Objets du temps


John-Mikaël Flaux: un dialogue entre plusieurs univers

English Español
juillet 2023


John-Mikaël Flaux: un dialogue entre plusieurs univers

Les créations de l’horloger indépendant établi à Morteau relèvent d’une vision sans limite de la mécanique: automate en forme d’abeille indiquant l’heure avec son dard, modèle automobile dont le pot d’échappement sert de remontoir ou encore clepsydre reproduite en montre-bracelet. Rencontre.

I

l souffle un nouvel esprit d’indépendance dans l’horlogerie mécanique. Issus des meilleures écoles d’horlogerie, courtisés par les plus grandes manufactures, ces jeunes diplômés sont épris de liberté et habités par une puissance créatrice dévorante. Loin d’être isolés dans leurs ateliers, ces horlogers tissent les liens d’une communauté où existe la pratique d’une entraide désintéressée. Ils répondent aussi aux attentes d’une clientèle déçue par une industrialisation de la haute horlogerie.

Cette «nouvelle vague» de créateurs, selon la belle expression de Pierre Maillard dans les colonnes d’Europa Star, se forge une identité forte, marchant dans les pas de leurs aînés George Daniels, Philippe Dufour, François-Paul Journe ou encore Kari Voutilainen, qu’ils vénèrent comme des légendes de la grande histoire de l’horlogerie. Nous avons rencontré l’un eux, John-Mikaël Flaux, membre de la prestigieuse Académie Horlogère des Créateurs Indépendants (AHCI) et parrain 2023 de la dernière année de la classe d’horlogerie DnMADE (Diplôme des métiers d’Arts et du Design) du Lycée Edgar Faure de Morteau.

John-Mikaël Flaux
John-Mikaël Flaux

Europa Star: Comment définissez-vous votre profession?

John-Mikaël Flaux: Je suis horloger créateur indépendant. Mon activité se porte sur la mécanique d’art que j’explore dans des formats différents de ceux de la tradition horlogère. Mes pièces s’exposent sur des bureaux et sont souvent des automates. Il n’y a pas nécessairement d’indication horaire ou de complication horlogère.

En résumé, quels sont les objets mécaniques que vous avez réalisés à ce jour?

En 2013, j’ai réalisé mon premier automate, «La Guêpe», puis en 2016, le bateau-horloge Super-Catamaran chez Ulysse Nardin. Quand je suis devenu indépendant en 2018, j’ai commencé par lancer deux séries de voitures-horloges automates limitées à dix exemplaires chacune: tout d’abord la Car Clock inspirée de la Bugatti T35 qui s’est vendue très vite, puis la Time Fury P18. J’ai également conçu trois automates sans indication horaire: un premier que je conserve, «Le Duel», et deux chevaux cabrés. Cette année, je travaille sur trois abeilles que j’ai présentées au salon de l’AHCI, ainsi que sur une série de 10 montres Homage to Al-Jazari, en hommage à l’ingénieur du 12ème siècle du même nom. Avec un ami, nous avons retrouvé l’histoire de cet inventeur et de sa formidable clepsydre que j’ai reproduite en montre-bracelet.

En quoi pensez-vous que vos créations mécaniques se distinguent des autres?

Mon travail est atypique car je fais dialoguer mon savoir-faire horloger avec des thèmes totalement extérieurs à mon univers. Ma dernière création – «L’Abeille» – en est l’illustration. Je m’amuse parfois à transformer un élément esthétique en fonction, à l’image du dard de l’abeille qui est en fait l’index des heures, ou encore du pot d’échappement de la Time Fury P18, qui sert de remontoir.

Mécaniquement, utilisez-vous toujours le même calibre?

Je n’utilise jamais le même calibre, car à chaque nouvelle création je pars d’une feuille blanche! Je n’ai pratiquement aucun standard dans mes composants, juste quelques bonnes recettes que j’applique dans mes nouveaux développements. On peut tout de même citer quelques caractéristiques qui reviennent dans mes modèles: réserve de marche de 8 à 10 jours, échappement à ancre suisse, balancier à vis 18’000 alt/heure, régulateur à force centrifuge avec vis sans fin pour les automates. En ce qui concerne les finitions, je recherche un juste équilibre entre le poli et le mat, l’anglage et le satiné, le perlage et le charbonnage.

Pour ce modèle, John-Mikaël Flaux s'est inspiré de l'œuvre d'al-Jazari, le grand érudit arabe auquel Léonard de Vinci a été comparé.
Pour ce modèle, John-Mikaël Flaux s’est inspiré de l’œuvre d’al-Jazari, le grand érudit arabe auquel Léonard de Vinci a été comparé.

Préférez-vous les automates aux montres?

Mon travail est d’utiliser les codes mécaniques de l’horlogerie sans me limiter aux formats. Je veux développer un univers «nouveau», comme celui de l’automate «L’Abeille» qui indique l’heure en tournant sur son socle. C’est à la fois une horloge de table et un automate avec un mécanisme de la taille d’une montre. Je ne veux pas m’enfermer dans un modèle prédéfini, c’est la créativité qui décide.

Comment vous projetez-vous dans le futur? Voulez-vous engager d’autres horlogers?

Je ne veux certainement pas m’engager sur des productions, ni sur un catalogue. Je le pourrais et cela serait peut-être même plus rentable, mais je deviendrais patron d’une société. Mon atelier est un laboratoire d’idées, de conception et de production artisanale de séries de 3 à un maximum de 10 pièces. C’est exactement cet univers éclectique qui me stimule.

Le design de la Time Fury P18 s'inspire notamment des voitures de course des années 1950.
Le design de la Time Fury P18 s’inspire notamment des voitures de course des années 1950.

Pourriez-vous nous décrire votre atelier?

Exactement 80 m2 (rires). J’ai une énorme planche à dessin de 1,5 mètre sur 1 mètre. Plusieurs ordinateurs et une imprimante 3D, ainsi que plusieurs établis d’horloger avec tous les outils indispensables. Je possède aussi deux tours, une fraiseuse (Aciera F12) et deux commandes numériques artisanales que des amis ont fabriquées! Une affuteuse spinner, un tour numérique bien particulier conçu par un ingénieur à ses temps libres. Enfin, j’utilise aussi une vieille machine automatique à tailler les engrenages qui date de 1925. J’ai aussi une perceuse sensitive et une rouleuse à pivots des années 1950. J’utilise beaucoup du vieux matériel que je remets en état de fonctionnement. Pour les finitions, j’ai une polisseuse et une micro-sableuse. Le reste, je le fais à la main, de façon traditionnelle.