Europa Star: Comment la marque Hermès Horloger définit-elle les «métiers d’art»?
Philippe Delhotal: Les métiers d’art sont avant tout des artisanats d’exception, exclusivement travaillés à la main, ce qui leur confère une certaine unicité. Ce sont des expertises porteuses d’émotions qui se transmettent d’une génération à une autre, afin de les faire perdurer.
Chez Hermès il s’agit avant tout d’une rencontre, celle entre un artisan et la maison qui partagent un dessin, des couleurs, une histoire. Ce qui est beau dans la relation aux métiers d’art et aux artisans, c’est que chacun aura sa propre interprétation d’un dessin, que sur une série de 12 pièces, aucune ne sera identique – et c’est ce qui fait la beauté du travail fait main et du flair artistique de ces métiers.
Est-il souhaitable d’intégrer toutes les techniques artistiques en interne ou existe-t-il des avantages mutuels à conserver des liens avec les artisans d’art indépendants?
Au sein de notre maison, c’est l’excellence qui prime, aussi, nous n’hésitons pas à travailler avec des partenaires de confiance qui excellent dans leur domaine et qui nous poussent à toujours nous dépasser. Nous avons à cœur de tisser des relations pérennes et de confiance avec les artisans, ces relations sont sources d’émulation et nous permettent de toujours repousser les limites de nos créations. Nous pensons qu’il est essentiel de s’appuyer sur des artisans externes pour sans cesse innover.
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- Arceau Hermès Locomotion: cadran en saphir, peinture miniature sur et sous saphir.
Comment Hermès s’assure-t-elle d’une transmission efficace et durable des savoir-faire artisanaux au sein de ses équipes?
Il y a quelques années en arrière, en 2016, j’ai souhaité voir le cuir à l’honneur sur nos cadrans. C’était une première dans la grande famille des métiers d’art. J’ai donc proposé deux dessins à nos artisans cuir et en sont nées deux techniques: la marqueterie de cuir et la mosaïque de cuir (récompensée au GPHG 2018 dans la catégorie métiers d’art). Après plusieurs mois de travail et d’essais, ces deux techniques ont finalement pu être mises au point et ont vu le jour sur des cadrans de montre en 2017. La transmission est partie d’un travail d’équipe, où les artisans ont réfléchi et collaboré sur un projet commun. Une fois les techniques mises au point et maîtrisées, de la documentation a été créée et d’autres artisans ont été formés, à l’interne, dans notre atelier de Brügg. En 2016-2017, une seule artisane était capable de réaliser la marqueterie et la mosaïque de cuir. Aujourd’hui, 5 personnes sont à-même de réaliser des cadrans en marqueterie de cuir, et seulement 2 des cadrans en mosaïque de cuir.
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- Arceau Hermès automate «Arceau Rocabar de rire» (2025).
La diversité et la mixité des métiers d’art en horlogerie ont-elles des limites? Et, dans ce contexte, comment peut-on encore innover tout en préservant ces traditions?
La création et l’artisanat sont au cœur des préoccupations de la maison Hermès. Dans ce contexte, il n’y a pas de limite, le champ des possibles est grand ouvert et il y a matière à explorer. C’est ainsi que j’aime travailler, sans barrière et en challengeant continuellement mes équipes et nos partenaires externes. La chose la plus importante est de rendre hommage au dessin par l’ouvrage, d’être à même de créer le relief et les profondeurs escomptées, que ce soit dans les couleurs, dans les matières et sur les différents plans d’un cadran. C’est par ailleurs bien souvent le dessin qui va imposer la ou les techniques à réaliser. Prenons le cas de la Slim d’Hermès Flagship, l’une de nos dernières créations. Le dessin proposé par Dimitri Rybaltchenko est fourni, détaillé. Afin de pouvoir lui rendre hommage il a fallu imaginer la combinaison de plusieurs savoir-faire et repousser encore plus loin l’art de la gravure et de la peinture miniature afin de faire apparaître les reliefs nécessaires.
Je crois que l’innovation est toujours possible et non pas au détriment des traditions. Si je reprends l’exemple de la marqueterie et de la mosaïque de cuir, nous avons réussi à développer ces techniques grâce aux savoir-faire traditionnels de sellier-harnacheur et du cuir propres à la maison. Ce savoir nous a permis d’atteindre un autre seuil d’expertise, sur de l’infiniment fin et petit. Par ailleurs, les nouvelles technologies apportent parfois de belles solutions esthétiques, de nouvelles manières de concevoir, d’imaginer, de créer. Je crois qu’il faut un bon équilibre entre tradition et innovation dans les projets, en restant fidèles à qui nous sommes, à nos valeurs.
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- Arceau Hermès 18-3-7: cadran en marqueterie de cuir réalisé dans les ateliers Hermès, à Brügg.
Comment envisagez-vous l’avenir de l’artisanat artistique?
Chez Hermès l’artisanat artistique a un beau futur devant lui, nous repoussons toujours les limites de l’art et des techniques grâces nos complices artisans. Chaque année nous enrichissons nos collections horlogères de nouvelles pièces d’exception, toutes limitées et numérotées. Nous avons la chance d’avoir une grande collection de dessins, d’oser les couleurs et les motifs légers, c’est d’ailleurs ce qui plaît à nos partenaires, ils peuvent ainsi explorer un autre univers, plus surprenant, plus jovial.