n 1977, l’horlogerie mondiale est encore secouée par la crise du quartz qui a démarré au début de la décennie. A cette époque, Jean-Paul Burgun est à la tête d’une entreprise de matériel de bureau en Alsace. Sa femme, Béatrice, après s’être occupée de leurs enfants, décide de reprendre sa carrière professionnelle.

Le couple part alors pour un tour d’Europe, en quête d’inspirations entrepreneuriales, et découvre avec émerveillement l’univers des montres digitales Piratron en Allemagne. Les époux montent leur entreprise d’importation et commencent à distribuer ces montres en France. Mais, passionné de design et créatif dans l’âme, Jean-Paul Burgun ressent également la volonté de créer sa propre marque.

L’entreprise Pierre Lannier naît ainsi en 1977, dans la salle à manger familiale. Les montres sont fabriquées dans le Haut-Doubs avec des composants français et des mouvements quartz fournis par France Ebauches. L’aventure est lancée. Peu à peu, l’assemblage se fait aussi en interne… dans un atelier dans le jardin! En 1985, la société s’agrandit et investit des nouveaux locaux à Ernolsheim-lès-Saverne dans le Bas-Rhin, où elle demeure encore à ce jour.

Mais le marché évolue. La guerre des prix fait rage. Les composants d’origine française se font rares et les fournisseurs asiatiques prennent l’ascendant. Afin de maintenir son prix d’entrée à 80 euros, Pierre Lannier ouvre un atelier à Madagascar, en 2001, où l’assemblage aura désormais lieu.

Pierre Burgun, le fils du couple fondateur, qui est à la tête de l’entreprise depuis 2015, se souvient: «Nous étions sous pression et devions réagir. Nous avons délocalisé une partie de la production et la proportion de composants asiatiques à fortement augmenté. La part de montres Made in France de la marque a chuté à moins de 20%.» Pierre Lannier figurait pourtant toujours dans le Top 10 des marques vendues en France. Puis le début des années 2000 a vu la tendance mondiale s’inverser et l’engouement pour le mécanique se confirmer, puis exploser.

Pierre Burgun, directeur général de Pierre Lannier

L’agilité de l’entreprise familiale permet alors un nouveau changement de cap pour relancer la production Made in France dès 2010. Pierre Burgun raconte: «Nous avons décidé de relocaliser peu à peu l’assemblage en France et d’augmenter notre prix public, autour des 140 euros. Le risque était grand, mais notre clientèle s’est avérée très fidèle. Nos partenaires, distributeurs et détaillants aussi. En 2022, 65% de nos montres ont été assemblées en France, et la tendance va croissant avec un taux de 75% en 2023.»

La volonté de miser sur des calibres automatiques devient l’un des axes du développement de la société dès 2018. La marque connait une forte croissance et utilise essentiellement des mouvements Miyota ou Seagull. La part des montres automatiques grandit ainsi pour atteindre, en 2023, 40% des volumes et plus de 50% en valeur.

La période du covid et la pause forcée qu’elle a engendrée a aussi été propice à la réflexion. Le CEO relate: «Nous avions vu que l’association entre mouvement automatique et Made in France fonctionnait bien. L’idée a alors germé de réaliser une montre Pierre Lannier automatique avec le plus possible de composants Made in France. Nous nous sommes tournés vers Pequignet pour le calibre, La Pratique à Morteau pour les aiguilles et Sibra à Lyon pour les bracelets. C’est ainsi que le projet 1977 est né.».

La série limitée 1977 signifie un nouveau départ vers une horlogerie Made in France et mécanique pour la marque.

Presque tout (à l’exception notamment du cadran, élaboré par la société suisse CadraTec) est Made in France pour cette série limitée de 500 pièces. Malgré un prix de 1’977 euros, largement hors de la fourchette habituelle de la marque, le succès commercial a été au rendez-vous. Une indication claire de la stratégie du futur pour Pierre Lannier.

«Notre objectif est de développer une nouvelle collection 1977 sur ces bases, souligne Pierre Burgun. Elle sera introduite en 2024 et doit nous permettre d’atteindre notre objectif de doubler notre chiffre d’affaires dans les cinq ans.» Le mouvement sera réalisé par France Ebauches, racheté par Soprod (propriété du groupe espagnol Festina, ndlr) en 2017. La montre sera munie d’un label Origine France Garantie (plus de 51% des composants Made in France, ndlr). Cette offre devrait aussi permettre de développer l’export pour la marque française, autre grand axe identifié pour sa croissance.

En 2019, l’export représentait encore 25% du chiffre d’affaires de la marque mais ce taux était redescendu à 10% en raison du covid. La marge de redéploiement à l’étranger est donc importante: Pierre Lannier a réalisé 20% de ventes internationales en 2023 et son objectif à cinq ans est que celles-ci représentent la moitié du chiffre d’affaires. Un plan de développement ambitieux, donc.

Dans un monde de l’horlogerie de plus en plus tiré vers le haut de gamme, Pierre Lannier a ainsi su tracer son propre sillon dans le segment très concurrentiel des montres abordables. En 2023, la marque française a produit plus de 300’000 montres pour un chiffre d’affaires de plus de 15 millions d’euros!

Comment expliquer son succès? «Notre capacité d’adaptation a été une grande force, répond Pierre Burgun. Nous avons toujours été à l’écoute de nos clients et de nos partenaires. Ces liens forts que nous avons tissés sont notre plus grand atout. Maintenant, le défi concerne l’export.» Le but affiché est de relancer une vraie horlogerie Made in France. Et il semble que Pierre Lannier ne soit pas seul dans cette volonté. L’agilité et l’humilité de l’entreprise familiale y contribuent. L’élan est donné.