La transformation numérique de l’horlogerie


«Une montre sans certificat numérique sera désavantagée»

BLOCKCHAIN

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juillet 2020


«Une montre sans certificat numérique sera désavantagée»

Les certificats numériques font leur entrée dans l’univers de la montre de collection via une initiative des auteurs de la fameuse série de livres horlogers «Only», Anthony Marquié et Grégoire Rossier. Ces experts lancent une nouvelle plateforme, WatchFID, sur laquelle il est désormais possible d’échanger des modèles vintage sécurisés à travers la Blockchain. Ils nous expliquent leur démarche, qui vise à mieux structurer le marché de la collection et le rendre plus transparent pour le client final.

C’

est en 2014, avec leur premier ouvrage «Moonwatch Only», devenu rapidement le livre de chevet de tous les amoureux de la Speedmaster d’Omega, qu’Anthony Marquié et Grégoire Rossier ont fait leur apparition sur la scène de la montre de collection. Ingénieur en aéronautique pour le premier, biologiste pour le second, ils incarnent ce monde croissant de passionnés qui peuvent dédier des journées entières à investiguer l’histoire de l’horlogerie.

Depuis le tournant du millénaire, les collectionneurs occupent une place prépondérante dans l’industrie horlogère. Grâce à internet en particulier, ceux-ci ont désormais voix au chapitre. Les marques horlogères cherchent à séduire les grands connaisseurs, devenus plus intransigeants car mieux informés. Après Moonwatch Only, les deux auteurs ont d’ailleurs enchaîné avec une série de livres à succès, sur Omega avec la Speedmaster encore et la Flighmaster, puis sur Nivada – ce qui a même conduit à la relance récente de cette marque (lire notre article ici)!

Le livre Moonwatch Only, succès de la littérature horlogère.
Le livre Moonwatch Only, succès de la littérature horlogère.

Mais c’est à présent avec un projet très différent qu’Anthony Marquié et Grégoire Rossier sont de retour: un écosystème horloger, baptisé WatchFID, qui propose une série d’activités dédiées aux montres de collection, se basant notamment sur l’expertise et la certification digitale grâce à la technologie Blockchain. Nous les avons interrogés pour bien comprendre la philosophie de ce projet ambitieux.

Europa Star: On vous connaissait dans le monde de l’écrit, vous voilà dans le monde de la Blockchain. Quel est le fil rouge entre ces activités?

Anthony Marquié: Tout notre raisonnement, depuis 2014, vise à apporter plus de cohérence et d’outils sur un marché de la collection qui reste à ce jour assez hétérogène et peu structuré, fonctionnant «à l’ancienne». Les livres Only constituent autant de guides aidant les collectionneurs à s’y retrouver dans cet univers. Ils constituent le premier pilier de notre nouvelle plateforme WatchFID. Mais nous voulons aller plus loin dans le nombre d’outils que nous proposons aux aficionados afin de mieux structurer ce marché.

Grégoire Rossier: Le deuxième pilier de la plateforme est un service de conseil et d’expertise. Pour ce dernier point, nous réalisons pour les montres des collectionneurs des expertises détaillées reposant sur notre méthodologie «Only», que nous proposons sous forme d’un livre imprimé d’une trentaine de pages, un objet exclusif produit à l’unité pour son propriétaire. Le troisième pilier est capital: il s’agit de certificats digitaux «blockchainés», mis au service de la transparence, de la traçabilité et de la sécurité. Ces certificats vont rapidement devenir indispensables en horlogerie. Nous y croyons!

La plateforme WatchFID propose à la vente des montres de collection accompagnées par leur certificat Blockchain et leur rapport d'expertise en format livre imprimé et numérique.
La plateforme WatchFID propose à la vente des montres de collection accompagnées par leur certificat Blockchain et leur rapport d’expertise en format livre imprimé et numérique.

De fait, on voit poindre un nombre croissant de projets de certifications numériques, mais à ce jour plutôt en ce qui concerne des montres neuves (comme Czapek & Cie récemment, lire ici)...

Grégoire Rossier: Il semble en effet plus facile, au premier abord, d’associer un certificat numérique à une montre neuve, car la question de l’authenticité ne se pose pas. Dans le cas des montres vintage, l’émission d’un certificat au «temps 0» est plus délicate, car il faut vérifier l’authenticité de la montre afin de ne pas graver à jamais des informations erronées. C’est lors de cette étape que le professionnalisme et la rigueur de l’émetteur de certificat font toute la différence.

Anthony Marquié: Nous pensons être pionniers en ce qui concerne l’intégration des montres de collection dans la Blockchain. Mais au vu des promesses de cet outil pour l’horlogerie, nous ne serons certainement pas seuls bien longtemps! Les barrières technologiques se sont déjà abaissées – c’est un peu comme sur internet, au début c’était complexe de créer sa page, aujourd’hui on le fait un clic. Le grand défi reste de savoir ce que l’on met autour de cette technologie. La Blockchain est un outil au service de notre philosophie de la collection.

L'accès au certificat numérique permet de retracer le cycle de vie d'une montre de manière sécurisée.
L’accès au certificat numérique permet de retracer le cycle de vie d’une montre de manière sécurisée.

Très concrètement, quels sont les avantages offerts par la Blockchain pour des montres de collection?

Grégoire Rossier: Outre la traçabilité et la facilitation des transactions, un avantage incomparable est la fiabilité de l’information, qui restera associée au modèle sur son certificat numérique, quoi qu’il arrive. D’où la nécessité de parvenir à inscrire la bonne «capture d’écran» du modèle lors de la création du certificat d’origine. Il faut accepter cette transparence pour en bénéficier des atouts, dont la garantie d’authenticité.

Dans le cas de WatchFID, quelle utilisation en faites-vous?

Anthony Marquié: Les montres en vente sur la plateforme sont enregistrées dans la Blockchain et sont donc livrées avec leur certificat numérique, qui fait partie du package WatchFID offert aux collectionneurs. Les modèles proposés ne sont pas forcément les nôtres: notre plateforme se veut ouverte à tous. Mais pour cela, il faut que les vendeurs acceptent d’intégrer leurs modèles dans la Blockchain. Nous sommes convaincus que d’ici cinq à dix ans, ne pas le faire constituera un désavantage concurrentiel. Car les collectionneurs exigent des garanties que seule cette technologie peut vraiment offrir. L’intégration dans la Blockchain sera une exigence de la clientèle.

«Nous sommes convaincus que d’ici cinq à dix ans, ne pas proposer de certificats Blockchain constituera un désavantage concurrentiel. Les collectionneurs exigent des garanties que seule cette technologie peut vraiment offrir.»

Anthony Marquié, CEO et co-fondateur de WatchFID
Anthony Marquié, CEO et co-fondateur de WatchFID

Tout le monde n’est pas prêt à ce degré de transparence, dans le monde très secret qu’est l’horlogerie...

Anthony Marquié: C’est un bouleversement du marché à anticiper! Nous n’allons pas forcément nous faire que des amis. Nous prônons la transparence, mais tout le monde ne le fait pas. A terme, les collectionneurs vont de toute façon imposer de la transparence au marché et aux marques, grâce notamment aux nouveaux outils numériques et aux réseaux sociaux. C’est déjà le cas dans une large mesure.

«Les collectionneurs vont imposer de la transparence au marché et aux marques, grâce notamment aux nouveaux outils numériques et aux réseaux sociaux. C’est déjà le cas dans une large mesure.»

Est-ce que pour les auteurs que vous êtes, ou les journalistes que nous sommes, l’avenir se résume à vendre directement des montres?

Anthony Marquié: Non, car la vente en tant que telle n’est pas la raison d’être de WatchFID. Nous proposons un écosystème anticipant les évolutions du marché de la collection. Nous aurions pu nous contenter de vendre des Speedmaster vintage, comme beaucoup nous l’ont d’ailleurs suggéré, puisque nous avons cumulé une expertise en la matière. Etre un «vendeur de plus» ne nous intéressait pas. Notre but est au contraire de proposer un nouveau concept, ouvert, sans entrer en concurrence frontale avec tous les autres. Cela pour accompagner un moment qui voit l’émergence de la figure du collectionneur et qui exige confiance et transparence.

Grégoire Rossier: Avec WatchFID, nous permettons aux collectionneurs de se spécialiser en leur donnant des outils qu’ils peuvent s’approprier: livres, expertises ou encore technologie Blockchain pour sécuriser l’authenticité des modèles. Quand un collectionneur achète un modèle, il acquiert aussi tout son écosystème. C’est ce que nous aurions aimé avoir pour nous-même depuis longtemps.

«Une montre sans certificat numérique sera désavantagée»

Est-ce que vous expertisez vous-mêmes tous les modèles que vous proposez sur la plateforme?

Anthony Marquié: Il faut distinguer selon les sources. Nous expertisons nous-mêmes (ou avec la collaboration d’analystes spécialisés) toutes les montres des collectionneurs privés. Ceci peut poser problème si le collectionneur habite à l’autre bout du globe, mais nous préférons être stricts car il en va de la crédibilité-même du concept. Nous envisageons de créer progressivement un réseau de bureaux affiliés et de relais pour couvrir les principaux marchés.

En ce qui concerne les modèles proposés par des professionnels souhaitant mettre leurs montres en vente sur notre plateforme, nous avons imaginé des procédures rigoureuses permettant de fluidifier l’approche: ces professionnels sont censés posséder l’expertise adéquate et pour l’attester, ils deviennent partenaires de confiance WatchFID en signant une charte de déontologie, qui les engage à un maximum de transparence. Ils doivent en outre produire une fiche d’expertise pour chaque montre, qui est ensuite contrôlée par nos soins, WatchFID restant toujours la seule entité autorisée à émettre les certificats après ces contrôles.

«Certains collectionneurs préfèrent avoir un modèle en parfait état mais restauré, d’autres l’original dans son «jus». Notre rôle n’est pas de décider pour eux, mais de leur donner la possibilité de décider.»

Grégoire Rossier, co-fondateur de WatchFID
Grégoire Rossier, co-fondateur de WatchFID

Vous appliquez également un système de notation aux modèles...

Grégoire Rossier: Pour nos ouvrages «Only», nous avions mis au point une méthodologie pour déterminer la conformité des principaux composants de la montre. Pour nos WatchFID Expert Reports, nous avons ajouté un système de notation. Le premier critère d’évaluation est la conformité et la cohérence des composants, le deuxième est l’état du composant et le troisième est une pondération selon l’importance relative de chaque composant. Par exemple, dans le cas de la Speedmaster, nous considérons qu’un cadran est plus important que la couronne et nous pondérons la note en fonction de ce critère.

Anthony Marquié: Il y a également un certain nombre de cas dans lesquels cette notation n’est pas suffisante en soi, car il faut prendre en compte des facteurs «extérieurs», comme un propriétaire célèbre, un cadran tropical, la présence ou l’absence d’accessoires, ou encore la publication de la montre dans un livre de collection. Bref, tout ce qui confère à la montre un caractère spécial. Ces facteurs génèrent des bonus - ou plus rarement des malus - pour parvenir à une note globale.

Grégoire Rossier: A nouveau, le but est de jouer la transparence. Une montre peut ne pas être conforme à 100%. Mais tant que le client potentiel est informé, ce n’est pas un souci. Avec la Blockchain, on ne peut plus tricher.

Anthony Marquié: Libre à chaque client de se positionner, grâce à la transparence de l’information. C’est comme en automobile: certains préfèrent avoir un modèle en parfait état mais restauré, d’autres l’original dans son «jus». Notre rôle n’est pas de décider pour les collectionneurs, mais de leur donner la possibilité de décider.

«Le but est de jouer la transparence. Une montre peut ne pas être conforme à 100%. Mais tant que le client potentiel est informé, ce n’est pas un souci. Avec la Blockchain, on ne peut plus tricher.»

Les certificats numérique sécurisent les informations sur des modèles en les «figeant». Ont-il pour autant la capacité à évoluer?

Anthony Marquié: Vous pouvez faire un certificat «statique», un peu comme une carte grise de voiture, et en rester là. Mais nous avons choisi une solution beaucoup plus dynamique, avec un certificat qui, à partir de son émission (T0) pourra enregistrer les événements liés à la montre (T1, T2, etc): entretien, changement de pièces, ajout de documents ou de photos, perte, vol.

Exemples de modèles de collection proposés par WatchFID
Exemples de modèles de collection proposés par WatchFID

Ce qui permettrait aussi éviter certaines arnaques, lorsque les papiers d’un modèle ont été perdus par exemple...

Anthony Marquié: Tout à fait. Imaginons qu’un vendeur vous présente un chronographe avec un superbe cadran tropical. Il va logiquement vous demander une plus-value pour ce cadran particulier. Mais si le certificat numérique existe et que les photos à l’origine montrent un cadran noir standard, vous saurez qu’à un moment donné, quelqu’un a remplacé le cadran. Cela ne vous fera pas forcément renoncer à l’achat, mais vous serez au courant de la substitution. La Blockchain améliore aussi les chances d’identifier et de retrouver une montre volée.

Grégoire Rossier: Le certificat numérique constitue la carte d’identité virtuelle de la montre, tout en préservant l’anonymat de son propriétaire car aucune information nominative n’est intégrée dans la Blockchain. Lors d’une transaction, le vendeur transmet en temps réel le certificat à son nouveau propriétaire et n’y a ensuite plus accès. Le détenteur d’un de nos certificats ne peut donc être que le propriétaire actuel de la montre.

Anthony Marquié: Je connais un collectionneur qui conservait toutes ses montres dans son coffre-fort, y compris une liste de tous ses modèles. Il s’est fait cambrioler. En quelques minutes, il a tout perdu, y compris les numéros de série des montres et de ce fait n’avait plus aucune information, ni preuve d’achat. S’il avait eu un de nos certificats digitaux, il aurait eu accès à 100% de l’information, simplifiant grandement la procédure de déclaration de vol. Outre la traçabilité et la transmission, l’autre grand avantage de la Blockchain est la sécurité.

«S’étant fait cambrioler, un collectionneur a tout perdu, y compris la liste des numéros de série de ses montres. Outre la traçabilité, l’autre grand avantage de la Blockchain est la sécurité.»

Quel est votre rapport aux marques établies, notamment celles dont vous couvrez en profondeur les modèles vintage?

Anthony Marquié: Les marques comprennent que notre travail en faveur du patrimoine leur profite également. Cependant, elles fonctionnent souvent sous pression, selon des objectifs de vente trimestriels, et notre utilité ne leur est pas immédiatement applicable ni «mesurable». Il faut de la sensibilisation à ces thématiques qui vont changer la manière dont se déroule le commerce horloger. Ceux qui réfléchissent à long terme seront avantagés; c’est particulièrement visible en ce moment. Mais pour beaucoup, cela nécessite de changer de logiciel.

LIEN VERS WATCHFID