Le marché horloger français


France Ebauches renaît de ses cendres

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octobre 2023


France Ebauches renaît de ses cendres

Début 1994, France Ebauches dépose son bilan. «Horlogerie française: fin!», titre alors L’Impartial, le quotidien de La Chaux-de-Fonds. Sa relance aujourd’hui veut s’inscrire dans le contexte plus large d’un effort de réindustrialisation partagé. Elle passe aussi, plus largement, par la recréation d’un tissu industriel plus dense auquel elle contribue. Cet effort de relocalisation industrielle dans la région de Morteau, Maîche et le Haut-Doubs est patent.

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rance Ebauches est née en 1967 en regroupant en une seule entité les «frères ennemis» de l’ébauche française. Après avoir bénéficié de nombreux transferts techniques de la part de ses partenaires suisses (comme Ebauches SA, futur ETA, qui détint 30% du capital jusqu’en 1987), France Ebauches s’était tournée vers Seiko dès 1980, se concentrant uniquement sur le quartz avec des licences japonaises, puis avait signé en 1985 une joint-venture avec l’industriel Tata, contribuant à l’installation d’une usine Titan à Bangalore, qui produisait jusqu’à 5 millions de mouvements quartz et de montres par année.

Par ailleurs, France Ebauches avait aussi installé une grande usine à Zhuhai, en Chine. Double échec: en Inde, Titan excellait sans que France Ebauches parvienne à s’y installer directement et en Chine elle dut affronter la féroce «guerre des prix» orchestrée par les firmes japonaises. Résultat: France Ebauches, qui produisait 20 millions de mouvements en 1991, n’en produisait plus que 10 millions en 1993.

Vue de la manufacture France Ebauches à Maîche
Vue de la manufacture France Ebauches à Maîche

La suite est chaotique et tourmentée. En 2001, un nouveau projet naît sur les décombres de France Ebauches. Il a pour nom Technotime et s’affiche d’emblée comme très ambitieux avec l’objectif de relancer «une manufacture complète de mouvements mécaniques à un niveau industriel». Après plus de cinq années de développement, Technotime annonce en 2007 la commercialisation d’une première famille, sur base commune, de trois mouvements 13’’’1/4, avec double barillet (120 heures de réserve de marche) et 28’800 alt/h, soit un calibre à remontage manuel, un automatique et… un tourbillon.

L’objectif annoncé est de produire quelques dizaines de milliers de mouvements par an, à des prix variant entre 400 et 800 CHF, mais entre 12’000 et 18’000 CHF pour le tourbillon. Technotime affirme alors produire tous ses propres composants stratégiques, organes réglants et spiraux compris (dans les années 1980, France Ebauches possédait la société Spiraux Français qui produisait jusqu’à 40 millions de spiraux par an avant d’être liquidée).

Mais à son tour, l’aventure Technotime va capoter. Et en 2017, c’est le Groupe Festina, propriétaire notamment du motoriste Soprod, qui rachète France Ebauches.

Répondre aux attentes françaises

Depuis cette reprise en 2017, France Ebauches, toujours située dans le Doubs, à Maîche, produit des composants horlogers pour les marques sœurs du Groupe Festina. Mais, tout récemment, les responsables de la société annonçaient dans un communiqué paru ce printemps que «grâce à la récente relance de la production de mouvements français la manufacture France Ebauches est en voie de relocaliser, réindustrialiser et développer la production de mouvements mécaniques français de qualité (…) répondant ainsi aux attentes des marques, des consommateurs et des politiques qui réclament le développement de mouvements français intégrant des valeurs françaises».

Ces nouveaux mouvements siglés France Ebauches sont en fait inspirés des calibres France Ebauches 4500-5600 dont le Groupe Festina détient la propriété intellectuelle.

Ces deux mouvements FE 5601 et FE 5611 ont été fabriqués dans le dernier quart du 20ème siècle. Ces mouvements font partie d'une famille dont chaque modèle est décliné en deux versions: à remontage manuel ou automatique, avec ou sans quantième, quantième et jour, quantième et mois, ainsi que des versions plus plates.
Ces deux mouvements FE 5601 et FE 5611 ont été fabriqués dans le dernier quart du 20ème siècle. Ces mouvements font partie d’une famille dont chaque modèle est décliné en deux versions: à remontage manuel ou automatique, avec ou sans quantième, quantième et jour, quantième et mois, ainsi que des versions plus plates.

Redessinés et optimisés sur cette base pour en améliorer précision et fiabilité et en moderniser l’architecture et les finitions, ils sont proposés en deux versions automatiques battant à 4 Hz (28’800 alt/h), à trois aiguilles avec ou sans date. La réserve de marche est de 44 heures.

Question robustesse, ils sont dotés de l’Incabloc® double cône, un amortisseur qui a fait ses preuves. Solidité et résistance du mouvement sont renforcées par un pont de balancier traversant évidé qui offre une vue directe sur l’organe réglant.

Côté finitions et décoration, le motif «nids d’abeilles» rhodié a pris la place des traditionnelles Côtes de Genève. Une manière de souligner l’appartenance française, ce motif étant symbole de la France. Le balancier est visible côté cadran, tandis que côté fond transparent, le rotor soleillé en acier bleui tourne au-dessus de la platine ornée du motif nids d’abeilles.

Gros effort industriel

Platines, ponts et masses sont produits sur le site de Maîche (encore siglé Soprod, le motoriste principal du Groupe Festina avec ses 5 millions de montres par an et ses 8 marques). Les autres composants, dont balanciers, spiraux, ancres et roues d’échappement proviennent des sociétés sœurs du Jura suisse voisin (et «zéro composant asiatique», tient-on à nous préciser).

Deux différentes exécutions du nouveau mouvement automatique de France Ebauches. Au-dessus, une exécution spéciale à l'occasion du centenaire de Festina et, au-dessous, la version trois aiguilles date semi-instantanée, 28'800 alt/h, réserve de marche de 44 heures. 5,60 mm de diamètre sur 4,60 mm d'épaisseur.
Deux différentes exécutions du nouveau mouvement automatique de France Ebauches. Au-dessus, une exécution spéciale à l’occasion du centenaire de Festina et, au-dessous, la version trois aiguilles date semi-instantanée, 28’800 alt/h, réserve de marche de 44 heures. 5,60 mm de diamètre sur 4,60 mm d’épaisseur.

L’objectif à court et moyen terme est de parvenir à une valeur française de 70%. L’investissement en cours dans l’outil de production, l’installation de nouvelles machines, le lancement de lignes est important (on évoque sans confirmation une somme en millions).

«Nous, industriels, nous mettons des moyens. Mais il faut que les politiques, les distributeurs et les consommateurs jouent le jeu», déclare un des responsables de cette nouvelle phase. Dans le communiqué qui annonce la relance de France Ebauches, le Groupe Festina ne lésine d’ailleurs pas sur les raisons nationales voire politiques de cet effort industriel.

La relance de France Ebauches veut donc s’inscrire dans le contexte plus large d’un effort de réindustrialisation partagé. Elle passe aussi, plus largement, par la recréation d’un tissu industriel plus dense auquel elle contribue. Cet effort de relocalisation industrielle dans la région de Morteau, Maîche et le Haut-Doubs est patent. Les marques françaises commencent à suivre et à s’émanciper du sacro-saint mouvement suisse.

Pour France Ebauches qui vient de démarrer ses opérations, les premiers clients sont Festina, bien entendu, et Pierre Lannier, installé en Alsace, pour sa nouvelle collection 1977 qui sera lancée en 2024. Ou encore de plus jeunes marques françaises comme Akrone ou Apose.

Argument compétitif: avec des finitions standard, le prix de ce mouvement automatique soigné démarre à 155 euros. A qualité égale, pourquoi s’embarrasser d’un mouvement suisse? Est-ce encore un argument décisif? La question demeure, elle est entre les mains des consommateurs.