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«A midi pétante!» L’histoire de l’horloge-canon du Palais-Royal

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avril 2024


«A midi pétante!» L'histoire de l'horloge-canon du Palais-Royal

Imaginez, vous êtes en juillet 1789, à l’aube de la Révolution française. Dans les allées du Palais Royal, les tordeuses de hanches qui aguichent les clients à coups d’éventail se sont repliées sous les arches. Le journaliste Camille Desmoulins arrache les feuilles d’un arbre et les distribue comme cocarde de ralliement aux Parisiens insurrectionnels préparant la prise de la Bastille. Les fourches se dressent, la tension enfle. Paris est prête à exploser.

V

ous pressez le pas qu’une détonation sourde tonne à vos côtés. Est-ce le début de la révolution? Pas encore. C’est le petit canon de l’horloger Rousseau qui vous donne l’heure: il est midi pétante.

Vous connaissez sans doute cette expression, et l’utilisez peut-être encore aujourd’hui. Mais savez-vous qu’elle provient d’une invention horlogère unique? Une montre-canon encore visible derrière les jardins fleuris du Palais-Royal. Cet édifice construit par Richelieu en 1628 fut offert au roi Louis XIII en 1636. Il devint la résidence de la régente Anne d’Autriche, avant de passer aux mains de la famille d’Orléans. En 1780, Louis-Philippe d’Orléans, dit «Philippe Egalité», cousin de Louis XVI, monte une opération immobilière afin d’éponger ses dettes. Il fait bâtir trois ailes au Palais, composées de galeries commerçantes au rez-de-chaussée et d’appartements aux étages. 

A l’époque, les Parisiens règlent leurs montres grâce à des cadrans solaires installés sur les murs de la ville. Ceux-ci indiquent l’heure vraie, soit le midi solaire, lorsque le soleil atteint son zénith. Mais les nouvelles ailes du Palais font de l’ombre au cadran solaire le plus consulté de la capitale (situé aujourd’hui rue des Bons-Enfants).

«A midi pétante!» L'histoire de l'horloge-canon du Palais-Royal

Alors un horloger, fraîchement installé dans la galerie Beaujolais du Palais, a une ingénieuse idée: si les Parisiens ne peuvent plus lire l’heure, ils l’entendront! En 1786, l’horloger et mathématicien dénommé sieur Rousseau installe, devant sa boutique, sur le méridien de Paris, un petit canon de bronze surmonté d’une loupe. Lorsque le soleil est vertical, de mai à octobre, les rayons concentrés par la loupe allument la mèche qui fait tonner la poudre. La détonation est audible à des centaines de mètres à la ronde. Les Parisiens peuvent alors remonter leur montre à midi pétante!

Le canon devient vite célèbre dans la capitale et inspire ces vers au poète Jacques Delille: «En ce jardin, tout se rencontre, hormis de l’ombrage et des fleurs. Si l’on y dérègle ses mœurs, au moins on y règle sa montre.» Clin d’œil aux allées sulfureuses du Palais-Royal où les cafés accueillent les foules et les alcôves quelques libertinages. En 1799, le canon est déplacé plus au sud, au milieu du parterre où il se trouve encore aujourd’hui. 

En 1816, l’heure indiquée par le canon du Palais-Royal cesse d’être l’heure officielle. A cette époque, on remplace le temps solaire vrai (lu sur les cadrans solaires) par le temps solaire moyen de Paris (l’heure des horloges). En 1891, toute la France adopte l’heure du méridien de Paris. Vingt ans plus tard, en 1911, c’est la dégringolade. Le petit canon est interdit, lorsque la France adopte le temps moyen de Greenwich (une histoire que l’on vous raconte dans les pages suivantes, ndlr). 

Abandonné aux intempéries et à l’oubli lors du 20ème siècle, le canon est restauré en 1990 et tonne de plus belle, avant de devoir se taire de nouveau à l’entrée en vigueur du plan Vigipirate l’année suivante, lors de la guerre du Golfe, de crainte que les Parisiens ne croient à une attaque terroriste chaque midi! Mais le véritable attentat survient en 1998, lorsque le canon est volé. Les coupables sont introuvables, alors une réplique le remplace en 2004. 

Bien qu’inutile depuis un siècle, le canon est réactivé en 2011 par le Ministère de la Culture qui décide de rendre hommage à son héritage, mais abandonne l’allumage solaire. Chaque mercredi, un artificier regarde sa montre, puis, à midi pile, déclenche le tir devant des touristes et des passionnés d’histoire ravis. Reste de sa gloire passée une plaque rappelant la devise latine qui était gravée sur son socle: Horas non numero nisi serenas – «Je ne compte que les heures heureuses».