le styliste de l’artiste. Elle lui a envoyé les images des collections et deux jours avant les Oscars, il l’a rappelée: les boucles d’oreilles Palma en or serti de diamants étaient assorties à la robe de Sharon Stone à la soirée des Oscars donnée par Vanity Fair.

Deux jours plus tard, la star portait une version en or rose non sertie des mêmes boucles d’oreilles, ainsi que le collier assorti, lors du vernissage de «Shedding», l’exposition de ses peintures qu’elle avait réalisées pendant le confinement et qui s’est tenue à la galerie Allouche à Los Angeles. C’est ce que l’on appelle avoir de la chance… Rencontre avec Giorgio Bulgari.

Boucle d'oreille de la collection Goccia
Boucle d’oreille de la collection Goccia

Europa Star: Après avoir terminé vos études à 21 ans, vous êtes entré dans le monde de la finance. Qu’en avez-vous appris qui vous serve encore aujourd’hui?

Giorgio Bulgari: Quand on m’a engagé, on m’a assuré qu’après 3 à 6 mois, j’allais gagner un salaire à six chiffres. C’était une offre que je ne pouvais pas refuser: à l’époque je vivais avec 1’000 dollars par mois. Je ne connaissais pas ce domaine et j’étais avide de connaissances. Je tradais sur le Nasdaq. Nous étions à la fin de l’année 1998, la Bourse était très volatile et cette volatilité permettait de gagner de l’argent. Quand j’ai reçu mon premier chèque, en février 1999, il comportait effectivement six chiffres. J’ai fait cela pendant quatre ans. Ce job m’a donné l’envie d’entreprendre et m’a permis de mieux me connaître. Avec ce métier, on apprend à gérer le Fear and Greed, la peur et l’avidité. Il faut trouver un compromis entre les deux.

Vous avez grandi entouré de dessins, de pierres, quand votre père travaillait encore chez Bulgari. Est-ce que vous vous êtes dit, enfant, que vous alliez faire ce métier plus tard?

J’ai toujours voulu faire cela. J’admirais mon père qui était un personnage extraordinaire. Sa vie était comme une fable avec toutes les personnalités qu’il a rencontrées: Grace Kelly, Liz Taylor,… Il était très charismatique, il savait piloter des avions, des automobiles. Je voulais l’imiter. Il a quitté Bulgari en 1987 quand j’avais dix ans puis il a créé la société horlogère Enigma.

Collier de la collection Palma, inspirée de l'esthétique Streamline
Collier de la collection Palma, inspirée de l’esthétique Streamline

Vous représentez la quatrième génération de joaillier qui porte le nom  Bulgari. Avez-vous le sentiment de vous inscrire dans cette lignée familiale?

J’ai l’obligation de faire les choses bien car j’ai une responsabilité à l’égard de mes ancêtres. Mais en même temps, je dois trouver une nouvelle expression esthétique et un langage qui m’appartiennent. Je pense qu’il y a une certaine corrélation entre mes bijoux et ce qu’a fait la maison Bulgari: la stylisation, la géométrie, le volume, par exemple. Ces éléments font partie de mon héritage que j’exprime avec une vision plus contemporaine.

En 2017, vous avez commencé à créer des bijoux pour des clients privés. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de créer votre marque?

J’avais presque 40 ans et l’envie de créer quelque chose qui m’appartienne. J’ai commencé en créant des pièces commissionnées par des clients. J’avais déjà établi un très grand réseau de marchands de pierres précieuses et de fabricants en Italie. J’ai fondé ma maison et j’ai livré ma première pièce en septembre 2017. Mais quand on crée un bijou sur commande, il y a toujours des facettes de la pièce qui sont représentatives du client. Petit à petit, j’ai eu envie de faire des bijoux qui soient le fruit de ma propre créativité. J’ai commencé avec des pièces uniques que je présentais lors d’expositions puis j’ai créé deux collections - Palma et Goccia - que j’ai lancées cette année.

«Petit à petit, j’ai eu envie de faire des bijoux qui soient le fruit de ma propre créativité. J’ai commencé avec des pièces uniques que je présentais lors d’expositions puis j’ai créé deux collections - Palma et Goccia - que j’ai lancées cette année.»

Bague de la collection Goccia
Bague de la collection Goccia

Que souhaitez-vous apporter au monde de la joaillerie?

Ma propre vision, ma propre esthétique. J’aime faire monter les pierres de manière originale, asymétrique, mais le tout restant très équilibré. Mon style est marqué à la fois par une opulence et par une pureté des lignes, un traitement des volumes qui met en valeur les pierres.

En parlant de pierres, quand vous les choisissez, pensez-vous aussi à leur valeur d’investissement?

En principe non. J’ai même été freiné d’acheter des pierres que j’aurais voulu acquérir mais qui auraient été trop difficiles à vendre à ma clientèle. Il y a un an et demi, par exemple, j’avais vu une tsavorite de 10 carats extraordinaire de taille coussin. J’en suis tombé amoureux. J’ai flirté avec cette pierre pendant un certain temps. Je l’ai montrée à deux ou trois clients qui auraient pu être intéressés mais quand je leur ai annoncé le prix, ils n’arrivaient pas à le comprendre. Elle était plus chère qu’une émeraude colombienne, mais à mes yeux elle était plus rare et plus belle. J’ai renoncé. A l’époque, j’avais une clientèle assez restreinte. Aujourd’hui, peut-être que je prendrais le risque…

Bague en or rose ornée d'un saphir rose 7,55 cts avec diamants
Bague en or rose ornée d’un saphir rose 7,55 cts avec diamants

Dans la collection que vous avez baptisée Palma, on perçoit un esprit Streamline. C’est une esthétique qui vous inspire?

Oui, d’ailleurs, vous avez vu mon bureau: il est rempli de locomotives. Avant de créer cette collection, j’avais vu des dessins de feuilles de palme dans un livre sur Kew Gardens que l’on m’avait offert et je me suis dit que cela ferait des boucles d’oreilles extraordinaires. Quant à la manchette Palma, elle est dans l’esprit des années 1930. Les designers industriels sont apparus à la fin des années 1920 afin de donner une beauté aux objets fabriqués en série, même les plus triviaux. Les choses les plus simples sont parfois compliquées à réaliser: on ne peut pas se cacher derrière.

Sharon Stone a été la première star à porter vos boucles d’oreilles Palma lors de la cérémonie des Oscar en mars. Qu’avez-vous ressenti en la voyant?

Quand j’ai découvert les photos, j’étais enchanté par la façon dont elle les portait le soir des Oscars!

Boucles d'oreilles Palma en or jaune serti de diamant (taille medium)
Boucles d’oreilles Palma en or jaune serti de diamant (taille medium)

Quelle est la plus grande leçon que vous a apprise votre père Gianni Bulgari?

J’ai eu la chance de vivre en famille jusqu’à l’âge de 17 ans. J’étais fils unique et j’ai tout absorbé. Même si mon père voyageait beaucoup, on vivait des moments très intenses ensemble. On partait en voiture pendant des semaines tous les deux. Je passais beaucoup de temps dans son bureau. Je pense que ce qu’il m’a donné est un tout qui fait partie de qui je suis aujourd’hui. Plus qu’une leçon en soi, il m’a offert une façon de m’exprimer.

Le créateur s’est entouré de locomotives, non par nostalgie d’une enfance oubliée mais plutôt par souci stylistique. Le mouvement Streamline né à la fin des années 1920, avec ses lignes pures et ses volumes, l’inspire.

Bague Palma en or rose
Bague Palma en or rose