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Patek Philippe: «Genève dans une pendule»

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mai 2025


Patek Philippe: «Genève dans une pendule»

Osons le mot de «chef d’œuvre», car la Pendulette Dôme en marqueterie de bois tout récemment présentée par Patek Phillipe en est assurément un. Il s’en dégage une émotion telle que la frontière entre art et artisanat s’estompe.

T

out récemment à Genève, qui voulait avoir le souffle vraiment coupé devait quitter les vastes halles de Watches and Wonders, filer jusqu’à la rade du lac, la traverser et de l’autre côté du Rhône grimper dans les derniers étages des Salons Patek Philippe. De là, la vue sur le lac, l’emblématique jet d’eau, les embarcations, les dignes maisons alignées sur les quais, les montagnes à l’horizon, quelques mouettes tournoyantes servaient d’écrin naturel aux plus belles pièces artisanales présentées par la manufacture genevoise.

L’exposition «Haut Artisanat 2025» qui s’y tenait permettait de découvrir un ensemble de 78 garde-temps d’exception alignant émail Grand Feu, cloisonné, peinture miniature sur émail, émail grisaille, émail flinqué, émail paillonné, émaux de Fauré, le rare émail sur faïence de Longwy, la gravure main, le guillochage main et la marqueterie de bois…

Soit quarante-quatre montres-bracelets Calatrava et Golden Ellipse, dix montres de poche, une exceptionnelle pendulette de bureau à quantième perpétuel et semainier en argent, rehaussée par des panneaux en émail Grand Feu flinqué vert avec motif guilloché tournoyant, ainsi que vingt-trois pendulettes et mini-pendulettes Dôme qui déclinaient ces hautes pratiques décoratives, les mixant, mariant par exemple émail cloisonné et émail paillonné, ou peinture miniature et gravure au gré des multiples inspirations artistiques.

L’ensemble de ces inspirations emprunte aux cultures, aux paysages, à la flore, aux fleurs de tous les continents, de la Provence, ses champs de lavande, ses vignes et ses oliviers, à la forêt amazonienne, son exubérance végétale, ses oiseaux, python ou jaguar. Des montres dotées de lunettes serties accordées aux couleurs des plumages, telle par exemple la référence 5077/212G-001 «Ara sur fond bleu», rehaussée de topazes, saphirs bleus, saphirs jaunes et diamants. Mais on y trouve aussi des ours dans la brume, un paysage chinois… On y découvre l’évocation des «Grandes aventures humaines», peinture, musique, littérature, architecture, traditions, sports et même viticulture.

Le monde des plantes et son incroyable répertoire de formes et de couleurs ont inspiré tout un ensemble de pendulettes et mini-pendulettes Dôme aux techniques variées (émail cloisonné, émaux sur faïence de Longwy, émaux de Fauré paillonnés et sertis, émail grisaille au blanc de Limoges), avec des décors allant du charme sauvage des fleurs des champs – coquelicots, marguerites, bleuets – aux motifs floraux d’inspiration japonaise ou indienne.

La pendulette Dôme Rade de Genève

Mais parmi tout ce foisonnement de motifs venus du monde entier, il est une inspiration toute proche quant à elle qui a retenu tout particulièrement notre admiration: la première pendulette Dôme réalisée en micro-marqueterie de bois. Un véritable chef d’œuvre de haut artisanat qui reproduit en marqueterie de bois d’une finesse insensée la rade du lac de Genève, visible précisément depuis les Salons Patek Philippe de la fameuse Rue du Rhône. Une pièce muséale, pourrait-on dire. Non seulement du point de vue artistique, mais aussi parce que c’est la première fois qu’une marqueterie d’une telle micro-précision est appliquée non plus au plat d’un cadran mais aux formes courbes d’une pendulette Dôme.

L’effet est saisissant. Le paysage emblématique de la rade de Genève, avec son fameux Jet d’eau, son phare en bout de digue, une barque à voiles traditionnelle du lac Léman, est reproduit sur tout le pourtour de la pendulette avec une fidélité à la fois picturale et hyper réaliste dans des tons sépia qui rappellent les anciennes cartes postales. La richesse des détails et la subtilité de leur rendu sont époustouflantes: reflets mordorés, de l’eau, vaguelettes, nuages striés, transparences aquatiques et atmosphériques, voiles, mouettes en vol, immeubles au loin, brumes montagneuses à l’horizon…

Une technique particulièrement complexe

Pour parvenir à un rendu d’une telle qualité, l’artiste et maître-artisan marqueteur de Patek Philippe, Jérôme Boutteçon, nommé Meilleur Ouvrier de France en 1994 et considéré comme le pionnier et l’inventeur de la marqueterie de bois sur cadran de montres (lire son portrait paru dans Europa Star en décembre 2023 ), a assemblé pas moins de 1’991 pièces et 200 minuscules incrustations scrupuleusement choisies et découpées à la main dans pas moins de 41 essences de bois différentes, aux couleurs, textures, nuances et veinures variées.

Comme l’explique l’artisan d’art, qui jusqu’alors avait essentiellement travaillé en micro-marqueterie de bois des cadrans circulaires et planes (à l’image notamment de ce chef d’œuvre qu’est le Portrait de Samouraï…), pour la première fois il devait réaliser une marqueterie d’une telle ampleur, et qui plus est destinée à être appliquée sur un support incurvé! Une difficulté supplémentaire considérable.

Parmi les pièces d'exception créées à l'occasion de l'exposition Watch Art Tokyo 2023, cette montre de poche «Portrait de Samouraï» (995/131G-001). C'est un des décors de marqueterie de bois les plus complexes jamais réalisés par Patek Philippe pour lequel l'artisan a découpé et assemblé un total incroyable de 800 pièces et 200 minuscules incrustations de bois couvrant une palette de 53 essences aux couleurs, textures et veinures les plus variées.
Parmi les pièces d’exception créées à l’occasion de l’exposition Watch Art Tokyo 2023, cette montre de poche «Portrait de Samouraï» (995/131G-001). C’est un des décors de marqueterie de bois les plus complexes jamais réalisés par Patek Philippe pour lequel l’artisan a découpé et assemblé un total incroyable de 800 pièces et 200 minuscules incrustations de bois couvrant une palette de 53 essences aux couleurs, textures et veinures les plus variées.

Pour y parvenir, le maître a tout d’abord réalisé à plat la marqueterie d’un seul tenant. Puis il l’a verticalement découpée en quatre pièces distinctes – qui seront ensuite reliées par des montants de laiton doré.

Sachant que cette marqueterie plane doit ensuite adopter sur son support une courbure bien précise, les difficultés et les contraintes lors de la découpe des motifs – à la scie manuelle à pédale ou à la micro-scie manuelle – et de leur application sur les surfaces arrondies du Dôme grandissent considérablement. La crainte que les plus petites incrustations sautent ou que le bois se fende est redoublée.

Pour pallier ce risque, l’artisan a dû s’employer à innover et trouver des solutions de moulage et contre-moulage pour parvenir à stabiliser la matière de façon efficace et pérenne.

Les risques encourus sont à la hauteur de tous les micro-détails, de toutes les dernières petites touches finales pour amener notamment la transparence de l’eau du lac et de celle du Jet d’eau.

L’artisan a commencé par réaliser d’une seule pièce tant le ciel et ses nuages en utilisant les veinages naturels du bois, que l’eau de la rade, sa transparence et ses vaguelettes. Dans un second temps, il s’est attelé à recréer toute la thématique, les immeubles de la skyline de Genève, son Jet d’eau, les barques sur l’eau, les mouettes du ciel, le lointain... Quant aux fameuses «touches finales», il convient de regarder les moindres détails, comme les cordages des navires, le bec des mouettes, les microscopiques silhouettes humaines sur les bateaux…

Un processus si complexe et minutieux qu’il a occupé l’artisan d’art pendant un bon tiers de l’année écoulée, depuis les dessins préparatoires, le méticuleux choix des bois, de leur texture, de leur couleur, leur découpe individuelle, leur ajustement, leur encollage… jusqu’à la finalisation par application d’un vernis mat soyeux qui, agissant comme un révélateur, rehausse et vivifie les couleurs et leur harmonie.

Par ailleurs, et ce aussi pour la première fois, le Dôme lui-même qui couronne la pendulette a été réalisé dans une pièce de hêtre fusée par un artisan tourneur à main genevois.

Enfin, c’est un mouvement mécanique de montre de poche, le Calibre 17’’’ PEND, dont le remontage s’effectue automatiquement grâce à un petit moteur électrique, qui entraîne les aiguilles de type «feuille» dorées or rose et polies sur le tour d’heures laqué brun, orné de chiffres romains appliques dorés or rose et polis, tout autour d’un cadran en marqueterie de bois.

Emotion

Il est un mot un peu galvaudé car trop souvent utilisé en horlogerie, celui d’émotion. Et pourtant! Comment ne pas parler de profonde émotion devant cette pièce d’exception? Une émotion suscitée non seulement par la folle dextérité artisanale de sa réalisation, mais aussi par la profonde poésie qui s’en dégage. Comment ne pas être subjugué et emporté par ces jeux de transparences, ces nuages recréés par le veinage naturel du bois, ces camaïeux de sépia, cette animation vibrante et si détaillée qui donne vie à cette rade lacustre, à tel point qu’un observateur s’est spontanément exclamé: «Il a mis Genève dans une pendule!»

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