Résilience: l’horlogerie face à la pandémie


Anonimo: «Comme beaucoup, on avance sur un faux plat»

PORTRAIT

février 2020


Anonimo: «Comme beaucoup, on avance sur un faux plat»

Elles sont encore nombreuses dans le terreau horloger suisse, les PME comme Anonimo. Design soigné, production mécanique limitée, prix abordable: si ces sociétés nourrissent la vitalité et l’originalité du tissu créatif local, leur destin est de plus en plus fragile, à l’heure de la grande polarisation entre gagnants et perdants de la mondialisation numérique. Instantanés.

L

e cas d’Anonimo illustre la situation d’un grand nombre d’acteurs dans le paysage horloger suisse contemporain: des produits bien dessinés, un attachement à proposer une horlogerie abordable, mais une difficulté croissante à «exister» dans une industrie de plus en plus polarisée entre un petit nombre de marques à la cote d’amour croissante et un grand nombre d’autres en décrochage, n’arrivant pas à rivaliser en visibilité et prestige - avec pour corollaire une tendance de plus en plus marquée vers le haut de gamme pour la branche.

«2019 s’est révélé une année délicate, souligne le CEO Aldo Magada, vétéran de l’industrie qui a notamment dirigé Zenith. Anonimo recommence pour ainsi dire de zéro, et Vulcain (autre marque détenue par le même actionnaire, l’homme d’affaires luxembourgeois Flavio Becca, ndlr) est une Belle aux bois dormant.»

Anonimo Militare Chrono WRC Special Edition
Anonimo Militare Chrono WRC Special Edition

La vente directe face à l’apathie des professionnels

Conséquence de la cristallisation de l’industrie autour d’un nombre limité de grands champions, plus rassurants: les détaillants, traditionnels liens entre les marques et les clients, «ne font plus leur travail de prescripteur», estime le dirigeant de la marque fondée à Florence en 1997, qui compte aujourd’hui une dizaine d’employés. Il poursuit: «C’est la grande différence entre les marques qui s’achètent et les marques qui se vendent. Pour les secondes, il faut prendre le temps de bien les expliquer.»

Par conséquent, comme un nombre croissant de petits indépendants, Anonimo se tourne de plus en plus vers la vente directe. «Avec une marque qui n’est pas encore assez installée en distribution et ancrée dans le paysage horloger, nous devons aller directement vers le client final.»

Aldo Magada, directeur d'Anonimo
Aldo Magada, directeur d’Anonimo

«Jusqu’à récemment, un détaillant pouvait prendre une marque indépendante, convaincre ses clients et la vendre, souligne Aldo Magada. Ce n’est plus possible. Devenus dépendants de quelques marques et face à des marges qui ont fondu au soleil, ils ont oublié que leur nom aussi était aussi une marque. A eux de réaffirmer ce rôle! Aujourd’hui, les clients arrivent en boutique et savent déjà ce qu’ils veulent. La discussion porte la plupart du temps uniquement sur la disponibilité et le prix. Mais tout cela, un transporteur peut aussi le faire. Où est la valeur ajoutée?»

Multiplier les événements intimistes

Le responsable affiche «une vision modeste, car notre budget est modeste». A travers quelques détaillants restés «éveillés» et des actions en direct, il entend proposer une «horlogerie humaine, décomplexée, accessible et réconfortante à l’heure de la dématérialisation». Bref, un marketing «inclusif», autre mot-clé de notre époque: «On a l’impression que tout le monde est beau et riche sur Instagram. Nous faisons une horlogerie normale pour des gens normaux! Quelques amis de la marque nous ont rejoint autour de cette philosophie simple et conviviale, comme le chef Lionel Rodriguez ou les organisateurs du Montreux Comedy Festival.»

Des tablées de clients potentiels, d’inlassables petits événements aux quatre coins de la Suisse, de l’Europe et du monde: c’est pour débloquer un budget pour ce type de rencontres «décontractées» et calibrées sur mesure qu’Anonimo a décidé de quitter, comme beaucoup d’autres, Baselworld. «Mon public-cible, c’est le cadre moyen supérieur qui a un intérêt pour une montre. Mais qui va se renseigner beaucoup avant d’acheter. Cela prend du temps.»

Anonimo Militare Chrono Bronze oxydé
Anonimo Militare Chrono Bronze oxydé

La somme de ces petits événements n’équivaut cependant pas forcément à la force de frappe d’un salon mondial. Aldo Magada, avec sa longue expérience du terrain horloger, en est conscient. Mais il fallait faire des choix stratégiques. Choix qui ont été déterminés notamment par la «frilosité» des meilleurs détaillants. Mais aussi par l’absence du Swatch Group, qui domine le segment de prix de la montre mécanique accessible (2’000-3’000 francs) sur lequel est actif Anonimo - qui utilise uniquement des calibres Sellita pour sa part. Leur présence assurait un écosystème au sein duquel la marque indépendante pouvait se retrouver. Par effet de cascade, le départ du géant de Bienne a laissé des créneaux orphelins de leurs «locomotives» lors de l’événement bâlois.

A la merci de fournisseurs fragiles

Le délitement actuel de l’écosystème horloger, symbolisé par la baisse de régime des grands salons généralistes, entraîne un autre effet pervers pour des petites marques comme Anonimo: outre des détaillants apathiques, la société doit faire face à des sous-traitants en petite forme. «Avec la baisse des volumes de production, certains fournisseurs risquent de ne pas traverser cette crise, estime Aldo Magada. Beaucoup se tournent déjà vers le médical. Ou alors ils sont complètement dépendants d’un grand client et nous en faisons les frais, en termes de délais de livraison.» Problème: Anonimo a son sort entre les mains de ces fournisseurs fragilisés...

Anonimo Nautilo 42mm
Anonimo Nautilo 42mm

Le responsable résume la situation générale ainsi: «Depuis 2018, on a l’impression d’être sur une pente ascendante mais c’est un faux plat. La marque a passé un cap mais n’a pas encore un volume de ventes qui donne des garanties sur le futur.»

Une industrie divisée

Qu’en est-il de la production dans ce contexte? La marque tourne autour de trois collections: Militare, la ligne historique; Nautilo, la série d’orientation vintage; et la dernière née Epurato. «Sur la Militare, la solution technique pour l’étanchéité de la couronne non vissée à 12h mise au point par Dino Zei reste au cœur de notre filiation florentine», souligne Aldo Magada. Autre trait caractéristique de la marque, devenu très courant entre-temps dans l’industrie: l’utilisation de boîtiers en bronze.

Anonimo Epurato
Anonimo Epurato

Avec son design plus urbain, Epurato semble de son côté aller quelque peu à contre-courant de l’identité historique d’Anonimo. «Nous allons retravailler les cadrans pour renforcer justement ce côté urbain, explique le responsable. En Europe ou au Japon, cette proposition sophistiquée est bienvenue.»

A l’image de l’industrie dans son ensemble, la marque «se cherche». Rares sont du reste les sociétés horlogères qui envisagent l’avenir avec confiance. Les mieux placées avalent les parts de marché. «En 2019, l’horlogerie a évolué comme la société, de manière très scindée, résume Aldo Magada. Certains peuvent tout se permettre, mais la plupart n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent.»

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