n se collectionne toujours soi- même», a dit un jour le philosophe français Jean Baudrillard. Cette assertion est-elle valable pour Patrick Getreide, dont la Collection OAK (pour «One of A Kind») est l’une des plus exceptionnelles collections horlogères au monde? Ce n’est pas à nous d’y répondre car le «virus» de la collection se niche au plus intime de chaque collectionneur.

Europa Star a eu la chance de pouvoir découvrir la OAK Collection à Genève, dans un lieu sécurisé tenu secret, avant son départ pour Londres où elle est exposée pour la première fois au public du 19 au 25 mai 2022 au Design Museum dans le quartier de Kensington. Et force est de reconnaître que les quelque 160 montres qui y sont présentées (sur une collection qui comprend un total de plus de 500 pièces) forment un ensemble d’une très exceptionnelle cohérence et d’une qualité véritablement muséale.

Toutes les montres présentées sont dans un état de conservation exceptionnel, parfois même jamais portées («new old stock»). Elles sont aussi «dans leur jus» car, comme le dit lui-même Patrick Getreide, le collectionneur s’en tient à sa règle: il renoncera à acquérir une pièce, même très importante, si elle n’est pas en excellente condition ou si elle a été trop restaurée ou son boîtier trop repoli.

THE PATEK PHILIPPE CALATRAVA SECTION

Référence 570R en or rose avec cadran accordé en deux nuances de rose et index or rose

Si la collection reflète toujours l’inti- mité du collectionneur, force est d’en déduire a minima que quand Patrick Getreide tient un fil, il ne le lâche pas et va littéralement au bout de ses obsessions. On reste ainsi ébahi face à ces tables sur lesquelles s’alignent 20 Patek Philipppe Calatrava, dont 12 vintage, 4 modernes et 3 pièces uniques.

Tout à côté, la section des Chronographes de Patek, réunit 29 exemplaires, dont 6 parmi les pièces vintage les plus rares au monde, la Section Nautilus aligne 16 pièces, dont 3 très rares Référence 3700, des pièces munies de mouvements quartz réalisées «sur demande spéciale», sans oublier l’importante section des Calendriers Perpétuels et Complications, toujours de Patek Philippe, parmi lesquels on trouvera des pièces uniques ou extrêmement rares; la section des très recherchées Patek Philippe World Time, dont plusieurs avec centre du cadran émaillé bleu polychrome (la couleur préférée de Patrick Getreide), sans oublier la section des Patek Philippe Artisanat d’Art, émaillées, décorées, gravées.

THE PATEK PHILIPPE CHRONOGRAPH SECTION

Unique Référence 130J, boîtier en or jaune, mécanisme monopoussoir, cadran miroir bicolore en argent marqué d’une échelle tachymétrique.

Et, last but not least dans cet incroyable alignement des planètes de Patek Philippe, on trouve 5 montres ayant appartenu au célèbre banquier américain et collectionneur Henry Graves Jr, et 3 à son petit-fils Reginald H. Fullerton, collectionnées entre 1922 et 1951, ce qui en fait le deuxième ensemble Graves au monde, le premier réunissant 13 montres Graves appartenant au Musée Patek Philippe.

Mais outre ce vaste ensemble Patek Philippe, qui regroupe certes sept des onze sections de l’exposition, on trouve un autre important ensemble Rolex, composé de trois sections: les GMT-Master, célèbres montres à fuseaux horaires initialement créées par la marque à la demande de la compagnie Pan-Am, dont 11 exemplaires en parfaite condition sont présentés; la section des Chronographes, avec 13 exemplaires dont 8 vintage, parmi lesquels on trouve quelques raretés dont un Cosmograph de 1961 destiné aux forces aériennes du Pérou, ou un Daytona Cosmograph à cadran «Paul Newman» porté par l’astronaute Walter Cunningham qui a piloté le module lunaire d’Apollo 7; et enfin une section de Montres de sport Rolex qui comprend neuf modèles figurant parmi les plus recherchés au monde, d’autant plus que tous sont dans des conditions exceptionnelles, comme si elles n’avaient jamais été portées.

THE ROLEX GMT-MASTER SECTION

La Référence 6542 GMT-Master avec une lunette tournante calibrée en affichage 24 heures. Surnommée la Pussy Galore en référence à un personnage du film Goldfinger de James Bond en 1964. Lunette en acier avec un insert en plexiglas.

Enfin, on découvrira la section New Age Independents & Steel Sport Section où le collectionneur accueille deux horlogers contemporains considérés comme des modern masters of their craft, François-Paul Journe et Kari Voutilainen. De François-Paul Journe, on pourra voir le «set Ruthénium», datant de 2002, avec le Chronomètre à Résonance, l’Octa Calendrier, un Tourbillon Souverain, un Octa Chronograph et une Octa Auto. Du maître finlandais, ce sont cinq réalisations qui sont présentées, dont une pièce unique, au mouvement GMT lui aussi unique, donnée par Kari Voutilainen à la vente aux enchères caritative Only Watch et acquise par Patrick Getreide.

«L’honneur de posséder, l’obligation de partager»

Qu’est-ce qui motive un collectionneur? Mille choses, et à chacun la sienne. Mais on retrouve toujours quelque chose qui remonte à la jeunesse, voire à l’enfance. Dans un coin de l’exposition, il y a une Tank de Cartier. A sa façon, c’est la pièce No 1, le début du «virus». La première pièce à avoir été achetée suite à un gain aux courses de chevaux.

Dès lors, tout s’en est suivi, avec ensuite le coup de foudre définitif en se lançant un peu éperdument dans l’achat d’une Patek Philippe 3970, chronographe calendrier perpétuel qu’il a mis plusieurs mois à payer mais qui l’a «condamné» à continuer. Mais pour continuer, il faut aussi pouvoir l’assumer. Lui-même se dit atteint du «syndrome du Conte de Monte-Cristo», c’est-à-dire habité d’une détermination absolue de parvenir à un degré de succès tel «qui me donne la totale liberté de faire ce que j’aime avant tout». Devenu entrepreneur à succès, Patrick Getreide est ainsi parvenu à assumer totalement sa passion. Et collectionner a aussi été un moteur de son succès.

THE PATEK PHILIPPE NAUTILUS SECTION

Référence 3701, la seule Nautilus connue à avoir été équipée d’un mouvement à quartz demande spéciale.

De la montée de cette fièvre – mais toujours raisonnée – la rencontre personnelle lors d’un cocktail parisien avec un Thierry Stern, à qui à cet instant personne ne parlait, en a décidé. Et d’avouer que quand il parle de montres, il est «au paradis». Une conversation s’engage et Thierry Stern l’invite à venir visiter sa manufacture à Genève. De là se noue un rapport étroit qui permettra aussi à Patrick Getreide d’avoir le privilège d’obtenir au fur et à mesure de la constitution de sa collection des Patek Philippe uniques.

S’il n’a pas été guidé dans la constitution muséale de sa collection par des considérations d’investissement, il admet bien volontiers qu’il «semble bien que j’aie acheté les bonnes pièces au bon moment». A le voir vibrionnant, enthousiaste, souriant, il apparaît véritablement heureux et fier de s’apprêter à sortir sa collection de ses coffres et à enfin la montrer en plein jour.

THE NEW AGE INDEPENDENTS & STEEL SPORTS SECTION

FP Journe. Tourbillon Souverain.

Cette exposition, destinée à être présentée dans plusieurs villes autour du monde, est à ses yeux «une récompense qu’il se donne à lui-même pour l’avoir construite. Mais c’est aussi une occasion unique pour moi de la partager avec tous ceux qui sont passionnés comme moi de montres mais qui n’ont pas eu la fortune, comme je l’ai eue, d’avoir le temps et les moyens d’acquérir autant de pièces si importantes. C’est un honneur que de les posséder et avec vient l’obligation de laisser les autres en jouir.».