n beau jour de l’année 1937, Gabrielle Chanel décide de louer une chambre à l’année au Ritz à Paris. Depuis son balcon, elle a une vision panoramique sur tous les hôtels particuliers de la place Vendôme, notamment ceux abritant les grands joailliers: Chaumet dans l’Hôtel Baudard de Saint-James au n°12; Boucheron, dans l’Hôtel de Nocé au n°26; Van Cleef & Arpels dans l’Hôtel de Ségur au n°22 et Cartier et Mellerio n’étaient pas loin, respectivement au 13 et au 9 rue de la Paix.

Une manière de les regarder de haut? Peut-être... Cinq ans auparavant, Gabrielle Chanel avait eu maille à partir avec les grands joailliers de la place. La raison? Une collection de bijoux sertis de diamants, signés Chanel, qui lui avait été commandée par la Diamond Corporation Limited de Londres, afin de relancer les ventes de diamants.

Article de presse sur «Bijoux de diamants» publié dans VU en novembre 1932.

«Ces derniers parient sur le sens créatif de Gabrielle Chanel, alors au faîte de sa gloire, pour relancer les ventes de diamant, frappées de plein fouet par la crise de 1929. Avec l’aide de ses contemporains, l’artiste Paul Iribe pour le dessin des bijoux, le poète Jean Cocteau pour le manifeste de la collection, Robert Bresson, qui deviendra un réalisateur célèbre, pour les photographies des bijoux, Gabrielle Chanel crée un ensemble unique qui, à l’époque, fait scandale et qui, aujourd’hui encore, demeure la clé de voûte de notre proposition joaillière», explique Marianne Etchebarne, Directrice Internationale Marketing Produit, Client et Communication Horlogerie-Joaillerie de Chanel.

La Diamond Corporation Limited lui a fourni les pierres et a pris en charge tous les frais de production et de publicité, à charge pour la créatrice de révolutionner le genre.

Ultimatum de l’establishment joaillier

Cette collection, sobrement intitulée «Bijoux de diamants», Coco Chanel l’a conçue avec son amant Paul Iribe. Ensemble, ils ont créé des pièces à la beauté unique, comme ces colliers qui ne se fermaient pas, ces bagues qui s’enroulaient sur les doigts, ce collier frange... «Si j’ai choisi le diamant, c’est parce qu’il représente, avec sa densité, la valeur la plus grande sous le plus petit volume», affirmait la couturière à la presse qui l’interrogeait sur ses motivations. L’idée de la Diamond Corporation Limited de se tourner vers Coco Chanel était géniale: elle lui a fourni les pierres et a pris en charge tous les frais de production et de publicité, à charge pour la créatrice de révolutionner le genre.

Article de presse sur «Bijoux de diamants» publié dans VOGUE France en janvier 1933.

L’exposition devait se tenir du 7 au 19 novembre 1932 dans l’hôtel particulier de Mademoiselle Chanel, au 29 Faubourg Saint-Honoré. Le prix de l’entrée avait été fixé à 20 francs et le montant récolté par la vente des billets devait être reversé à deux associations caritatives. Mais c’était compter sans l’ire des grands joailliers. Mis au courant par un article paru le 26 octobre dans L’Intransigeant, les représentants de la Chambre syndicale de la haute joaillerie ont décidé d’empêcher cette concurrence qu’ils jugeaient déloyale. Et c’est ainsi qu’une délégation de joailliers a fixé un ultimatum à Gabrielle Chanel, lui intimant l’ordre de ne vendre aucun bijou et de les démonter après l’exposition, sous leur contrôle. Une partie du prix d’entrée devait par ailleurs être reversée aux œuvres de la chambre syndicale.

«Voyez ces comètes dont la tête brille sur une épaule...»

C’est peu dire que ces exigences sont passées à l’as. L’exposition a bien eu lieu et ce fut un succès. On estime la valeur de la collection à 93 millions de francs de l’époque et celle des diamants empruntés à 50 millions. Plus de 30’000 visiteurs sont venus admirer ces joyaux inédits en forme de comètes, de plumes, de nœuds, de cascades de diamants portés par des mannequins de cire.

Une délégation de joailliers a fixé un ultimatum à Gabrielle Chanel, lui intimant l’ordre de ne vendre aucun bijou et de les démonter après l’exposition, sous leur contrôle. C’est peu dire que ces exigences sont passées à l’as...

«Gabrielle Chanel a appliqué aux bijoux les principes qui ont fait sa renommée dans la couture, en mettant l’accent sur le porté et le tombé des modèles, en présentant les pièces sur des mannequins de cire maquillés et chapeautés permettant aux femmes de se projeter immédiatement, souligne Marianne Etchebarne. Dans un monde très masculin, Gabrielle Chanel est une femme qui crée pour les femmes. Selon elle, les bijoux doivent être une idée et non pas le révélateur du statut financier de l’homme qui les offre. Ce qui est aussi très novateur est qu’elle inscrit la joaillerie dans la vision globale qu’elle a de sa marque. On y retrouve son sens de l’épure, son goût pour les monochromes, son désir instinctif d’authenticité dans les matières utilisées – du platine et des diamants. En somme, ce qu’il y a de plus précieux!»

«Certains de mes colliers ne ferment pas, ainsi le veut la forme du cou; certaines de mes bagues s’enroulent», affirmait Mademoiselle Chanel. La monture était simplifiée afin de mettre en valeur les pierres. «J’ai voulu couvrir les femmes de constellations. Des étoiles de toutes les dimensions. Voyez ces comètes dont la tête brille sur une épaule et dont la queue scintillante retombe en pluie d’étoiles sur la poitrine!», confiait la couturière à L’Intransigeant. Certains bijoux furent vendus. La maison Chanel a d’ailleurs pu racheter une broche en étoile qui fait partie de son patrimoine.

Portrait de Gabrielle Chanel. ©George Hoyningen-Huene/ Condé Nast via Getty Images

Un épisode fondateur de la joaillerie Chanel

En hommage à cette collection, 90 ans plus tard, Chanel lance une collection de haute joaillerie baptisée Collection «1932». «Patrice Leguéreau, Directeur du Studio de Création Joaillerie de Chanel a retenu la comète, la lune et le soleil. Ce thème des astres demeure hautement symbolique puisqu’on le retrouve sur le pavement du sol du couvent d’Aubazine, où Gabrielle Chanel passa une partie de son enfance, explique Marianne Etchebarne. Ainsi la comète devient étoile filante, la lune semble irradier et le soleil rayonne.»

Collection «1932»: le collier Allure Céleste, en or blanc serti de diamants, avec, en pierre de centre, un saphir taille ovale exceptionnel de 55,55 cts. Il s’agit d’un collier transformable, dont les éléments se détachent pour devenir des broches ou un bracelet.

La pièce maîtresse de l’ensemble, qui comprend 81 pièces, est le collier Allure Céleste, en or blanc serti de diamants, avec, en pierre de centre, un saphir taille ovale exceptionnel de 55,55 cts. Il s’agit d’un collier transformable, dont les éléments se détachent pour devenir des broches ou un bracelet. Si la collection originelle était entièrement dédiée au diamant, celle de 2022 met aussi en valeur les pierres de couleurs: saphirs bleus, diamants jaune, rubis, spinelles, opales...

Collection 1932 Chanel Collier Allure Céleste en or blanc, diamants avec un saphir taille ovale de 55,55 cts, un diamant taille poire 8,05 cts D FL (Type IIa) et un diamant taille brillant 2,52 cts D FL (Type IIa).

Gabrielle Chanel n’eut jamais l’occasion de voir son nom inscrit sur le fronton de l’Hôtel Duché des Tournelles, au n°18, de la place Vendôme, juste en face de l’hôtel Ritz. Il s’agit de l’adresse de la boutique Chanel Joaillerie qui trône sur la fameuse place depuis 1997. Finalement, elle a trouvé sa place parmi les grands noms de la joaillerie.

Si la collection originelle était entièrement dédiée au diamant, celle de 2022 met aussi en valeur les pierres de couleurs: saphirs bleus, diamants jaune, rubis, spinelles, opales...