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«Une explosion des offres d’emploi dans l’industrie horlogère»

ENTRETIEN

juin 2023


«Une explosion des offres d'emploi dans l'industrie horlogère»

L’annonce de l’ouverture d’un ambitieux nouveau site de production de Rolex à Bulle dans le canton de Fribourg symbolise la santé éclatante du marché de l’emploi horloger. Mais aussi la nécessité de trouver de nouveaux bassins de recrutement dans une industrie en plein développement. Rencontre avec Benoît Fontaine, à la tête de la plateforme Job Watch.

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e nombreux nouveaux emplois devraient voir le jour durant la prochaine décennie dans l’industrie horlogère suisse, si celle-ci poursuit sa bonne dynamique post-covid. Une annonce le symbolise plus que toute autre: l’inauguration programmée pour 2029 d’un nouveau site de production de Rolex à Bulle, dans le canton de Fribourg. Un projet devisé à un milliard de francs, planifié sur 100’000 m2 avec quelques 2’000 emplois et des dizaines d’apprentissage à la clé, selon les informations de la RTS.

Une manière pour le géant horloger de toucher un nouveau bassin de recrutement dans un canton pour l’heure moins «horloger» que Genève ou Neuchâtel, alors que les besoins en main d’œuvre se font toujours plus pressants. D’ailleurs, Rolex n’attendra pas 2029 pour s’établir dans le canton de Fribourg: en attendant le site de Bulle, elle s’installera sur le site de La Maillarde à Romont, occupé dans le passé par Tetra Pak, et y formera déjà entre 250 et 300 collaborateurs, selon La Gruyère.

Des développements qui ne surprennent guère Benoît Fontaine, qui a repris il y a une décennie la plateforme de référence de recrutement dédiée à l’emploi horloger et microtechnique Job Watch: le nombre d’offres d’emploi traitées par sa société a doublé depuis 2021. Entretien.

Benoît Fontaine, propriétaire et directeur de la plateforme Job Watch
Benoît Fontaine, propriétaire et directeur de la plateforme Job Watch

Europa Star: Comment décririez-vous la situation générale sur le marché de l’emploi horloger?

Benoît Fontaine: Même si certains se posent des questions sur la durée possible de l’embellie qu’a connue l’industrie depuis deux ans, la situation reste au beau fixe. Nous observons une poursuite de la dynamique engagée en 2021. Alors qu’on enregistrait un léger déclin du nombre d’annonces postées en 2019, suivi du coup de frein provoqué par la pandémie, nous avons noté dès 2021 les prémices d’un fort rebond, qui a accéléré l’an dernier et se poursuit aujourd’hui.

Qu’est-ce que cela signifie en nombre d’annonces sur votre plateforme?

En 2019, nous pouvions avoir une moyenne de 300 à 350 offres d’emploi présentes simultanément sur notre site. Depuis l’an dernier nous tournons plutôt à 650 à 700 annonces en moyenne, avec un pic à 750 en 2022! Et le rythme ne faiblit pas…

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PUBLICATIONS D'OFFRES D'EMPLOI SUR LE SITE JOB WATCH DEPUIS 2019
ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PUBLICATIONS D’OFFRES D’EMPLOI SUR LE SITE JOB WATCH DEPUIS 2019

Quels sont les métiers les plus recherchés?

Ce sont les métiers de la production, qu’il s’agisse de micromécanique ou de décoration. Beaucoup de régleurs, de metteurs en train, de polymécaniciens, de programmeurs – soit tous les métiers qui tournent autour de la fabrication des pièces du mouvement et de l’habillage de la montre. Du côté de la décoration, les angleurs sont particulièrement prisés. Ensuite, on trouve une forte demande de constructeurs, de spécialistes du contrôle qualité ou du polissage. Mais les polisseurs ou les décolleteurs, tout le monde en a toujours recherchés et ce n’est pas foncièrement nouveau.

Est-ce qu’il y a des profils quasiment impossibles à trouver aujourd’hui?

Oui, les décolleteurs justement. On se les arrache. C’est vraiment le profil le plus difficile à trouver. Au point qu’il y a une boutade de longue date selon laquelle si un décolleteur est sur le marché, c’est qu’il n’est vraiment pas bon…

POURCENTAGE D'OFFRES D'EMPLOI PAR CATÉGORIE DE MÉTIER SUR LE SITE JOB WATCH (Chiffres du 01.2019 au 31.03.2023)
POURCENTAGE D’OFFRES D’EMPLOI PAR CATÉGORIE DE MÉTIER SUR LE SITE JOB WATCH (Chiffres du 01.2019 au 31.03.2023)

Comment remédier à cette situation?

Devant le manque de relève, certaines entreprises se mobilisent pour mettre en place des formations communes. C’est le cas d’Affolter avec d’autres sociétés de décolletage par exemple. Cela me semble une solution pragmatique intéressante. Elle pourrait inspirer d’autres segments d’activité.

Faute de candidats, est-ce que les offres d’emploi restent en moyenne plus longtemps en ligne?

Nous notons un léger allongement de la durée de publication des annonces: en moyenne, elles sont actives entre quatre et six semaines. Cela dépend des métiers recherchés. Par ailleurs, le marché étant très demandeur de main d’œuvre qualifiée, les personnes qui souhaitent changer d’emploi ont un besoin moins grand de notre aide. Le nombre d’inscriptions de candidats sur notre site a ainsi fléchi de l’ordre de 15% à 20%. Toutefois, les profils pointus continuent à nous solliciter car nous avons accès à des postes qui ne sont pas forcément rendus publics.

Quel est votre modèle d’affaires?

Nous travaillons à la commission pour le recrutement sur mandat ou par abonnement pour la publication d’offre et la recherche de profil dans notre base de données. Nous proposons aussi de mettre en avant la marque employeur: en mobilisant différents canaux, c’est la possibilité pour les entreprises cherchant à recruter de faire valoir leurs atouts en tant qu’employeurs, qu’ils soient pratiques ou éthiques, par exemple leur politique de durabilité.

RÉPARTITION PAR GENRE DES CANDIDATURES PAR CATÉGORIE DE MÉTIER SUR LE SITE JOB WATCH (Chiffres du 01.2019 au 31.03.2023)
RÉPARTITION PAR GENRE DES CANDIDATURES PAR CATÉGORIE DE MÉTIER SUR LE SITE JOB WATCH (Chiffres du 01.2019 au 31.03.2023)

Est-ce que vous notez chez les candidats des préférences pour les manufactures ou les sous-traitants en tant qu’employeurs?

C’est un choix très personnel. Certains seront d’abord attirés par le prestige des manufactures et une garantie d’emploi qui peut sembler supérieure sur un marché horloger cyclique; d’autres apprécient l’agilité des plus petites structures. Le dénominateur commun, c’est qu’on voit toujours plus de mobilité. Les profils qui restent dix ans ou plus au sein d’une même entreprise, comme on en voyait souvent auparavant, sont toujours plus rares.

Quelles actions mettez-vous en place pour les personnes sortant des études et à la recherche de leur premier emploi?

Nous faisons la promotion de certaines formations mais surtout nous encourageons les volées sortantes à s’inscrire le plus tôt possible sur notre plateforme, afin d’être confrontées à la réalité du marché de l’emploi. Par ailleurs, nous menons des initiatives favorisant la rencontre entre employeurs et candidats: lors de l’EPHJ par exemple, nous avons mis en place une «journée de l’emploi» en partenariat avec les organisateurs du salon.

La succession à la tête d’Audemars Piguet a été très suivie au sein de l’industrie. Est-ce que vous vous occupez également de mandats de direction?

Oui, même si ce n’est pas notre activité principale. Je ne peux pas vous donner de détail, mais nous traitons en ce moment d’un mandat de recherche pour un CEO…

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