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Parmigiani Fleurier: champion éclatant du «luxe discret»

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juillet 2023


Parmigiani Fleurier: champion éclatant du «luxe discret»

Il n’aura fallu à Guido Terreni que deux ans pour tripler le chiffre d’affaires de la marque Parmigiani Fleurier, dont il est le CEO depuis 2021. Lors d’un entretien, il confie les secrets de ce succès.

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epuis son arrivée chez Parmigiani Fleurier en tant que CEO le 26 janvier 2021, Guido Terreni a replacé la manufacture horlogère sur l’échiquier des marques au luxe discret, hautement désirables. Ce stratège avait mis dix ans pour donner une légitimité aux montres Bulgari. Il ne lui aura fallu que deux années pour tripler le chiffre d’affaires de la manufacture de Fleurier.

En septembre 2021 il présentait la Tonda PF, un modèle entièrement revisité qui relève de ce que l’on appelle désormais le «quiet luxury», soit un luxe qui murmure au lieu de parler fort. Ce modèle est vite devenu victime de son succès: la demande dépassant largement l’offre, une augmentation de la production a rapidement été nécessaire. Si en 2021 la manufacture produisait 1’500 pièces, à ce jour la production a quasiment doublé. Lors d’un entretien, Guido Terreni révèle les raisons de la renaissance de la marque.

Guido Terreni, le CEO de Parmigiani Fleurier, et Michel Parmigiani, le fondateur de la marque horlogère qui porte son nom
Guido Terreni, le CEO de Parmigiani Fleurier, et Michel Parmigiani, le fondateur de la marque horlogère qui porte son nom

Europa Star: Comment avez-vous abordé l’univers singulier de Michel Parmigiani lorsque vous avez été nommé CEO?

Guido Terreni: C’était un moment spécial. J’ai été recruté par un cabinet avant de parler avec la Fondation de Famille Sandoz et j’ai rencontré Michel deux jours après être arrivé dans la société. Il était d’une grande modestie alors qu’il est une légende vivante de la restauration horlogère. Il possède une sensibilité artistique mais il est également très cérébral. Il arrive à rationaliser certains aspects esthétiques grâce à sa passion pour les mathématiques, la géométrie et l’architecture.

Nous avons commencé à parler de montres. Ce n’est pas une personne à qui l’on peut poser des questions directes et à qui l’on demande par exemple les dix choses les plus importantes qu’il a apprises lors de sa carrière. Il faut entrer dans une véritable conversation avec lui, montrer de l’intérêt, être curieux, et ensuite il commence à s’ouvrir et offrir des pépites imprévues. Il est tellement curieux de tout. Il possède à la fois une sensibilité artistique mais il est également très cérébral. Il arrive à rationaliser certains aspects esthétiques grâce à sa passion pour les mathématiques, la géométrie et l’architecture. Il m’a confié avoir hésité entre devenir architecte et horloger. Cela a résonné en moi car l’architecture était l’une des pistes que je voulais suivre aussi. J’ai fait autre chose mais je comprends la mentalité de l’architecte: il remplit la feuille blanche et c’est fascinant.

Le modèle Tonda PF Minute Rattrapante, une première mondiale présentée lors du salon Watches and Wonders 2023
Le modèle Tonda PF Minute Rattrapante, une première mondiale présentée lors du salon Watches and Wonders 2023

Comment définiriez-vous l’âme de Parmigiani?

C’est une marque très éduquée, très profonde, qui est enracinée dans deux valeurs extrêmement importantes qui viennent de Michel lui-même, à commencer par le savoir-faire. Il maîtrise à la perfection le patrimoine culturel de l’art mécanique. Quand on restaure des pièces anciennes, on doit le faire avec les techniques de l’époque. Il faut donc maîtriser l’art horloger tel qu’il se pratique aujourd’hui mais aussi tel qu’il se pratiquait historiquement. Et cela concerne tous les composants: les mouvements, les boîtes, les cadrans… Je dis souvent que Michel est ceinture noire d’horlogerie (rires).

Ensuite, quand on fait de la restauration, on travaille sur l’œuvre de quelqu’un d’autre. Ce qui fait appel à une seconde valeur: la «non ostentation». Ce métier place l’horloger dans une situation paradoxale: d’une part il doit être extrêmement doué pour le faire et il doit se mettre en retrait car le but est de donner une deuxième vie au travail d’un autre créateur. La marque est basée sur ces valeurs fondatrices. Il ne faut pas oublier qu’elle a été créée grâce à l’aide de la Fondation Sandoz, très discrète elle aussi.

Cette tendance à l’élégance discrète, certains l’ont rebaptisée le «quiet luxury».

Le «quiet luxury» a toujours été présent et c’est intéressant que la presse le découvre seulement aujourd’hui. George Brummel disait que «la véritable élégance consiste à ne pas se faire remarquer». L’élite fortunée est intéressée par d’autres sujets que le prix des choses. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis venu chez Parmigiani Fleurier. Il y a deux ans, je sentais déjà un retour à ces valeurs profondes et éternelles, bien avant que cette tendance émerge.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de créer une Tonda PF Minute Rattra-pante qui est une première mondiale?

A l’origine de cette montre, il y avait la volonté de réinterpréter une montre de plongée. L’idée n’était pas de faire une montre professionnelle sportive, mais quelque chose de sobre, d’élégant. Je me suis alors demandé pourquoi, étant horloger, nous devions utiliser une lunette tournante pour calculer une durée courte? A partir de cette réflexion, nous avons créé un mouvement avec une minute rattrapante qui a la même fonction qu’une lunette tournante, mais avec trois aiguilles: celle des heures, et deux aiguilles des minutes superposées. Celle qui est cachée rattrape la minute courante après que l’on a mesuré un certain événement. L’idée était d’avoir une fonction «à la carte», que l’on n’actionne que lorsque l’on en a besoin et qui, le reste du temps, est invisible. Cette fonction est utile à ceux qui ont besoin d’une aide pour être ponctuel et pour maîtriser le temps qu’ils ont à disposition. Cela peut être une conversation de 30 minutes, le temps qu’il reste avant de rejoindre une porte à l’aéroport, la cuisson des pâtes al dente…

La montre doit être intuitive et facile d’utilisation. C’est pour cela qu’elle possède deux poussoirs: un à 8h et l’autre à 10h. En les actionnant, le premier fait sauter la seconde aiguille des minutes cachée par incrément d’une minute alors que le second poussoir la fait sauter par tranches de cinq minutes, ce qui permet d’avancer l’aiguille rattrapante plus rapidement. Cette fonction est une première mondiale.

Et qu’en est-il du calendrier chinois Tonda PF Xiali Complete Chinese Calendar qui est une prouesse technique inouïe? Pourriez-vous l’expliquer?

Michel Parmigiani dit souvent que «le calendrier est une radiographie d’une civilisation». Les calendriers de nos ancêtres permettaient d’organiser la vie sociale, politique, religieuse… Or on ne sait pas pourquoi certaines civilisations ont choisi un calendrier solaire, d’autres un calendrier lunaire ou la combinaison des deux comme le calendrier chinois. Il est impossible de créer un calendrier perpétuel chinois car celui-ci n’est pas cyclique. C’est un calendrier courant sur une période de 60 ans que nous avons décomposé en cycles de 12 ans. Cela signifie que tous les 12 ans, il faut faire effectuer un service à sa montre pour changer un seul élément dans le mouvement. Michel Parmigiani s’est découvert une passion pour les calendriers après en avoir restauré beaucoup. Créer une telle pièce est une expression de respect: on se met au service d’une autre culture.

La Tonda PF Calendrier Xiali, une première mondiale avec un calendrier chinois complet
La Tonda PF Calendrier Xiali, une première mondiale avec un calendrier chinois complet

Pourquoi avoir travaillé avec la société Agenhor qui a développé ce calendrier chinois complet?

Laurent Wiederrecht nous avait déjà aidé pour la construction du calendrier islamique Hijri. Il était parti de deux garde-temps hégiriens qui avaient été restaurés par Michel Parmigiani: une montre de poche et une montre de table. Avec Laurent, nous avions miniaturisé cette conception. Cela a donné un module additionnel que nous avions ajouté à notre mouvement de base Parmigiani. Par la suite, nous lui avons demandé de développer un calendrier chinois selon notre désir. Le projet a commencé en 2020.

Quand vous avez lancé la Tonda PF, vous attendiez-vous à un tel succès?

Non. Cela nous a surpris. C’est la démonstration de l’importance du prestige dans une marque. Mon expérience antérieure était très différente: j’ai accompagné une marque qui n’avait pas de légitimité horlogère afin qu’elle en acquière une. C’est un travail qui prend une décennie. Mais quand Parmigiani Fleurier est née, l’idée était de créer une marque respectant la tradition horlogère au plus haut niveau. Je suis arrivé à l’occasion du 25ème anniversaire de la marque. Elle avait perdu un peu le contact avec les clients mais ses valeurs étaient claires. Un mois avant mon arrivée, je me suis demandé quelles valeurs le client de Parmigiani recherchait. La réponse s’est imposée sous la forme de la Tonda PF.

Nous avons repris tous les codes esthétiques préexistants. Nous les avons rendus plus pertinents. L’indication PF était à l’origine un poinçon de maître. C’était un élément technique qui était caché. Nous l’avons positionné à midi pour dire qui nous sommes. C’est une montre discrète. On n’a pas besoin d’y apposer de logo car le logo, c’est pour les autres. Nous avons miniaturisé le décor grain d’orge pour rendre le guilloché main plus moderne. Il est tellement petit que cela devient une texture. C’est une collection très pure, essentielle, apparemment simple et sans compromis.

Lorsque vous avez lancé ce modèle, vous avez été submergé par les demandes. Où en êtes-vous un an après?

La dimension qu’a prise la marque est plus importante que notre capacité de production. Tout ce que nous livrons aujourd’hui est déjà réservé. Nous avons intéressé un public extrêmement exigeant. En 2022, nous avons triplé le chiffre d’affaires et doublé les volumes. Aujourd’hui nous sommes confrontés à une demande dix fois supérieure à celle qui existait lorsque je suis arrivé.

Comment faites-vous face au fait que, depuis la pandémie, tous les délais de fabrication ont augmenté?

Je suis entré dans la société à un moment qui était une sorte de conjonction astrale, en janvier 2021. Nous étions en plein confinement, les capacités productives étaient libres, nous avons pu dessiner, développer et produire une collection à l’interne, dans un délai miraculeux! En sept mois, créer sept références depuis une feuille blanche, c’est du jamais vu. Pendant les Geneva Watch Days de 2021, seuls 12 détaillants ont pu voir la collection physiquement sur une centaine que nous avions à l’époque. Les autres l’ont découverte grâce à Zoom. En octobre, nous avons envoyé des sets de collection dans les différents marchés pour qu’ils puissent prendre des commandes. En novembre nous avons commencé à livrer les montres. Et dès février 2022, la marque a connu une croissance exponentielle. Lors de Watches and Wonders 2022, les demandes avaient explosé!

Nous avions prévu de croître, mais pas autant. Nous essayons de limiter l’attente et de ne pas créer de frustration auprès de nos clients. Nous avons la chance d’avoir derrière nous toute une structure industrielle avec Vaucher Manufacture, Les Artisans Boîtiers et Quadrance, qui travaillent aussi pour des clients tiers car ils ont une capacité de production supérieure à ce dont nous avons besoin.

Charles III, récemment couronné et un inconditionnel de sa montre Parmigiani Fleurier Toric Chronograph
Charles III, récemment couronné et un inconditionnel de sa montre Parmigiani Fleurier Toric Chronograph

Lorsque vous avez été nommé, en janvier 2021, nous étions en pleine pandémie. Comment réussit-on à reprendre la direction d’une maison dans une période aussi troublée?

C’est la deuxième fois que cela m’arrive. Quand j’ai été nommé à la tête de la division horlogère de Bulgari, c’était en 2009 en pleine crise financière. Quand je suis arrivé chez Parmigiani Fleurier, j’ai eu besoin de me concentrer sur les valeurs du client que nous voulions servir, celles de la marque, et les interpréter. J’ai vite compris que le problème, c’était le produit. Il avait perdu l’identité que Michel Parmigiani lui avait donné. Quand je suis arrivé, j’ai arrêté les projets en cours pour le 25ème anniversaire et refait en très peu de temps ce que je pensais être la marque. Nous avons commencé à travailler sur ses valeurs, ses codes esthétiques et en 19 jours la collection était dessinée.

Vous avez choisi de vous concentrer sur un certain nombre de lignes: la Tonda PF, la Tonda GMT et certaines complications comme les calendriers lancés cette année. L’an passé, vous évoquiez la possibilité de moderniser la Toric. Où en êtes-vous dans cette réflexion?

On y travaille. C’est la collection avec laquelle la marque est née mais je ne voulais pas commencer avec elle. La Tonda GT est née 6 mois avant mon arrivée et donnait de l’intérêt à la marque. Ce modèle était le précurseur de la PF qui a permis de redéfinir Parmigiani Fleurier. On ne peut pas tout faire en même temps. La Tonda PF n’a qu’un an et demi. C’est très peu en horlogerie. Ce serait prématuré de lancer une deuxième collection. Il faut donner le temps au client de comprendre la direction que prend la marque et respecter les personnes qui attendent leurs pièces depuis des mois.

Avez-vous le sentiment d’avoir réveillé la belle endormie?

C’’était un peu le but de cette aventure. Quand je suis arrivé en 2021, j’avais l’intuition que le luxe allait vers des choix plus personnels, plus intimes. Parmigiani Fleurier possède à la fois le prestige, la capacité de maîtriser le métier et une clientèle élitiste. Ces trois combinaisons sont une opportunité unique!

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