Besançon, ville-mère de l’horlogerie française, une manufacture façonne patiemment… le monde. À la main. En plâtre, papier et pigments. Globe Sauter & Cie redonne vie à un savoir-faire disparu: la fabrication artisanale de globes terrestres. Derrière cette aventure singulière, un géographe devenu artisan d’art, Alain Sauter, pour qui la planète mérite mieux qu’une image plate ou éphémère.

Tout commence il y a une dizaine d’années par une question de chercheur. Alain Sauter, alors enseignant-chercheur en géographie à l’Université Panthéon-Sorbonne, s’interroge: comment fabrique-t-on un globe terrestre à la main? La réponse, il ne la trouve ni dans les ateliers contemporains — le savoir-faire a disparu en France — ni dans les manuels modernes. Ses recherches le font remonter au XVe siècle. Puis, durant le siècle des Lumière, le dernier ouvrage décrivant encore ce processus est l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

De la recherche théorique à l’expérimentation concrète, le pas est vite franchi. Dans une cave bisontine, Alain Sauter se lance un défi: inventer une technique permettant de produire une sphère en plâtre presque parfaite. Un an d’essais, d’échecs, de reprises. En 2016, la sphère est là. Précise, stable, durable. Le projet change de nature: il ne s’agit plus seulement de comprendre, mais de créer des globes capables de traverser les générations.

Les premières commandes arrivent rapidement. Une équipe se forme. En 2018 naît officiellement Globe Sauter & Cie, installée rue du Cercle, à Besançon. Un choix de lieu qui n’a rien d’anodin: ici, comme dans l’horlogerie, on travaille dans le temps long, avec une obsession pour la justesse du geste. «Le globe répond à un besoin de retrouver de la matérialité. Les personnes qui viennent chercher leur globe ont systématiquement ce moment magique où elles ont envie de le toucher, de le soupeser. Cet objet nous dépasse: sa puissance, sa poésie. Une émotion s’en dégage», explique Alain Sauter.

Aujourd’hui, la manufacture compte six personnes. Toutes partagent la même approche: rien n’est automatisé. Chaque globe est réalisé intégralement à la main, à partir de matériaux 100 % français, recyclables, et selon un processus qui peut demander de 10 à 70 heures de travail, selon la taille (21, 32, 50 ou 80 cm de diamètre). «Nous voulons conserver chaque geste, insiste Alain Sauter. C’est la condition pour rester fidèles à ce que nous faisons»

La fabrication d’un globe Sauter relève d’un rituel précis. Une recette secrète de plâtre et d’ingrédients naturels — le staff — est appliquée sur de la toile de jute tendue sur des contre-moules. Après séchage, les deux demi-sphères sont assemblées, poncées, préparées.

La cartographie, produite en interne, n’est imprimée qu’en noir, avec des encres au carbone, avant d’être découpée en fuseaux — comme au XVe siècle — puis collée patiemment sur la sphère. Vient ensuite la mise en couleur à l’aquarelle, à deux pinceaux, créant des variations subtiles qui rendent chaque globe unique. Plusieurs couches de vernis protègent enfin les pigments.

Chaque pièce est numérotée, accompagnée d’un certificat d’authenticité. Comme une montre de haute horlogerie, le globe devient un objet intime, porteur de sens.

Globe Sauter & Cie ne cherche pas l’exubérance. Sa clientèle — amateurs de vin, d’horlogerie, de voyages, maisons de luxe — partage un goût commun pour le beau discret, l’objet rare, exclusif, parfois personnalisé à l’extrême. Un globe peut ainsi devenir un récit de vie: itinéraires de voyage, dates importantes, références cartographiques personnelles. «Nous nous identifions au monde du luxe au sens étymologique du terme: à la lumière. Nos globes sont inaccessibles, rares, ce ne sont pas des objets de désir liés à une quelconque utilité. On ne se promène pas dans la rue avec sa planète Terre sous le bras. C’est un objet intime», souligne Alain Sauter.

La singularité de Globe Sauter & Cie tient aussi à sa position à la croisée des mondes: artisanat d’art, recherche scientifique et création contemporaine. L’atelier participe à des projets ambitieux comme Spherographia, programme de recherche soutenu par le CNRS et l’Agence nationale de la recherche, ou Scrinium, une série de globes interrogeant les enjeux géopolitiques et environnementaux liés aux terres rares.

La manufacture a également signé des réalisations marquantes: globes pour le cinéma, célestes, lunaires basés sur des données de la NASA, pour le Château d’Amboise ou encore pour le Vendée Globe.

La notoriété croissante n’a pas changé la ligne de conduite. Soutenue par la Fondation Rémy Cointreau depuis 2023, la manufacture produit aujourd’hui jusqu’à 300 globes par an, sans céder sur l’exigence.

Dans un monde saturé d’images numériques et de données instantanées, Globe Sauter & Cie fait le pari inverse: celui de la matérialité, du temps long et de la transmission. Comme un garde-temps qui résiste aux modes, chaque globe devient le témoin silencieux de notre époque.