Le marché horloger français


Mouvement français: un renouveau pragmatique

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octobre 2023


Mouvement français: un renouveau pragmatique

C’est bien plus qu’un frémissement, pas encore une lame de fond, mais un constat: loin des annonces grandiloquentes, des initiatives crédibles se multiplient en France dans le secteur du mouvement mécanique – et au-delà. Une nouvelle offre alternative est en train de naître. Elle a notamment pour nom Pequignet, Yema, France Ebauches, Humbert-Droz… ou encore Silmach pour le segment électronique. Tout en étant bien conscient que le 100% de production locale n’est pas un objectif réaliste de sitôt.

S

i la fameuse «crise du quartz» a déstabilisé pendant une grosse décennie l’horlogerie suisse, la forçant à se réorganiser, elle a durablement dévasté l’industrie horlogère française, réduisant à néant ses capacités industrielles et éradiquant une bonne part de son savoir-faire. A seul titre d’exemple, France Ebauches qui, à son pic, produisait encore 14 millions de mouvements quartz en 1990, en faisant un des plus importants motoristes européens, a dû déposer son bilan en 1994, la renaissance du mouvement mécanique suisse, tirant le tout vers le haut de gamme mécanique, ayant donné le coup de grâce.

Ce n’est que récemment, au cours de ces toutes dernières années, qu’ont pris enfin forme de nouvelles initiatives visant à restaurer une part de cet outil industriel évaporé. La crise du Covid a notamment montré au grand jour les carences industrielles françaises dues à la délocalisation des années 2000 et a accéléré le mouvement en faveur d’une relance d’une production française dans nombre de domaines.

Le gouvernement français a notamment dressé une liste de «cinq objets du quotidien» – le vélo, le jouet, le textile en lin, la chaussure et la montre – devant faire l’effort tout particulier d’une relocalisation nationale.

Pour le secteur horloger, cette relocalisation concerne essentiellement le département du Doubs et la région Franche-Comté, dont la préfecture est Besançon, historique capitale horlogère, qui concentrent 60% de l’emploi horloger français, soit 30’000 personnes environ. Mais significativement, 90% de ces employés travaillent en Suisse, de l’autre côté de la toute proche frontière.

Symbole de la désindustrialisation passée, ce parc de dizaines de machines Tornos relégué au fond d'une halle dans le Haut-Doubs
Symbole de la désindustrialisation passée, ce parc de dizaines de machines Tornos relégué au fond d’une halle dans le Haut-Doubs

«Il ne faut pas se tromper de combat»

Un des responsables de l’étude officielle de réindustrialisation du secteur l’avoue franchement au journal Les Echos: « Il ne faut pas se tromper de combat, la montre est suisse et le restera. Cependant, il y a une place pour une montre française, et un enjeu déjà identifié dans la gamme des 2’000 à 5’000 euros.» Du côté de France Horlogerie (92 adhérents représentant 3’000 salariés), on dit «avoir identifié plus de 100 millions d’euros de velléités d’investissement chez nos adhérents, notamment dans la montre connectée».

Mais qui dit marque française dit aussi mouvement mécanique français. Ce qui n’est encore que trop peu le cas. Les mouvements quartz qui équipent les marques françaises peuvent provenir d’un peu partout, les mouvements mécaniques essentiellement du Japon ou de Suisse.

Pour les quelques maisons qui se lancent ou se relancent en ce moment dans la production de mouvements mécaniques – dont nous faisons le portrait ci-dessous – un mouvement mécanique français ne peut l’être à présent qu’à 70% à 75%. Manquent notamment les éléments essentiels que sont le spiral, l’organe réglant et d’autres composants.

La débâcle prévisible du Aîon Group qui trompétait vouloir «positionner la France comme un pays producteur horloger majeur à l’international», prévoyant la construction d’une usine de 10’000 m2 à La Ciotat (au bord de la Méditerrannée, bien loin du Doubs horloger), a démontré par l’absurde l’illusion d’une industrialisation intégrée à marche forcée. L’horlogerie a toujours été «localisée», elle est née, s’est constituée grâce à un dense tissu industriel aux compétences croisées et le reste encore de nos jours.

Nul hasard donc que les initiatives les plus prometteuses et intéressantes dans ce domaine soient issues du «territoire horloger» qu’est Morteau et sa région, géographiquement et historiquement lié à l’horlogerie suisse, que ce soit en sous-traitance, en compétences, en emplois, voire en excellence. (Lire à ce propos nos portraits des jeunes horlogers indépendants les plus remarqués du moment, tous ou presque issus de l’Ecole d’horlogerie de Morteau, dans notre numéro 1/23).