LVMH


Dans l’intimité de la haute horlogerie Louis Vuitton

PORTRAIT

English Español 中文
mars 2022


Dans l'intimité de la haute horlogerie Louis Vuitton

C’est à une production très rare, invisible en boutique, que nous avons eu accès: les collections horlogères de haute voltige de Louis Vuitton, menées par le duo Michel Navas et Enrico Barbasini. L’an dernier, le public a eu un aperçu du travail qui se déroule en coulisses lorsque la Tambour Carpe Diem a obtenu le Prix de l’Audace au Grand Prix d’Horlogerie de Genève. Visite.

C’

est en 2007 que les maîtres-horlogers Michel Navas et Enrico Barbasini, alors encore indépendants à la tête de leur bureau technique, ont commencé à collaborer avec Louis Vuitton, dont l’unité horlogère était naissante (à l’échelle de la longue histoire de cette industrie). Quatre ans plus tard, leur atelier est racheté par le géant du luxe, au service duquel ils mettront exclusivement leur savoir-faire horloger.

Nous sommes alors dans une ère, post-crise financière, de consolidation du secteur après l’explosion des créateurs indépendants au cours de la décennie 2000. Mais un duo de leur trempe et de leur caractère pourrait-il se fondre au sein d’une société de la taille de Louis Vuitton? Après tout, nombreux sont les exemples d’alliances entre groupes et indépendants qui ont tourné court dans l’histoire de l’horlogerie.

Seul le temps peut donner raison à l’authenticité et la viabilité d’une telle alliance. Plus d’une décennie plus tard, force est de constater que la démarche a porté ses fruits: les deux créateurs sont toujours aux commandes de la Haute Horlogerie de la marque, qui s’est considérablement étoffée (à ce sujet, relire notre portrait de 2013, ndlr).

La Tambour Curve GMT Flying Tourbillon réinterprète les courbes du boîtier de la montre Tambour fondatrice de l'horlogerie Louis Vuitton, lancée en 2002 et dont les formes s'inspiraient de l'architecture des plus beaux terminaux aéroportuaires internationaux.
La Tambour Curve GMT Flying Tourbillon réinterprète les courbes du boîtier de la montre Tambour fondatrice de l’horlogerie Louis Vuitton, lancée en 2002 et dont les formes s’inspiraient de l’architecture des plus beaux terminaux aéroportuaires internationaux.

Il faut dire que le contexte de l’horlogerie au sein de Louis Vuitton est bien particulier. L’offre de la marque, initiée il y a vingt ans exactement, est duale: d’un côté la production la plus visible en boutique, qui va de la montre connectée aux modèles les plus accessibles de la Tambour, du nom du boîtier fondateur de l’horlogerie de la marque en 2002; de l’autre une extraordinaire abondance de créations de Haute Horlogerie en pièce unique ou séries très limitée, des réalisations souvent co-créées avec les clients.

De quoi nourrir la passion de son duo de maîtres-horlogers, qui disent travailler «en toute liberté et dans un esprit de start-up» au sein de La Fabrique du Temps, l’écrin horloger de la marque inauguré à Genève en 2014. LVMH a la réputation de laisser plus d’autonomie à ses sociétés que d’autres groupes de luxe, ce qui semble être le cas de l’horlogerie Louis Vuitton, une petite «marque dans la marque» qui compte moins de 100 employés.

Toutes les créations de Louis Vuitton sont vendues dans les propres boutiques de la marque, selon une pratique bien établie. Mais l’offre de Haute Horlogerie n’y est pas visible. Les projets se nouent généralement sur une première recommandation, en lien direct avec La Fabrique du Temps. Souvent, des clients viennent à Genève assister au développement de leurs pièces. Des projets individualisés qui peuvent prendre plusieurs années.

L’offre de la marque est duale: d’un côté la production la plus visible qui va de la montre connectée aux modèles les plus accessibles de la Tambour; de l’autre une extraordinaire abondance de créations de Haute Horlogerie introuvables en boutique.

Les commandes spéciales, champ créatif sans limite

L’an dernier, le public a eu un aperçu du travail qui se déroule en coulisses lorsque la Tambour Carpe Diem a obtenu le Prix de l’Audace au Grand Prix d’Horlogerie de Genève 2021. Il ne s’agissait pas de la première montre du genre réalisée par Louis Vuitton, qui avait déjà pu tester cette spécialité pour plusieurs commandes privées avant de concevoir un modèle présenté au public en édition limitée.

Après avoir réalisé en toute discrétion plusieurs commandes spéciales de montres à automates, Louis Vuitton a introduit la Tambour Carpe Diem, la «montre à jacquemart du XXIème siècle».
Après avoir réalisé en toute discrétion plusieurs commandes spéciales de montres à automates, Louis Vuitton a introduit la Tambour Carpe Diem, la «montre à jacquemart du XXIème siècle».

«Nous avions déjà mené cet exercice à plusieurs reprises pour des projets spéciaux avec des thèmes et mouvements différents, confirme Michel Navas. Sur ce produit, tout est nouveau. Les défis ont été nombreux, depuis le dessin de base jusqu’à parvenir à quelque chose de réalisable.»

La Tambour Carpe Diem se présente comme la «montre à jacquemart du XXIème siècle», du nom de ces automates conçus à l’origine pour frapper les heures sur les clochers des églises. Lorsque les horlogers les ont miniaturisés sur des montres, leur fonction est devenue essentiellement décorative, l’heure restant traditionnellement indiquée par des aiguilles classiques.

Mais sur le modèle à vanité de Louis Vuitton, l’automate est véritablement fonctionnel car il donne l’heure, sans aiguille, à la demande. En actionnant un poussoir, le tableau miniature du cadran va s’animer sur le poignet et le serpent et le crâne, qui jouent le rôle de jacquemarts, vont indiquer l’heure.

L’an dernier, le public a eu un aperçu du travail qui se déroule en coulisses lorsque la Tambour Carpe Diem a obtenu le Prix de l’Audace au Grand Prix d’Horlogerie de Genève 2021.

L’heure à la demande

La Tambour Carpe Diem intègre une heure sautante, une minute rétrograde, un affichage de la réserve de marche (figuré par le sablier) et le mécanisme des animations de l’automate. «La prouesse a été de concevoir un mouvement mécanique qui soit assez puissant pour intégrer et faire marcher sans à-coup toutes ces fonctions qui n’avaient jamais été réunies auparavant», souligne Michel Navas.

Dans l'intimité de la haute horlogerie Louis Vuitton

Sur la Tambour Carpe Diem, l’heure se lit à la demande. Pour la révéler, il faut actionner le poussoir en forme de reptile, à droite du boîtier. La tête du serpent se lève pour dévoiler le guichet des heures placé sur le front du crâne tandis que la queue du crotale oscille en direction des minutes, positionnées sous le sablier de la réserve de marche. C’est alors que le crâne devient moqueur, lançant des clins d’oeil en forme de Fleurs de Monogram qui apparaissent dans l’une de ses orbites. Sa mâchoire laisse échapper un rire sur lequel surgit en toutes lettres «Carpe Diem», selon les vers du poète Horace. Un saisissant spectacle qui dure 16 secondes.

Dans l'intimité de la haute horlogerie Louis Vuitton

Visible au dos de la pièce, le calibre LV 525 a été aussi monté en forme de crâne, en écho à la vanité du cadran, allégorie du temps qui passe. L’émaillage sur le cadran a été réalisé par la grande spécialiste du genre Anita Porchet (très demandée, justement, pour les commandes spéciales réalisées à La Fabrique du Temps).

Le duo de maitres-horlogers avait déjà réalisé des modèles à automates lors de son passage dans les ateliers de Gérald Genta (d’ailleurs aussi propriété de LVMH aujourd’hui et intégré chez Bulgari). Mais le travail réalisé sur la Carpe Diem «va beaucoup plus loin dans sa complexité, notamment dans la gestion de mouvements saccadés, lents et transitionnels, dixit Navas. Ce qui ouvre de nouveaux champs d’application.»

Dans l'intimité de la haute horlogerie Louis Vuitton

De fait, on peut aisément imaginer que suite à la présentation publique de ce projet, les commandes spéciales vont fleurir. Dans un segment horloger de plus en plus porté sur la valeur et l’individualisation de sa production, mener un dialogue direct avec un duo de maîtres-horlogers et des artisans de renom est certainement un argument de poids, qui permet aussi de compenser le manque de «pedigree» de la marque, nouvelle venue dans un environnement qui tire légitimité de ses racines profondes et anciennes, et encore peu connue pour son visage horloger.

«Contrairement à ce qui se fait dans d’autres maisons, nous pouvons vraiment tout personnaliser, poursuit Michel Navas. C’est en cela que nous restons des artisans. Et il y a encore tant à faire. Notre propre luxe dans cette collaboration, c’est que nous n’avons plus d’impératif financier et qu’on ne nous a jamais mis de pression. Nous travaillons sur le temps long. En ce moment, nous concevons les réalisations pour 2025.»

«Contrairement à ce qui se fait dans d’autres maisons, nous pouvons vraiment tout personnaliser. C’est en cela que nous restons des artisans.»

Dans l'intimité de la haute horlogerie Louis Vuitton

Quatrième dimension

Une autre expérimentation audacieuse récemment introduite par Louis Vuitton, levant un coin de voile du degré élevé de R&D, est la Tambour Spin Time Air Quantum, une «montre à complication hybride et disruptive qui associe le meilleur de la mécanique et de l’électronique», comme la présente Jean Arnault, Directeur Marketing et Développement.

Une hybridation inédite de haute mécanique et de microélectronique qui vise à donner une «quatrième dimension» au mouvement tridimensionnel emblématique de la marque, le Spin Time de 2009 et ses cubes rotatifs affichant les heures. Sur la Tambour Spin Time Air Quantum, les cubes marquant les heures s’illuminent à la demande, durant trois seconde, grâce à l’adjonction d’un module électronique dédié.

Sur la Tambour Spin Time Air Quantum, les cubes marquant les heures s'illuminent à la demande, ajoutant une quatrième dimension à la complication emblématique de Louis Vuitton.
Sur la Tambour Spin Time Air Quantum, les cubes marquant les heures s’illuminent à la demande, ajoutant une quatrième dimension à la complication emblématique de Louis Vuitton.

Un halo mystérieux, inspiré par la bioluminescence des créatures marines, semble émaner de l’intérieur même des cubes. L’assemblage électronique est ingénieusement dissimulé dans le rehaut de la boîte: particulièrement compact, le système d’éclairage est composé d’un anneau de 12 LED – une pour chaque cube rotatif –, d’un circuit intégré et d’une source d’alimentation prenant la forme d’une double pile.

La Tambour Spin Time Air Quantum est entièrement revêtue de DLC noir mat contrastée avec les pigments phosphorescents vert-jaune Super-Luminova. Au dos du boîtier, le verre saphir rehaussé d’un emblème métallisé réinterprète le Monogram Louis Vuitton dans une version évoquant un circuit imprimé, clin d’œil supplémentaire à ce travail d’hybridation.

Mascotte aux multiples déclinaisons

Dans un tout autre registre, voici également la Tambour Slim Vivienne Heures Sautantes. «Vivienne», c’est le nom d’une figurine espiègle et énigmatique qui a fait son apparition dans l’univers créatif de Louis Vuitton en 2017 et a depuis lors été plébiscitée par ses aficionados. Déclinée dans plusieurs des métiers de la marque, dont elle est devenue une mascotte, elle s’immisce aussi dans les ateliers de La Fabrique du Temps, à travers trois nouvelles interprétations à heures sautantes.

Dans un boîtier de 38 mm, Vivienne incarne tour à tour une cartomancienne (sur un cadran bleu nuit en aventurine), une croupière de casino (sur un cadran en skarn, une rare et élégante pierre d’un vert profond récemment découverte au Pakistan) ou une artiste de cirque (sur un cadran en nacre iridescente). L’affichage des heures alterne à l’extrémité de ses mains, tandis qu’un talisman tournoie en lévitation autour d’elle à chaque minute qui s’écoule. Trois garde-temps décorés à la main, dans un boîtier en or blanc, or rose ou or jaune, avec un précieux diamant taille rose sur la couronne.

Dans un tout autre registre, voici également la Tambour Slim Vivienne Heures Sautantes. «Vivienne», c’est le nom d’une figurine espiègle et énigmatique qui a fait son apparition dans l’univers créatif de Louis Vuitton en 2017.

Sur le cadran de la Tambour Slim Vivienne Heures Sautantes, deux ouvertures dissimulées parmi une déclinaison de motifs décoratifs affichent l'heure. Toutes les soixante minutes, le chiffre indiquant les heures change instantanément de place.
Sur le cadran de la Tambour Slim Vivienne Heures Sautantes, deux ouvertures dissimulées parmi une déclinaison de motifs décoratifs affichent l’heure. Toutes les soixante minutes, le chiffre indiquant les heures change instantanément de place.

Mise à l’honneur par Louis Vuitton pour la première fois en 2014 avec l’Escale Worldtime, la peinture miniature rehausse la malicieuse figurine d’un effet en trompe-l’œil. Les cartes de tarot et de jeu, les fleurs de Monogram et les chiffres des heures ont tous été peints par les artisans de La Fabrique du Temps.

Autre passe-passe mécanique à l’image du caractère de la figurine: toutes les soixante minutes, le chiffre indiquant les heures change instantanément de place, se téléportant tour à tour dans les deux fenêtres situées en regard des mains de la mascotte. Chaque nouvelle apparition de l’heure marque l’arrivée, dans le second encadré, d’un symbole ésotérique évoquant le thème de la montre. Celle-ci abrite ainsi un mécanisme des heures sautantes alternées, une «première dans l’histoire de l’horlogerie moderne».

Le corps de la grande aiguille des minutes est quasiment invisible. Sa pointe affiche une carte de tarot (modèle Cartomancienne), une carte à jouer (Casino) ou une balle de jongleur en fleur de Monogram Louis Vuitton (modèle Cirque).
Le corps de la grande aiguille des minutes est quasiment invisible. Sa pointe affiche une carte de tarot (modèle Cartomancienne), une carte à jouer (Casino) ou une balle de jongleur en fleur de Monogram Louis Vuitton (modèle Cirque).

Pour assurer une meilleure efficacité énergétique, une plus grande précision de l’affichage des heures et du saut de l’heure ainsi qu’une longévité prolongée du mouvement, une croix de Malte à plusieurs dents est associée à une came multi-niveau et un palpeur en rubis dans le calibre dédié. Un dispositif plus performant que le système des roues en étoile et ressorts sautoirs.

«Avec ce procédé, il est impossible que le mécanisme se décale, en manquant une heure ou en sautant deux heures d’un coup par exemple, commente Michel Navas. Il offre une fiabilité incroyable et une consommation très légère. Nous allons utiliser ce système dans d’autres séries.»

Il y aurait encore beaucoup à dire, tant les collections présentées démontrent une imagination débridée. Ces quelques exemples permettent illustrer un visage peu connu du public – Louis Vuitton ne participant pas aux événements du circuit horloger traditionnel – mais qui mériterait de l’être davantage. Après vingt ans de maturation, cette horlogerie est définitivement passée à l’âge adulte.