est lors de l’incontournable festival estival bernois du Gurten, qui fêtait cette année son 40^ème anniversaire en recevant des stars comme Rosalía et Angèle, que nous avons retrouvé Serge Michel et Claude Greisler, le duo à la tête de la marque indépendante Armin Strom.

En réalité, nous étions reçus en quelque sorte «à domicile», puisque Serge Michel n’est autre que l’actionnaire majoritaire de ce festival depuis 2019: l’entrepreneur, issu d’une famille d’industriels et mécènes du canton (à la tête du géant medtech Ypsomed), tenait à ce que l’événement reste en mains locales et garde son esprit originel. Il lui a ainsi permis de traverser plusieurs années difficiles pour la scène musicale en raison des confinements pour retrouver tout son poids actuel.

Serge Michel et Claude Greisler

Une histoire d’amitié

Ce sont des valeurs similaires – familiales, enracinées, créatives, sans arrogance – qui animent l’aventure Armin Strom: tous deux nés en 1978, Serge Michel et Claude Greisler, quant à lui issu d’une famille d’horlogers, sont des amis d’enfance, qui se connaissent depuis l’école primaire qu’ils ont fréquentée ensemble à Burgdorf dans le canton de Berne. C’est dans cette même localité qu’était actif depuis 1967 l’horloger Armin Strom, connu notamment pour ses modèles squelettés. Nous sommes en 2006 et celui-ci cherche un successeur. «Je travaillais à l’époque comme constructeur horloger chez Christophe Claret, se rappelle Claude Greisler, quand je reçois un coup de fil de Serge, qui me demande de venir le voir: sa famille venait de reprendre Armin Strom et il voulait mon avis.»

Un minuscule modèle squelette (n°3) conçu par l’horloger bernois Armin Strom et muni d’un mouvement de 11 mm, présenté en 1990 dans Europa Star

©Archives Europa Star

L’époque est alors à la «ruée sur la manufacture»: pour lui, monter des squelettes sur des mouvements ETA est «un peu dépassé». Il souligne à son ami l’importance d’internaliser les savoir-faire, de devenir une vraie manufacture. Si celui-ci semble au départ sceptique, il le rappelle quelques mois plus tard: il a présenté l’idée à son père, c’est d’accord mais avec des investissements qui doivent restés modérés. Lui-même est un «self-made man», avec du bon sens dans ses investissements: pas question de parc machines extravagant si celui-ci tourne à vide! Fin 2008, Claude Greisler rejoint Armin Strom avec pour mission de concevoir un plan de développement réaliste pour la marque.

Changement de dimension avec l’arrivée de la famille Michel, de Claude Greisler et la mise sur pied d’une manufacture à Bienne, détaillée dans cet article d’Europa Star de 2009

©Archives Europa Star

Ensemble, les deux amis d’enfance planifient tout, des établis jusqu’à la machine CNC pour le nouveau bâtiment. Tout va très vite: la manufacture est lancée à Bienne en 2009 et le premier mouvement entièrement maison, le calibre ARM09, est présenté dans le modèle One Week à double barillet et 8 jours de réserve de marche l’année suivante à Baselworld. C’est une réédition de ce modèle originel, celui de la «refondation» d’Armin  Strom, qui est présentée cette année aux Geneva Watch Days, une nouvelle série aux dimensions plus fines et à la fréquence plus élevée.

Le nouveau modèle One Week First Edition, limité à 25 exemplaires: Armin Strom réédite son premier modèle manufacture dans un boîtier acier à bracelet intégré très contemporain.

Fidèle à son nom, la One Week offre une réserve de marche de sept jours: le nouveau calibre ARM21 à remontage manuel est doté de deux barillets disposés symétriquement sur la partie droite du cadran entièrement ouvert. La fréquence a été portée de 2,5 Hz à 3,5 Hz.

Le tournant de la résonance

Mais tout n’est pas gagné pour autant. Claude Greisler se rappelle bien des débuts de cette épopée entrepreneuriale autant qu’amicale: «En 2009, nous avions 30 ans, nous pensions que l’horlogerie attendait une nouvelle marque. Or, pour les observateurs, Armin  Strom, ce n’était pas une marque, c’était une personnalité. Devenir une marque a pris du temps.»

Des collectionneurs conseillent alors au duo de changer d’identité, poursuit le maître-horloger: «Mais nous avions trop de respect pour lui, c’était un des seuls horlogers à Burgdorf, une légende locale, qui roulait en Jaguar Type E rouge, faisait l’aller-retour vers New York dans la journée en Concorde… Il nous faisait rêver depuis l’enfance. Il nous avait toujours dit que la valeur de l’horlogerie, c’était le mouvement mécanique. Il fait partie de cette génération d’irréductibles qui ont résisté au pire de la crise du quartz, car il voulait révéler la beauté de la mécanique par le squelettage.»

Dans sa quête de développements maison, Armin Strom dévoile en 2013 son premier mouvement tourbillon.

©Archives Europa Star

Grande tradition de l’horloger éponyme, le mouvement squelette est lui aussi développé à l’interne (Europa Star, 2015).

©Archives Europa Star

Après la reprise de sa marque et sa «retraite» officielle, Armin  Strom reste d’ailleurs quelques années pour continuer la conception de montres squelettes: en 2014 est introduite la Skeleton Pure, première montre squelette entièrement produite dans les ateliers de la marque.

Mais le vrai tournant arrivera finalement avec la Mirrored Force Resonance, développée en collaboration avec le CSEM, et introduite en 2016. «A travers ce modèle, nous avons osé remettre des théories en question et contribué à démontrer que l’innovation n’était jamais vraiment finie en horlogerie, souligne Claude Greisler. Tout au long de ce projet, nous sentions que nous avions quelque chose d’important entre les mains. Et surtout, si la résonance avait déjà été appliquée en horlogerie, nous avons théorisé cette approche. C’est ce qui nous a vraiment ouvert les portes des détaillants et suscité l’intérêt des collectionneurs. Tout à coup, ils venaient vers nous.»

Présentée cette année, la Mirrored Force Resonance Manufacture Edition Blue capture le phénomène de résonance dont Armin Strom s’est fait une spécialité. Le bouton-poussoir à 2 heures permet aux deux indicateurs de secondes courantes, qui tournent en miroir dans le sens des aiguilles d’une montre et dans le sens inverse, d’être remis à zéro et de suivre visuellement l’état de résonance.

Rappelons que sur la Mirrored Force Resonance, un double régulateur à résonance a été développé avec le mécanisme d’oscillation côté cadran de la montre. Ce trait caractéristique distingue également graphiquement les modèles à résonance d’Armin  Strom: le ressort qui oscille rapidement et les deux balanciers tournant dans les deux sens offrent un spectacle cinétique surprenant.

Les travaux d’Armin  Strom sur la résonance présentés en 2017 dans Europa Star

La stabilité du taux d’oscillation est la clé de la précision chronométrique: une montre à résonance aura toujours deux balanciers qui doivent continuellement se réguler l’un l’autre pour assurer la stabilité de la fréquence d’oscillation.

Egalement dévoilée cette année et limitée à 50 exemplaires, la Mirrored Force Resonance Manufacture Edition Green affiche un nouveau cadran vert décentré, doté d’un grenage à la finition texturée. Le mouvement apparent reste l’élément phare de son design.

S’inspirant des expériences de résonance de Christiaan Huygens, l’inventeur de l’horloge à pendule, la marque s’est associée au CSEM pour développer une approche théorisée de ce phénomène pour l’horlogerie, grâce à une bourse de recherche de la Confédération. Les autorités publiques ayant pris en charge l’essentiel des coûts de la recherche au vu de son importance potentielle pour la branche, il est ainsi possible de consulter au CSEM une partie publique des travaux. La solution spécifique appliquée par Armin Strom sur ses modèles est cependant brevetée: il s’agit d’un ressort débrayable conçu pour transférer l’énergie entre les deux ressorts spiraux et amener rapidement les deux balanciers en résonance.

Fabriqué à partir d’une pièce d’acier unique, le ressort débrayable Resonance est conçu pour transférer l’énergie entre les deux ressorts spiraux et amener rapidement les deux balanciers en résonance.

Le défi principal de la recherche consistait à maintenir constamment l’état de résonance afin d’associer le phénomène à la cause de la précision chronométrique. Un véritable défi, car la fragilité du phénomène le rend extraordinairement difficile à maintenir avec une résilience raisonnable contre les perturbations, d’autant plus sur une application pour une montre-bracelet, par nature davantage soumise aux chocs.

Le modèle Dual Time Resonance, l’un des plus complexes de l’horloger

Le phénomène de résonance a été appliqué à certains des modèles les plus élaborés d’Armin  Strom, comme la Dual Time Resonance de 2018 et la Minute Repeater Resonance pour les dix ans de la manufacture en 2019. Cette année, la marque a présenté de nouvelles éditions de la Mirrored Force Resonance équipées d’un cadran décentré au grenage vert ou bleu, toujours à la décoration main. Le prix de ces modèles, chacun limité à 50 exemplaires, s’établit à 63’000 CHF.

Deux visages

Si la résonance est devenue le nouvel emblème de la marque et de sa capacité de R&D, influençant de ce fait tout le reste de la production, Claude Greisler est conscient que cela reste un «concept de niche» pour la plupart des amateurs: «C’est comme si tu es un expert de vin, tu apprécies les petits cépages – mais les amateurs du grand public vont moins aller vers ce côté expérimental. C’est pourquoi nous proposons d’un côté de la Haute Horlogerie axée sur la résonance, de l’autre des mouvements plus simples et plus accessibles, tout en étant très bien décorés.»

Pour Only Watch 2023, Armin Strom a créé une édition unique de sa Gravity Equal Force dotée d’une transmission à force constante. Elle reprend les couleurs de l’événement avec des détails comme le cadran saphir vert transparent, le logo rouge et les coutures bleues sur le bracelet.

L’Orbit réinterprète l’affichage de la date, indiquée sur la lunette et actionnée par une roue à colonnes.

En 2020, la marque a ainsi présenté sa collection System 78 visant à offrir «une horlogerie de qualité, des finitions impeccables à la main et de l’innovation à un prix plus accessible». Sur le modèle Gravity Equal Force, proposé dès 18’000 CHF, un ingénieux mécanisme d’embrayage à butée a été combiné à un mouvement à remontage automatique. Habituellement réservé aux garde-temps de haute horlogerie, le mécanisme «stop work» n’avait jamais été disponible dans une montre dont le prix s’approche de celui de la Gravity Equal Force.

En 2019, pour les 10 ans de la nouvelle manufacture, Serge Michel nous partageait dans cet entretien sa volonté d’offrir des pièces de Haute Horlogerie plus abordables sans renoncer à de l’innovation de pointe, à l’instar de la Gravity Equal Force.

©Archives Europa Star

L’épuré modèle Tribute 1 et modèle sportif Orbit s’inscrivent dans une approche similaire. La marque, qui emploie 35 personnes, envisage de produire un total de 450 montres cette année (dont environ 70 à résonance). Ses marchés principaux sont l’Amérique du Nord et l’Asie. A moyen terme, elle vise 700 pièces annuellement et 1’000 pièces à plus long terme. «Nous ne nous mettons pas trop nous-même en avant, conclut Claude Greisler. Ce que nous voulons avant tout, c’est conserver notre liberté créative.»