omme Jean-Jacques Fiechter, dirigeant historique de Blancpain de 1950 à 1980 et à l’origine de la Fifty Fathoms née en 1953, Marc A. Hayek passe autant de temps à explorer les profondeurs marines qu’à arpenter la Vallée de Joux ou les bords du Léman.

Cette passion personnelle l’a naturellement conduit à prendre les rênes de la maison, qu’il gère depuis 2002, et l’un de ses premiers projets a été la relance de la Fifty Fathoms. Ces dernières années, il a décidé de recentrer son activité sur Blancpain, cela à l’approche d’un anniversaire important: les 70 ans de la première véritable montre de plongée au monde.

Jean-Jacques Fiechter, co-CEO de Blancpain de 1950 à 1980, en expédition de plongée dans le sud de la France

Derrière ce modèle, c’est aussi une sensibilité à un écosystème menacé qui s’exprime: à travers le Blancpain Ocean Commitment, la manufacture a fait de la préservation des océans et de leurs habitants un axe d’action et de communication important.

Marc A. Hayek en plongée

Deux modèles ont déjà été présentés cette année pour commémorer cet anniversaire: l’un reprenait les codes de la première montre de 1953, l’autre proposait une innovation majeure pour la «réinventer». Le troisième sera présenté en septembre dans le sud de la France, là où l’aventure Fifty Fathoms a démarré. Rencontre avec le président et CEO de Blancpain.

Europa Star: Quelles impulsions avez-vous voulu donner pour la célébration des 70 ans de la Fifty Fathoms?

Marc A. Hayek: Le programme des festivités a très bien démarré mais le clou du spectacle arrivera en septembre, avec la présentation de la dernière pièce de cette trilogie de modèles anniversaires. Peut-être encore plus important que la célébration en soi, c’est l’innovation que nous avons voulu amener, en particulier dans le modèle Fifty Fathoms 70th Anniversary Act 2 – Tech Gombessa, conçu avec le plongeur et biologiste français Laurent Ballesta. Cette montre est très proche de l’esprit originel de la Fifty Fathoms de 1953, qui répondait à un réel besoin.

La Fifty Fathoms originelle de 1953

Comment ce projet est-il né?

Cela a démarré avec l’adoption progressive des recycleurs, qui ont commencé à remplacer les bouteilles hyperbares classiques. Ceux-ci permettent des temps de plongée beaucoup plus longs et ne relâchent pas de bulles, pour une plongée plus en symbiose avec l’environnement. C’est une technologie qui se développe notamment au niveau de la recherche sous-marine. Avec Laurent Ballesta, nous avons ainsi eu l’idée de réaliser une montre moderne dédiée à ce type de plongée. La Tech Gombessa ne remplace pas la Fifty Fathoms classique: elle lance une nouvelle ligne dans la collection Fifty Fathoms. La première montre de célébration faisait revivre le modèle classique, ce deuxième modèle propose une innovation importante pour s’adapter à l’évolution de la plongée, quand le troisième fêtera le lieu de naissance de la Fifty Fathoms, dans la baie de Cannes: nous ferons ainsi revivre cette époque.

En 2003, à l’occasion des 50 ans de la Fifty Fathoms, la marque lançait la première Fifty Fathoms contemporaine, une édition limitée de trois séries de 50 pièces.

La Fifty Fathoms Automatique réf. 5015 1130 52A de 2007 marque également une étape importante dans le développement de la collection en adoptant une nouvelle esthétique et un nouveau mouvement.

De quelle manière votre pratique personnelle de la plongée vous est-elle utile dans le développement de la collection?

Je m’en sers beaucoup. Un exemple: on pense généralement que l’orange est la couleur la plus visible sous l’eau mais en plongeant en grande profondeur, je me suis aperçu que le blanc naturel contrastait encore davantage. Cela, on ne peut le ressentir que par la pratique et l’expérience. Ces dix dernières années, j’ai principalement plongé en recycleur. Mais récemment, j’ai repris les bouteilles avec mon fils, qui vient de commencer à plonger, et il y aussi un certain plaisir à ne pas devoir passer par un long temps de préparation comme c’est le cas avec le recycleur…

Première pièce anniversaire de l’année 2023, la Fifty Fathoms 70th Anniversary Act 1 de 42 mm reprend les codes de la pièce de 1953 et est montée sur un bracelet NATO YTT+ noir. Trois séries ont été produites, constituées de 70 pièces chacune. Chaque série est dédiée à une région du monde – EMEA, Asie-Pacifique, Amérique – et porte un numéro allant de I à III sur le cadran.

Corollaire à l’historique de la Fifty Fathoms, vous avez lancé le Blancpain Ocean Commitment pour préserver la faune sous-marine. Quels en sont les contours?

Nous avons démarré un partenariat avec le PADI (Professional Association of Diving Instructors) en 2003 puis avons lancé le Blancpain Ocean Commitment en particulier pour la préservation du requin-baleine. La première rencontre dont je me rappelle avec cet animal, en Thaïlande, m’a marqué à vie. Aujourd’hui, il faut passer à l’action et l’un des meilleurs moyens reste de montrer à quel point cet environnement est beau et nécessaire pour notre planète: on ne le sait pas forcément, mais les océans capturent plus de CO₂ que les forêts! J’ai vu des spots de plongée se dégrader au fil des ans, par exemple aux Maldives. Tous ces récifs que j’avais vus dans les années 1990 était devenus «blancs», sans vie, sous l’effet du réchauffement climatique et de l’acidification des océans qui en découle. Cet environnement peut parfois revenir en adoptant les bonnes mesures, mais il est tout aussi probable qu’il ne se rétablisse jamais.

Quels résultats tangibles pouvez-vous attester avec ce programme?

Le plus «mesurable» est l’opération Pristine Seas avec la National Geographic Society, à travers laquelle nous avons contribué à initier la protection de très grandes zones sous-marines à travers le monde. Cependant protéger ces zones sur le papier est une chose, encore faut-il parvenir à en assurer la surveillance effective. Aux Philippines par exemple, ce sont des comités locaux qui agissent pour contrôler le respect de ces mesures. Il s’agit de bien montrer que cette protection est dans leur intérêt: avec une réduction des émissions carbone et une préservation des espèces, leur environnement est au final plus riche.

Partenaire fondateur des expéditions Pristine Seas, Blancpain a financé 14 expéditions scientifiques d’envergure entre 2011 et 2016. Douze de ces expéditions ont mené à la création d’aires marines protégées dont la superficie totale dépasse les 4,7 millions de km².

Et dans l’industrie horlogère elle-même?

Il reste encore beaucoup à faire. Chez Blancpain, nous travaillons notamment avec des bracelets en NATO recyclés et recyclables issus de filets de pêche récupérés en mer ou dans les océans. De manière générale, il est nécessaire de faire attention, car il y a de nombreux pièges dans lesquels on peut tomber: on a l’impression de faire une bonne action mais en réalité on ne fait que déplacer le problème… Je pense par exemple à la compensation carbone: il existe de nombreux cas où une part minime va réellement à la cause soutenue. Ceci étant dit, il est positif de constater un éveil des consciences et cela commence par un changement dans la manière de consommer. Dans le luxe, nous sommes bien placés sur cette question, car le problème majeur pour notre planète est la surconsommation: mieux vaut consommer moins mais mieux. Par ailleurs on voit encore beaucoup cette course dommageable au «toujours plus», par exemple dans l’industrie financière où l’on exige une croissance sans fin, quelles qu’en soient les conséquences et quitte à créer toujours plus d’inégalités.

Le deuxième modèle anniversaire, baptisé Fifty Fathoms 70th Anniversary Act 2 – Tech Gombessa, permet pour la première fois de mesurer des temps d’immersion allant jusqu’à 3 heures. Ayant fait l’objet d’un dépôt de brevet, cette pièce innovante en titane grade 23 marque le lancement d’une nouvelle ligne dans la collection de montres de plongée de Blancpain.

La Fifty Fathoms est le modèle emblématique de Blancpain, dans une époque très favorable au sport-chic. Domine-t-elle les autres collections?

Même s’il s’agit d’une année anniversaire - marquée donc par la Fifty Fathoms, il n’y a pas de volonté d’octroyer une place dominante à cette collection. L’histoire de Blancpain est riche et chaque période peut faire l’objet de réinterprétations fort intéressantes: je pense notamment aux modèles féminins des années 1920 à 1930. Il est plutôt judicieux d’arriver à une cohérence de marque et à sensibiliser tous les marchés à l’ensemble de nos propositions: par exemple en Chine aujourd’hui, la Fifty Fathoms a dépassé les ventes de notre collection classique Villeret, alors que c’était loin d’être le cas il y a quelques années seulement.

Quelles sont à vos yeux les valeurs principales de Blancpain et les propositions qui la distinguent sur le circuit horloger?

Blancpain est avant tout une manufacture: nous prenons quatre à sept ans pour développer un nouveau mouvement et nous allons encore amener de grandes complications dans les prochaines années. Notre identité découle de ces capacités et nous sommes également les héritiers du grand producteur de calibres Frédéric Piguet. Les mouvements très plats font partie de cet ADN commun. Chez Blancpain, le mouvement donne l’impulsion dans la création de produits.

Les modèles personnalisés et Métiers d’Art sont-ils importants dans la production actuelle de Blancpain?

Ces modèles doivent rester une composante de Blancpain, bien que l’on ne parle que de quelques pièces par année seulement. Notre volonté est de collaborer avec le client final et donc de ne pas tout préparer de notre côté. J’adorerais aller plus loin dans cet exercice mais il reste difficile à intégrer dans la structure globale de notre société. Une marque comme Jaquet Droz se spécialise à présent dans ce créneau et je crois que c’est la bonne approche: il s’agit de s’y consacrer pleinement.

Cette marque a en effet connu un repositionnement complet ces dernières années. Quel est votre rôle exact auprès des marques de Haute Horlogerie de Swatch Group aujourd’hui?

Je ne m’occupe de l’opérationnel que chez Blancpain. En ce qui concerne Jaquet Droz et Breguet, j’interviens sur les aspects stratégiques.

Post-covid, où se situent les marchés les plus prometteurs pour Blancpain?

Cela fait des années que nous souhaitions développer les clientèles locales et, suite au covid, nous nous rendons compte qu’il y avait encore plus de potentiel que nous ne l’imaginions. L’an passé nous avons réalisé en Europe les mêmes résultats qu’avant le covid, sans prendre en compte la clientèle touristique chinoise. Nous allons encore accentuer notre présence sur des marchés que nous souhaitons développer plus largement, comme le Japon, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Dans le monde post-covid, le touriste est un «plus», mais ne constitue pas la pierre angulaire des ventes.

Pour Only Watch 2023, Blancpain a créé une édition spéciale aux nuances bleues de la Fifty Fathoms 70th Anniversary Act 1 lancée plus tôt dans l’année.

Comment cette redéfinition stratégique s’applique-t-elle à votre distribution?

Notamment par une grande souplesse et agilité dans les stocks. Avoir des stocks suffisants s’avère essentiel pour pouvoir réagir adéquatement et rapidement, raison pour laquelle nous n’avons pas freiné la production durant le covid. Par ailleurs, nous restons relativement stables depuis une dizaine d’années dans la configuration de nos points de vente: aujourd’hui, nous comptons 45 boutiques en propre et quelque 400 points de vente à travers 200 partenaires. Dans certaines régions nous réduisons légèrement les points de vente mais nous en ouvrons dans des zones à fort potentiel. Le tout s’équilibre. Le quart de nos ventes se fait dans nos propres boutiques; à terme, nous monterons peut-être à 40%-50% mais pas plus.