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«Le néo-vintage est le style de ceux qui manquent d’idée»

INTERVIEW AVEC JEAN-CHRISTOPHE BABIN

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mai 2018


«Le néo-vintage est le style de ceux qui manquent d'idée»

Un pied dans la bijouterie, l’autre dans l’horlogerie, le patron de Bulgari Jean-Christophe Babin décrypte avec un regard acéré les changements de fond de l’industrie, interview après interview... Puisque cette fois nous consacrons un dossier entier à ce que nous avons appelé les ruptures horlogères, n’était-il pas logique de croiser nos regards sur les pistes du futur... entre production 3D, digitalisation et omni-channel?

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ous avons établi chez Europa Star un dossier compilant 12 ruptures de fond touchant l’industrie horlogère et son avenir. Nous n’allons pas vous en demander autant, mais si vous deviez identifier les «vagues de fond» capables de changer l’industrie...

J’en mentionnerai trois!

D’abord, il ne faut pas sous-estimer les capacités de la production 3D, qui va défier les technologies de fabrication traditionnelles, notamment de boîtiers de montres. Les fabricants actuels auraient intérêt à y songer très sérieusement. Le 3D permet en effet de concevoir des structures très légères avec une grande flexibilité. L’habillage de la montre va en être bouleversé. Du côté de la joaillerie, nous produisons déjà des bijoux en 3D.

Une autre «vague de fond» est l’intégration du digital dans le monde – et dans la montre – de luxe. Aujourd’hui, il n’y a encore rien de vraiment concluant sur la montre digitale, même s’il y a des vraies marques horlogères comme TAG Heuer, Frédérique Constant ou Montblanc, qui font aussi de la montre connectée. A mon avis, l’offre horlogère s’est plutôt élargie avec 15 millions d’Apple Watches vendues pas année, mais c’est de l’additionnel. Même chez Bulgari, nous continuons nos projets de sécurité des données au poignet, avec notre partenaire Wisekey mais attendons pour cela une normalisation du protocole bancaire pour le e-payement.

La troisième dimension que je veux mettre en avant, c’est l’omni-channel. Avec l’idée que les marques peuvent enfin retrouver un contact direct avec le client final. Ce contact direct n’existait plus mais avait existé durant la première génération des industriels horlogers, jusqu’aux années 1930. Après, les marques se sont internationalisées, ont pris des intermédiaires et perdu ce lien direct. Mais en même temps cela veut aussi dire devoir gérer la perte de contrôle potentielle de leur exclusivité à travers les nouvelles plateforme de ventes digitales.

Jean-Christophe Babin
Jean-Christophe Babin

Selon le cabinet Bain, il y aura un plateau à 25% de la vente en ligne des produits de luxe d’ici 2025. Aujourd’hui concrètement qu’est ce qui se vend en ligne chez Bulgari ?

Très peu. Nous n’avons des plateformes de vente en ligne que dans quatre pays (Chine, Japon, USA, UK) donc une couverture partielle et récente. Et deuxièmement l’horlogerie n’est pas un produit online «pur et dur» parce que la dimension de l’essai de produit reste importante. La plupart des clients ont besoin d’une vérification, ils viennent en boutique, ils choisissent, et après ils peuvent finaliser l’achat online. C’est pour ca qu’on ne peut pas parler d’un achat «purement» online.

C’est vrai que nous sommes plus excités à l’idée de nous exprimer de façon dynamique plutôt que de reprendre les codes historiques et les réassaisonner en permanence.

En Chine, une marque comme Longines a annoncé un partenariat avec Tmall, est-ce que Bulgari est déjà entrée ou est en train d’entrer sur ces plateformes?

Bulgari est quand même une marque qui cherche une certaine exclusivité, ce qui nous pousse à être prudent par rapport à ces plateformes de masse. Nous n’avons pas besoin d’avoir des centaines de millions de clients potentiels. Quelques milliers nous suffiront!

Comment gérez-vous les data clients que vous recueillez, via vos plateforme off- et online?

Une marque comme Bulgari vend des dizaines de milliers de montres par an mais aussi des parfums à des millions de clients. Nous avons donc un «escalier» qui part des produits plus accessibles comme les parfums et accessoires, et qui monte ensuite vers l’horlogerie et la bijouterie.

Cela veut aussi dire que la marque possède des millions de données aujourd’hui alors qu’il a une ambition de vendre des dizaines de milliers de montres. Par rapport à ça, le réservoir qu’on a et qu’on génère chaque année est dynamique et largement suffisant par rapport aux ambitions horlogères.

Lucea Tubogas en acier et en or
Lucea Tubogas en acier et en or

En recevant les communiqués de presse avant Baselworld, nous apercevons deux tendances : le reflux des dimensions et le vintage. Mais chez Bulgari en terme de design, cela semble plus futuriste que vintage...

L’avantage de Bulgari est que nous sommes des vrais horlogers, qui ne s’amusent pas à copier. Le néo-vintage d’aujourd’hui, c’est véritablement le style des gens qui n’ont pas d’idées. Dans notre cas, nous avons une chance: notre passé horloger n’est pas très ancien (la Bulgari Roma est née en 1975), donc nous sommes forcés de regarder vers le futur, ce qui nous a amené à faire l’Octo, la Serpenti (qui est néé en 2010 et n’a rien à voir avec la Serpenti joaillière des années 1940 à 1960) et Lucea en 2014.

C’est vrai que nous sommes plus excités à l’idée de nous exprimer de façon dynamique plutôt que de reprendre les codes historiques et les réassaisonner en permanence.

Ah et me vient en tête une quatrième rupture que vous pouvez noter: Daniel Wellington, c’est une marque qui est une rupture en soi, puisqu’elle s’est créée online et qu’elle fait un carton chez les Millenials avec une association néoclassique entre une boîte plate et dorée et un bracelet fantaisie. C’est la première percée massive d’une marque de montres chez les Millenials, avec des prix de l’ordre de 250 CHF.