our Sy Block, collectionner des montres revient aussi à reconstituer les branches de son arbre généalogique. Le psychiatre newyorkais a en effet un lien de parenté avec Gerry Grinberg, dont l’épouse était sa cousine germaine. Emigré de Cuba aux Etats-Unis après la révolution castriste, Grinberg a été une figure clé de la scène horlogère américaine dès les années 1960. «Il a démarré en s’occupant de la distribution de Piaget, puis d’autres horlogers au sein de sa société North American Watch, précise Sy Block. Entre autres accomplissements, il a révolutionné la publicité pour les montres aux Etats-Unis en modernisant les campagnes de promotion afin de faire de la montre un objet de style et de statut.»
Suite à l’acquisition de Movado en 1983, mais aussi d’Ebel et Concord, Grinberg réunit ses marques au sein du Movado Group, qui reste l’un des leaders de l’horlogerie mondiale à ce jour et est dirigé par son fils Efraim. L’entrepreneur américain a aussi contribué à la fin des années 1970 à l’innovation autour de la montre ultra-plate qui culminera avec la Concord Delirium IV de 1980, d’une épaisseur record de 0.98 mm, soit si fine qu’elle n’était pas portable. Des recherches qui conduiront plus tard à l’émergence d’une montre populaire dont la boîte fait elle aussi office de platine, la Swatch en 1983 (dont Sy Block est aussi un collectionneur).
Une jeunesse entourée d’horlogers
Mais ce n’est pas la seule attache familiale qui relie Sy Block au monde de l’horlogerie: «Mon beau-père était Ben Ross de Ross Watch Case, qui fournissait des boîtes de montre à des marques comme Rolex, Longines, Omega, Elgin ou Bulova.» En effet, pour éviter les lourdes taxes à l’importation de produits de luxe aux Etats-Unis mais aussi répondre aux goûts locaux, de nombreux fabricants suisses ont mis au point durant une grande partie du 20ème siècle l’envoi de composants (mouvements, cadrans, aiguilles) assemblés et emboîtés sur place. Basé à Long Island City (Queens), Ross Watch Case était l’un de ces acteurs qui ont facilité l’exportation de l’horlogerie suisse aux Etats-Unis durant plusieurs décennies.
- Sy Block
L’un des amis de Ben Ross, que Sy Block rencontre durant sa jeunesse, n’est autre qu’Allen Tornek, l’importateur de la fameuse Fifty Fathoms de Blancpain dans les années 1960, notamment auprès de l’armée sous le nom «Tornek-Rayville» pour la rendre plus «américaine». L’oncle lui-même de Sy Block était détaillant horloger à Philadelphie. Alors qu’il était adolescent, l’homme aujourd’hui âgé de 73 ans lui rendait souvent visite. C’était son premier vrai contact avec des montres, il y a plus de 60 ans. «Je traînais souvent dans sa boutique et il y avait tout un tas de tiroirs, de classeurs, renfermant pleins de composants.»
L’âge d’or de l’affichage numérique
C’est donc sans surprise que l’on retrouve plusieurs modèles liés à cette histoire familiale dans la collection de Sy Block, comme une Fifty Fathoms originale ainsi qu’un modèle plus récent Tribute to Fifty Fathoms MilSpec dont seuls 500 exemplaires ont été produits. Les décennies 1960 à 1980, période de crise mais aussi d’innovation pour l’industrie horlogère, sont d’ailleurs particulièrement prisées aujourd’hui des collectionneurs. Sy Block a eu la chance de les vivre de l’intérieur, en tant qu’«insider», du fait de ses attaches familiales.
Un modèle qui représente mieux que tout autre cette ère de transformation est certainement l’Accutron à diapason de Bulova, dont Sy Block est un inconditionnel: «C’est toute mon enfance, je me rappelle très bien des spots publicitaires pour la Spaceview.» Mais aussi la Pulsar de Hamilton, dont il possède plusieurs exemplaires, tout comme l’Omega Constellation Time Computer datant de l’âge d’or de l’affichage numérique dans les années 1970.
«Ce qui m’intéresse le plus, quelle que soit l’époque en question, est le design, souligne le collectionneur. J’apprécie tout ce qui sort de l’ordinaire, comme les hybridations entre plusieurs influences.» Autre modèle cher à ses yeux: l’ultra-précise et pionnière Girard-Perregaux quartz calibre 350 du début des années 1970 (considérée comme le grand-père – ou la grand-mère, c’est selon – des mouvements quartz avec sa fréquence redoutable de 32’768Hz). Une décennie plus tôt, la marque avait déjà contribué à une meilleure précision des mouvements automatiques avec sa Gyromatic Chronometer HF, dont Sy Block possède un exemplaire original.
«J’apprécie tout ce qui sort de l’ordinaire, comme les hybridations entre plusieurs influences.»
Pour son métier de psychiatre, la question du «temps» est évidemment centrale. Sa collection l’aide ainsi à conceptualiser une notion somme toute abstraite, cela de manière assez éclectique. Une montre sort malgré tout du lot au sommet de sa collection horlogère, en terme de prestige: une Patek Philippe à calendrier annuel en or rose. «Un sommet esthétique, avant tout», souligne Sy Block. Dans la même lignée classique, il possède également une Audermars Piguet automatique équipée d’un des bracelets tissés en or que son beau-père Ben Ross fabriquait, ainsi qu’une IWC Portugieser en or rose.
Un modèle privé unique au monde
L’autre hobby du collectionneur, comme pour beaucoup de ses pairs, est l’automobile vintage. Il possède ainsi une Sunbeam Alpine de 1963, une Sunbeam Tiger de 1967 et deux Volvo 1800, dont une achetée neuve en 1972. Autre preuve de ses goûts éclectiques en horlogerie, sa passion ne s’arrête pas aux montres-bracelets: Sy Block détient plusieurs horloges de table (dont un modèle Art Déco et deux Accutron), de marine (dont une Hamilton datant de 1942 fabriquée pour la marine américaine), ainsi qu’un chronomètre Seiko à cristaux liquides original de 1967.
Six membres de sa famille portent un même chronographe automatique Seiko de 1970. «La beauté originale de cette montre est qu’elle n’a jamais été manipulée par un horloger, car entièrement fabriquée par une machine», précise Sy Block, qui partage un dernier secret: un modèle qu’il a conçu... lui-même. Il s’explique: «Mon beau-père possédait plusieurs mouvements Ed. Koehn de 1909. J’en ai confié un exemplaire à un détaillant mais il l’a égaré... Pour éviter toute nouvelle mésa- venture, j’ai donc appelé l’expert de la montre de collection Phillip Poniz pour voir ce que nous pouvions en faire et s’il était possible d’équiper ce mouvement d’un boîtier adéquat.»
Comme Ed. Koehn a fabriqué des mouvements pour Audemars Piguet, les deux hommes se sont inspirés de cer- tains de leurs modèles anciens pour cette pièce unique. «Le boîtier, lorsqu’il est poli correctement, devrait avoir une finition mate à l’intérieur et une finition brillante à l’extérieur, souligne le collectionneur. Le résultat a été un modèle à heure sautante utilisant un boîtier en platine et un mouvement Ed. Koehn, certainement unique au monde!»
Cette capacité de redonner vie à des modèles anciens, d’observer un mouvement s’animer à nouveau dans son boîtier, soit une forme de «résurrection», c’est bien ce qui fait le sel de la vie de collectionneur, pour Sy Block comme pour bien d’autres...