uand Raphaël Balestra, responsable du département Patrimoine et Archives d’Audemars Piguet, nous présente les nombreux registres de la manufacture depuis ses origines en 1875, on ne s’étonne pas qu’il nous confie que «le plus dur a été de choisir le modèle» qui ferait l’objet d’une réinterprétation contemporaine dans le cadre de l’ingénieux programme [RE]Master de la marque du Brassus. D’autant plus qu’avant les années 1950, chaque montre sortant des ateliers était unique et réalisée sur mesure: on ne parlait pas encore de «modèles» ou de «références», précise l’historien. Au fil de dizaines de volumes et de milliers de pages soigneusement conservés se révèlent des merveilles de formes, de matériaux, de complications…
Il y a quatre ans, pour inaugurer cette série exceptionnelle (et théoriquement sans fin) lancée pour célébrer l’ouverture du nouveau Musée Atelier Audemars Piguet au Brassus, le choix s’était porté sur un chronographe rare de 1943. Fruit de cette réinterprétation, la [RE]Master01, limitée à 500 exemplaires, était d’une grande élégance néo-vintage avec son cadran doré, son échelle tachymétrique bleue, ses aiguilles en or rose avec l’aiguille de seconde chrono bleue et son diamètre de 40 mm. Le nom du programme s’inspire directement des pratiques en vigueur dans le monde musical, où les enregistrements «remasterisés» sont particulièrement appréciés.
- Limitée à 500 pièces, la [RE]Master01 (Réf. 26595SR) de 2020, première édition de ce programme ambitieux, reprenait l’esthétique distinctive d’un chronographe de 1943: un boîtier bicolore en acier et or rose rehaussé d’un cadran doré.
La deuxième itération joue quant à elle sur la disruption, avec un boîtier asymétrique aux angles vifs prolongés par des cornes intégrées et surtout une glace facettée à l’architecture impressionnante. «A l’époque, celle-ci était en cristal. Nous l’avons réinterprétée avec une glace saphir contemporaine, ce qui était une autre paire de manches», relève encore Raphaël Balestra, en portant à notre attention l’ordre de l’époque donné au fabricant du boîtier.
- La nouvelle itération du programme, la [RE]Master02, s’inspire d’un modèle rare au boîtier asymétrique de 1960, présenté ici dans un numéro d’époque du périodique «La Suisse Horlogère» (n°11, en bas à gauche).
- Source: The Watch Library
C’est très précisément le modèle 5159BA de 1960, produit à seulement sept exemplaires en or jaune 18 carats, qui a été retenu pour connaître une nouvelle vie (un modèle se trouve au musée). Cette période constitue un véritable âge d’or pour les modèles asymétriques au sein de la marque. «Entre 1959 et 1963, Audemars Piguet a créé plus de 30 modèles asymétriques, presque tous fabriqués en moins de 10 exemplaires», précise Sébastian Vivas, Directeur du Musée et du Patrimoine Audemars Piguet.
Cette réinterprétation est aussi présentée par Audemars Piguet comme un hommage au «brutalisme», du nom de cette architecture fonctionnelle (un anglicisme un peu malheureux venant de l’utilisation du béton brut) dont l’un des pionniers était Le Corbusier – même si celui-ci refusait toute étiquette ou label – et qui revient en force de nos jours. Le parallèle entre horlogerie et architecture, deux domaines puisant sans cesse dans leur patrimoine pour le sublimer, est tout trouvé.
Limitée à 250 exemplaires, la [RE]Master02 automatique joue constamment entre différentes temporalités: elle reprend ainsi le boîtier rectangulaire asymétrique (à 41 mm, contre 27,5 mm pour le modèle de 1960) mais est façonnée dans un alliage de «Sand Gold» 18 carats dévoilé cette année par Audemars Piguet, qu’elle est seulement le deuxième modèle à adopter, après une référence Royal Oak Tourbillon Volant Squelette Automatique.
- Cette nouvelle édition limitée à 250 pièces présente un boîtier rectangulaire asymétrique de 41 mm dans le nouvel alliage Sand Gold 18 carats, dont le ton oscille entre l’or gris et l’or rose.
Composé d’or, de cuivre et de palladium, le Sand Gold est surprenant car son ton se situe à l’exacte limite entre or gris et or rose (au point que certains le surnomment «grose»): placé à côté de l’or gris, on dirait de l’or rose; placé à côté de l’or rose, on dirait de l’or gris!
Le point le plus critique dans la réalisation de la boîte et du verre saphir réside certainement dans leur inclination respective à 3h. Effets d’optique et jeux de lumière garantis! La conception du verre saphir d’une forme aussi inhabituelle, dotée d’un biseau de 15,8° qui accentue encore l’asymétrie du modèle, a requis deux ans de recherche et développement afin de trouver la bonne formule géométrique qui en assure résistance et étanchéité.
A noter encore les incisions respectives dans le boîtier aux multiples facettes, à 6h, 9h et 12h pour assurer le passage des aiguilles, asymétrie oblige! Sa surface a été entièrement brossée avec une finition satinée pour un aspect mat et «brut» qui contraste avec les contours polis du cadran. La finition satinée du Sand Gold a aussi nécessité une bonne dose de dextérité afin que les arêtes géométriques et les angles du boîtier conservent leur netteté. Le fond du boîtier est également réalisé en Sand Gold et gravé de la mention «Limited Edition».
- Mêlant les formes géométriques, le cadran est composé de 12 triangles de tailles et de formes différentes séparés par des cloisons au ton Sand Gold.
En matière de complexité, le cadran «Bleu nuit, Nuage 50» de cette [RE]Master02 n’est pas en reste, combinant difformes géométriques telles que le rectangle et le triangle. Traité PVD, il est composé de douze triangles de tailles et de formes différentes, séparés par des cloisons galvanisées de couleur or sable qui se rejoignent au centre. Chaque triangle en laiton, usiné individuellement, reçoit une finition satinée linéaire avant d’être placé sur une plaque en laiton à l’aide de pieds minuscules. Une fois assemblées, toutes les pièces créent un effet visuel qui joue là encore avec la lumière, donnant vie au cadran. L’effet est proprement bluffant et donne l’impression d’avoir affaire à de multiples tons de bleu, selon l’angle du regard!
- La forme rectangulaire de la boîte est accentuée par une glace saphir biseautée et des angles nets, qui lui valent le surnom de «[RE]Master The Edge».
Répondant au boîtier et aux lignes diagonales du cadran, les aiguilles des heures et des minutes sont elles aussi réalisées en Sand Gold 18 carats, tout comme la signature «Audemars Piguet» à 3h, obtenue par croissance galvanique.
En retournant le modèle, on découvrira le calibre 7129, un mouvement extra-plat à heures et minutes sans indication de date, basé sur le calibre 7121, lancé en 2022 sur les modèles Royal Oak «Jumbo» Extra-Thin. L’objectif était en effet avant tout de «garder la finesse de l’époque», nous indique-t-on.
Malgré sa finesse, ce mouvement de 2,8 mm d’épaisseur produit plus d’énergie grâce à sa nouvelle construction et à son barillet plus grand, ce qui permet au mécanisme d’atteindre une plus grande précision sur une plus longue période. La masse oscillante, montée sur roulements à billes, est équipée de deux inverseurs pour assurer un remontage bidirectionnel. De plus, des masselottes ont été insérées dans l’épaisseur du balancier pour éviter que les frottements aérodynamiques ne le ralentissent.
- La masse oscillante du Calibre 7129 est équipée de deux inverseurs qui convertissent son mouvement bidirectionnel en une rotation unidirectionnelle afin de remonter le ressort.
Le Calibre 7129 présente des décorations raffinées telles que Côtes de Genève, satinage circulaire, colimaçonnage, brossage soleil, grenage circulaire et angles polis. Le ton or sable de la masse oscillante, réalisée en or 22 carats, fait subtilement écho à la couleur du boîtier.
Laissons le mot de la fin à la nouvelle directrice générale de la manufacture, Ilaria Resta: «Audemars Piguet a toujours été attaché à son passé tout en regardant vers l’avenir. La collection [RE]Master incarne parfaitement cet état d’esprit en rendant hommage à notre longue tradition horlogère jalonnée de garde-temps emblématiques de leur époque, réinterprétés aujourd’hui avec les techniques les plus abouties et une approche résolument contemporaine.» On ne peut que se réjouir de découvrir les futures itérations de cette série se jouant des frontières spatio-temporelles.