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Luc Labenne, chasseur de météorites

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avril 2023


Luc Labenne, chasseur de météorites

Cet ancien médecin a une passion bien particulière qui l’entraîne dans les divers déserts de la planète en quête de roches extraterrestres. C’est vers cet expert reconnu mondialement que les horlogers et joailliers se tournent pour acheter des pièces d’exception qui deviendront des bijoux ou des cadrans de montres. Interview.

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uc Labenne fait un métier qui ferait rêver les enfants âgés de 7 à 77 ans: il est chasseur de météorites. Depuis près de 30 ans, il arpente les déserts à la recherche de ces morceaux échappés de la lune, de mars ou de météores tombés un jour sur terre. Il les cherche de manière systématique, les répertorie, les collectionne et les vend. Sa dernière grande émotion? Un fragment d’astéroïde tombé en Normandie dans la nuit du 13 février 2023. Une météorite baptisée 2023 CX1.

Ce chasseur de roches extraterrestres a quitté sa première vocation – médecin – pour faire de sa passion un métier à plein temps. Reconnu comme expert international, il est le principal fournisseur de météorites auprès des musées et des universités scientifiques et c’est vers lui que se tournent les manufactures horlogères et joaillières pour acquérir des pièces exceptionnelles. Nous l’avons rencontré.

Europa Star: Comment est née votre passion pour les météorites?

Luc Labenne: C’est venu tout petit. J’ai toujours observé la nature et ramassé des cailloux. Enfant, je cherchais des petits fossiles dans les chemins qui bordaient l’immeuble où vivait ma grand-mère. Il m’arrivait de trouver des petits fossiles d’oursins, des coquillages qui, à mes yeux, étaient de vrais trésors. Plus tard, avec mon père et mon frère, nous sommes allés, lors de randonnées dans le désert, chercher des outils préhistoriques. Un jour, je suis tombé sur un article qui racontait l’histoire d’un couple de géologues allemands. Alors qu’ils étudiaient les roches en Algérie pour trouver du pétrole, ils ont trouvé des météorites.

A l’époque, les seuls endroits où l’on cherchait des météorites de manière systématique, c’était en Antarctique, sur les glaces bleues où il y a des phénomènes de concentration. Une chute de météorites, c’est un phénomène très rare et en Antarctique, elles se sont retrouvées emprisonnées dans les glaces. Au fil du temps, le vent a fait s’évaporer la glace et elles ont fini par se retrouver en surface. Les scientifiques avaient remarqué qu’il existait des zones en Antarctique où étaient concentrées beaucoup de météorites. Elles étaient tombées au cours de centaines de milliers d’années, voire de millions d’années et l’on pouvait organiser des expéditions spécifiques pour aller les chercher.

Luc Labenne avec la météorite de Ghadames, une pièce orientée de 24 kg avec des traces d'impact. (Photo Buonomo & Cometti)
Luc Labenne avec la météorite de Ghadames, une pièce orientée de 24 kg avec des traces d’impact. (Photo Buonomo & Cometti)

Et comment sont-elles arrivées dans le désert?

Cela s’est produit de la même manière. On s’est rendu compte qu’il y avait aussi une accumulation de météorites dans le désert, le paysage n’ayant pas changé depuis des centaines de milliers d’années. Quand je dis «accumulation», c’est très relatif. Pour vous donner un ordre d’idée, on peut trouver une météorite par kilomètre carré, ce qui est un espace très étendu lorsque l’on doit le parcourir à pied ou même en voiture.

Comme j’avais l’habitude d’aller dans le désert, j’ai décidé d’aller y chercher des météorites. Mais à l’époque, elles n’étaient pas faciles à reconnaître: internet était balbutiant, j’avais bien vu des images de météorites dans des livres, mais elles étaient coupées. C’est très bien pour voir leur structure intérieure, mais cela n’aide pas pour savoir à quoi elles ressemblent quand on en trouve dans le désert.

J’ai fait plusieurs expéditions qui n’ont pas donné de résultat, jusqu’à ce que je trouve enfin une météorite. Mon œil a appris à les identifier. C’est une roche parmi d’autres, donc il faut faire la distinction. Si elle semble n’avoir rien à faire à cet endroit, c’est probablement une météorite. L’apprentissage s’est fait comme cela. J’ai commencé par en trouver une, puis dix, puis des centaines.

Qu’est-ce qui vous fascine dans le désert?

Le silence d’abord. Dans notre vie, on est assailli de sons, de bruits, d’appels et c’est le seul endroit, pour peu qu’il n’y ait pas de vent, où il n’y a pas de son. Et puis il y a les paysages… Tout peut arriver là-bas, quand je chasse les météorites. Certains comparent cela à une chasse au trésor. La journée démarre et je peux ne rien trouver du tout, comme je peux découvrir une météorite qui va faire avancer la science par sa composition ou qui va être exceptionnelle par son aspect.

Que ressentez-vous au moment où vous trouvez une météorite?

Le moment de l’identification est particulier. Avant de la toucher ou de la prélever du sol, il y a un tout un travail de documentation à faire: prendre les coordonnées GPS, faire des photos… Quand j’ai enfin l’objet dans mes mains, je me dis que c’est une roche qui vient de l’espace, qui est tombée sur la Terre et que je suis le premier être humain à l’avoir touchée. C’est fascinant. J’essaie d’imaginer la trajectoire de ce caillou qui a 4,5 milliards d’années – pour la plupart – qui peut venir du fin fond du système solaire, ou bien de Mars ou de la Lune. C’est spectaculaire, une chute de météorite! C’est très bruyant, comme un coup de tonnerre. Il y a des sifflements lorsque la pierre traverse notre atmosphère et des phénomènes lumineux très intenses. Cette émotion intense qui naît de chaque découverte de météorite ne s’émousse pas.

La météorite pallasite Seymchan: une très grande tranche avec le «motif Widmanstätten» révélé. (Photo Buonomo & Cometti)
La météorite pallasite Seymchan: une très grande tranche avec le «motif Widmanstätten» révélé. (Photo Buonomo & Cometti)

Est-ce qu’il vous arrive de recevoir des informations sur leurs points de chute ou cherchez-vous de manière aléatoire?

On ne sait pas prévoir les chutes. On considère que, sur une année et sur l’ensemble de notre belle planète, entre cinq et dix météorites ont été vues tomber et été ramassées. Ce qui est très peu: la plupart chutent dans des océans ou des lieux inhabités. La probabilité de les suivre est mince. Je préfère pratiquer la recherche systématique dans des zones désertiques. Il faut être attentif et espérer que, parfois, l’on découvre une météorite extraordinaire, même si elles le sont toutes d’une certaine manière.

Lorsque vous trouvez une météorite, vous devez en donner un morceau à la science. Pourquoi?

Afin qu’une météorite «existe» et soit déclarée par la science – parce qu’il s’agit avant tout d’un objet scientifique – il faut en donner 20% à la science si la pierre pèse jusqu’à 100 grammes, et au-delà de ce poids 20 grammes suffisent. Cet échantillon va servir à faire des analyses et permettre d’établir la classification. La météorite va alors recevoir un nom et une sorte de carte d’identité qui va être publiée dans The Meteoritical Bulletin of the Meteoritical Society. Il y a à peu près mille scientifiques qui travaillent sur les météorites actuellement dans le monde et quand ils font des publications, ils doivent indiquer le nom de la météorite qui a fait l’objet de leurs travaux. Il faut donc une déclaration d’identité officielle. Cet échantillon va se retrouver ensuite dans un institut ou un musée comme échantillon de référence.

La météorite martienne NWA 7533, star de la collection de Luc Labenne. Grâce à cette météorite, les scientifiques ont pu confirmer la présence d'eau sur Mars avec un pH neutre de 7, propice à la vie.
La météorite martienne NWA 7533, star de la collection de Luc Labenne. Grâce à cette météorite, les scientifiques ont pu confirmer la présence d’eau sur Mars avec un pH neutre de 7, propice à la vie.

Un article de vulgarisation scientifique paru en novembre 2022 dans Futura révélait que des scientifiques avaient trouvé deux minéraux inconnus dans une météorite qu’ils avaient baptisée «El Ali»: l’elaliite et l’elkinstantonite. Est-ce ce genre de découvertes dont vous parlez?

Assez souvent, on voit ce genre de publication grand public où l’on signale la découverte de minéraux qui n’étaient pas connus sur terre. A vrai dire y a des dizaines de minéraux dits «de haute pression» qui ne sont connus que dans les météorites du fait que ces roches ont subi des pressions qui n’existent pas sur notre planète. C’est toujours assez spectaculaire de faire un article sur ce genre de nouveaux minéraux, mais il y en a toujours eu et il y en aura encore…

Toutes les météorites sont exceptionnelles mais certaines le sont-elles plus que d’autres?

En gros, 98% des météorites sont des fragments d’astéroïdes, qui proviennent de la ceinture des astéroïdes entre Mars et Jupiter. Ces blocs peuvent mesurer de quelques dizaines de mètres à 1’000 km de diamètre, qui sont quasiment des proto-planètes. Ils sont tellement nombreux qu’il y a des perturbations d’orbites entre eux et, de temps en temps, certains changent d’orbite et croisent celui de la terre. Cela va donner une météorite. La traversée de l’atmosphère est très violente pour le météore avant son arrivée sur notre planète. Le fragment va traverser l’atmosphère à une vitesse de plusieurs dizaines de kilomètres par seconde, va être porté à très haute température, subir des chocs énormes et être brûlé, ce qui va créer une croûte noire tout autour. Et il va se casser en plusieurs morceaux. Ces objets sont intéressants pour la science car ce sont des roches qui n’ont pas subi de modification de leur composition depuis 4,5 milliards d’années environ. Elles ont servi de matériaux de construction pour l’ensemble des planètes. A cet endroit, dans la ceinture des astéroïdes, il aurait dû exister une planète mais Jupiter étant énorme, elle a empêché que ces blocs s’agrègent pour former une planète.

Quelles sont les météorites les plus rares alors?

Les météorites lunaires ou martiennes. Il faut qu’un morceau d’astéroïde vienne créer un impact suffisamment puissant sur la Lune pour qu’un morceau de roche lunaire soit éjecté dans l’espace et qu’il croise l’orbite de la terre. C’est un phénomène très rare. Pendant très longtemps, quand une météorite lunaire était trouvée, c’était un événement! Depuis une vingtaine d’années, grâce aux recherches systématiques, on en a répertorié quelques dizaines. Une météorite lunaire est beaucoup plus rare que les diamants ou que l’or.

Les météorites martiennes répondent au même mécanisme. A ce jour, à peu près le même nombre de météorites martiennes que de météorites lunaires ont été répertoriées. Elles sont extrêmement intéressantes pour la science. Elles permettent de comprendre l’histoire et la composition de la lune et de mars, qui est l’objet de toutes les attentions depuis quelques années. Mars a eu une histoire assez proche de celle de la Terre mais il s’est passé quelque chose sur cette planète qui a fait qu’elle a perdu son atmosphère et son eau. Les météorites martiennes sont les seuls moyens que l’on ait pour avoir des roches provenant de mars. Les missions Apollo ont pu rapporter des échantillons de la Lune, mais rien n’a été rapporté de Mars. L’histoire de chaque planète se retrouve dans la roche.

Comment les reconnaissez-vous?

Je possède des spectromètres qui me permettent d’analyser la composition des roches. Leurs compositions étant très différentes, cela me permet d’identifier s’il s’agit d’une météorite lunaire ou martienne. Ensuite, les analyses détaillées, nécessaires pour la publication officielle, sont réalisées par les scientifiques. On ne peut pas les confondre: leur chimie est très différente.

Le modèle Super Moon de Louis Moinet est composé d'un authentique fragment de météorite lunaire, protégé par une capsule en aluminium anodisé. Il s'agit d'un matériau extrêmement rare et précieux, puisque moins de 400 météorites lunaires sont connues dans le monde.
Le modèle Super Moon de Louis Moinet est composé d’un authentique fragment de météorite lunaire, protégé par une capsule en aluminium anodisé. Il s’agit d’un matériau extrêmement rare et précieux, puisque moins de 400 météorites lunaires sont connues dans le monde.

Comment en définir la valeur?

Cela s’est fait au cours du temps. J’ai commencé à m’intéresser aux météorites en 1994-95. Il y en avait très peu alors et il n’existait pas de prix établi. Depuis une dizaine d’années, la demande a fortement augmenté. Elles intéressent de plus en plus de collectionneurs. On en utilise dans la joaillerie et l’horlogerie. Les scientifiques cherchent à en acquérir. Cela a permis d’établir des prix.

Parmi les critères qui permettent de définir la valeur d’une météorite, le principal est son intérêt scientifique. Un autre critère est sa rareté. Il existe une quarantaine de types de météorites et les plus rares et les plus convoitées sont les martiennes et lunaires, comme je vous l’ai dit. Ensuite, son esthétique peut entrer en ligne de compte. Quand on les coupe, seules quelques-unes, par leur aspect esthétique, et par la possibilité de les polir, vont mieux se prêter à être utilisées en joaillerie ou horlogerie. Les collectionneurs sont sensibles à sa beauté également. Son apparence extérieure a aussi son importance: certaines vont prendre une forme particulière en traversant l’atmosphère, on appelle cela une «forme orientée», qui ressemble à un bouclier avec, à la surface, des lignes d’écoulement de la roche ou du métal fondu lors de la traversée de l’atmosphère. Celles-ci sont extrêmement recherchées par les collectionneurs.

Le critère de provenance peut aussi jouer un rôle et le dernier point est son histoire: les météorites tombées au XVIIIe et XIXe siècle, pour les plus anciennes, et qui arborent de vieilles étiquettes de musées, sont extrêmement recherchées, même si elles n’ont pas forcément une grande valeur scientifique.

Existe-t-il des critères de beauté ou est-ce une question de goût?

Dès que l’on s’intéresse aux météorites, on est sensible à la forme dite orientée, dont je viens de parler. En ce qui concerne l’intérieur des météorites, cela dépend de l’appréciation de chacun, mais il existe certaines textures qui plaisent à tout le monde, notamment lorsqu’un peu de métal est mélangé à une matrice sombre. Un type de météorite sort du lot, ce sont les pallasites: elles ont des cristaux de péridots, ou d’olivine, noyés dans leur matrice qui est en métal. Ces cristaux sont comme des fenêtres qui laissent passer la lumière. Ces météorites sont à la fois très rares et extrêmement belles et convoitées. Le seul problème, c’est que certaines s’altèrent très vite et rouillent. Il va sans dire que je ne propose à mes clients que les pallasites qui ne rouillent pas, ne s’oxydent pas, celles de la meilleure qualité et c’est ce qui fait ma réputation.

Cette version de l'Arceau Hermès L'Heure de la Lune combine astucieusement un cadran en météorite lunaire et l'affichage simultané des phases de la lune dans l'hémisphère nord et dans l'hémisphère sud.
Cette version de l’Arceau Hermès L’Heure de la Lune combine astucieusement un cadran en météorite lunaire et l’affichage simultané des phases de la lune dans l’hémisphère nord et dans l’hémisphère sud.

Qu’est-ce qui vous fascine le plus dans une météorite?

Chaque fois que j’en découvre une, je me dis que peut-être c’est celle qui va faire avancer d’un bond nos connaissances sur la formation de notre système solaire. Le moment de la découverte de cet objet extraterrestre est très émouvant. J’aime partager cette passion avec des clients. Chaque météorite a une belle histoire à raconter.

Quelle est la plus belle pièce de votre collection?

Elle a une histoire scientifique. Il s’agit d’une météorite martienne, la NWA 7533, qui possède une composition unique. Elle a été découverte il y a dix ans, a fait l’objet de nombreuses publications scientifiques et continue d’être un objet d’étude. Elle a permis de dire qu’il y avait de l’eau sur cette planète qui avait un pH neutre de 7, ce qui permet la vie. Dans cette météorite il y a des zircons qui ont pu être datés: ce sont les plus anciens connus avec 4,4 milliards d’années et ils ont permis d’affirmer que Mars avait une croûte continentale solide comme la Terre environ 100 millions d’années après le début de sa formation – une découverte majeure pour la compréhension de la formation de Mars et des potentielles possibilités de développement de la vie sur cette planète.

C’est la fameuse «Black Beauty»?

Oui, c’est bien celle-là. «Black Beauty» est le surnom qu’une personne lui a donné mais son vrai nom scientifique est NWA 7533. «NWA», parce qu’elle a été trouvée au nord-ouest de l’Afrique.

Quelle fut votre dernière belle expérience?

A peine rentré du Chili, j’ai été informé de l’entrée d’un astéroïde dans l’atmosphère dans la nuit du 13 février. Sa trajectoire avait été calculée par des astronomes, qui avaient annoncé qu’il allait atterrir quelque part en Normandie. Dès dimanche, les professionnels et les passionnés étaient prévenus et beaucoup de caméras étaient braquées vers le ciel. Du coup, il existe de nombreuses images et vidéos de cette boule de feu qui entre dans l’atmosphère. Elle a été vue depuis l’Angleterre! J’ai décidé de prendre la route le 15 février pour aller voir par moi-même. C’était un mercredi, il n’y avait pas d’école, alors j’ai emmené mon fils avec moi. J’avais emporté mon spectromètre pour faire des analyses et sur place, j’ai pu confirmer que l’une des pierres trouvées était bien une météorite. Ce qui est incroyable, c’est que l’on a pu voir l’astéroïde avant qu’il ne tombe sur terre. C’est un phénomène unique!

Quelle météorite rêvez-vous de découvrir?

Mon Graal serait une météorite martienne avec une preuve de vie! Un élément dedans qui permettrait de dire qu’à un moment, il y a eu de la vie sur Mars. Si l’on imagine aller au bout de ce rêve, ce serait de trouver une météorite avec un fossile provenant de Mars. Peut-être que cette roche existe sur Mars, qui sait?

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