La transformation numérique de l’horlogerie


Les montres auront leur passeport biométrique

INNOVATION

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janvier 2021


Les montres auront leur passeport biométrique

Pour remplacer les traditionnels papiers d’origine, une nouvelle fondation établie en Suisse, Origyn, propose la reconnaissance biométrique des montres par une simple photographie sur smartphone. Vincent Perriard, son cofondateur, explique comme cette formule se différencie des nombreuses solutions Blockchain déjà mises en place sur le marché. Et les implications de cette innovation, qui vont bien au-delà de la lutte anti-contrefaçon.

«O

n a vu un grand nombre d’initiatives Blockchain fleurir ces dernières années, dont certaines adoptées par des marques horlogères. Le problème, c’est qu’on est en train de nous vendre un fax à l’heure d’Internet.» Vincent Perriard se montre très sceptique sur l’inviolabilité affichée des solutions actuelles d’authentification numérique de montres.

Ancien patron des marques horlogères HYT, Technomarine et Concord, il vient de cofonder Origyn avec deux partenaires: Gian Bochsler, un entrepreneur suisse actif dans la fintech et les crypto-monnaies, fondateur notamment d’Archery Blockchain, et Mike Schwartz, ex-responsable Digital Ventures chez Boston Consulting Group.

«La Blockchain, c’est bien. Mais en l’état, on est en train de nous vendre un fax à l’heure d’Internet.»

S’il reconnaît dans la Blockchain – et plus largement dans la décentralisation des données – une clé pour le futur, Vincent Perriard estime que les concepts actuels ne vont pas assez loin face aux contrefaçons: «Ces solutions ne permettent pas un verrouillage complet des données d’origine, car elles reposent encore sur certains éléments physiques. La seule méthode vraiment efficace, c’est la biométrie, grâce aux capteurs photographiques de pointe sur les smartphones contemporains.»

Une application pour smartphone permet de prendre une photo d'un objet physique pour l'identifier et l'authentifier, connaître sa provenance, ses origines et son propriétaire.
Une application pour smartphone permet de prendre une photo d’un objet physique pour l’identifier et l’authentifier, connaître sa provenance, ses origines et son propriétaire.

La puissance du pixel

Des initiatives de reconnaissance biométrique ont déjà été lancées par le passé mais ont échoué. Or, l’environnement technologique a évolué: multiplication des smartphones, très haute résolution des applications de photographie, intelligence artificielle, machine learning… Et surtout l’émergence d’une nouvelle génération d’Internet public décentralisé, l’«Internet Computer», sur lequel est construit le protocole d’Origyn pour créer un clone numérique de toute montre enregistrée.

Vincent Perriard décrit sa solution comme un «Shazam» de l’horlogerie, du nom de cette application de reconnaissance musicale: «Il vous suffit de prendre une photo de la montre avec votre smartphone pour voir immédiatement s’il s’agit d’un original ou d’une contrefaçon.»

«La matière vit. Aucune aiguille, aucune vis n’est pareille à une autre. Une photographie pourra reconnaître 1’000 points totalement uniques sur chaque modèle de montre, même produite en masse.»

Si presque tout le monde détient désormais un passeport biométrique, qu’est-ce donc qu’une «montre biométrique»? L’identification de chaque garde-temps se fait dans le monde de l’infiniment petit, la photographie agissant comme un scanner microscopique reconnaissant toutes les variations de modèles pourtant absolument identiques à l’œil nu. «La matière vit. Aucune aiguille, aucune vis n’est pareille à une autre. Une photographie pourra reconnaître 1’000 points totalement uniques sur chaque modèle de montre, même produite en masse», explique Vincent Perriard.

Tout smartphone équipé de l’application Origyn identifiera une montre en la prenant en photo, le garde-temps agissant de fait comme son propre «code-barres», délivrant de précieuses informations: numéro de série, manufacture, date de création, historique des transactions pour n’en citer que quelques-unes.

Gian Bochsler est un entrepreneur suisse actif dans la fintech. En 2014, il a fondé Bity.com, avant de rejoindre deux ans plus tard Dfinity, une entreprise de cloud computing basé sur la blockchain ayant pour but de développer l'«Internet Computer» décentralisé. Il a également créé le fonds Archery Blockchain.
Gian Bochsler est un entrepreneur suisse actif dans la fintech. En 2014, il a fondé Bity.com, avant de rejoindre deux ans plus tard Dfinity, une entreprise de cloud computing basé sur la blockchain ayant pour but de développer l’«Internet Computer» décentralisé. Il a également créé le fonds Archery Blockchain.

Un fantasme devenu réalité?

Vincent Perriard souligne que cette forme de conservation de données, entièrement dématérialisée, est le «Graal» auquel aspiraient les marques horlogères. «Cela fait longtemps qu’elles cherchent des solutions face aux contrefaçons. La forte croissance du marché de l’occasion rend par ailleurs les problèmes d’authentification toujours plus aigus.»

Mais comment allier cette authentification à la protection des données, sujet hautement sensible? «Le protocole appliquera ce que les marques décident, répond Vincent Perriard. D’un point de vue technologique, tout est possible. Mais nous sommes bien conscients que les clients veulent avoir un maximum de protection et surtout contrôler leurs données. Ainsi, nous sommes en train de voir comment chaque marque gère aujourd’hui cette question, et le protocole suivra la même tendance.»

Et de préciser: «Il n’est par exemple pas du tout obligatoire d’intégrer le nom du propriétaire dans le protocole. Le fait que le système reconnaisse la montre comme originale, avec sa date d’assemblage et son numéro de série est déjà en soi une information essentielle, sans devoir nécessairement donner le nom du propriétaire. Encore une fois, la technologie nous ouvre toutes les portes; aux horlogers de décider ce qui est pertinent ou pas.»

Ce n’est pas une société anonyme, mais bien une fondation à but non lucratif, enregistrée en Suisse, qui abritera les activités d’Origyn, dont le démarrage de l’application est prévu au deuxième semestre 2021. «La technologie fonctionne désormais, l’équipe s’attaque maintenant à l’ergonomie d’une application intuitive pour l’utilisateur. A présent le plus grand défi est de parvenir à réunir les différentes marques et acteurs de l’horlogerie autour d’une même plateforme, d’où le choix d’une structure impartiale», précise Vincent Perriard.

Vincent Perriard décrit sa solution comme un «Shazam» de l’horlogerie, du nom de cette application de reconnaissance musicale.

Un système de gouvernance original sera mis en place au sein de la fondation: les marques horlogères elles-mêmes, membres de la fondation, auront accès à au moins 50% des droits de vote, selon un système de pondération par leur poids économique; les 50% restants seront attribués via des «jetons» à tout actionnaire potentiel.

«La raréfaction progressive des jetons disponibles augmentera leur valeur», précise Vincent Perriard. Pour l’heure, les trois co-fondateurs, qui se sont rencontrés lors d’une séance du Forum Economique de Davos sur les monnaies virtuelles, financent intégralement les activités de l’équipe mettant en place le protocole Orygin, composée d’une quinzaine de personnes. Le siège de situe à Neuchâtel et une structure de R&D a été mise en place en Californie, dans la Silicon Valley.

Vincent Perriard est spécialiste en stratégie de marque dans le secteur du luxe. Au cours de sa carrière dans l'horlogerie, il a notamment été PDG de HYT, Concord, TechnoMarine et a occupé différents postes chez Audemars Piguet et Swatch Group.
Vincent Perriard est spécialiste en stratégie de marque dans le secteur du luxe. Au cours de sa carrière dans l’horlogerie, il a notamment été PDG de HYT, Concord, TechnoMarine et a occupé différents postes chez Audemars Piguet et Swatch Group.

De l’authentification au dialogue client

Autour de la table, on retrouve donc un financier excellent connaisseur des projets de monnaies virtuelles, un spécialiste des problématiques de l’horlogerie et un expert des algorithmes et de la reconnaissance artificielle. «C’était naturel de commencer par une application en horlogerie, mais on peut tout à fait imaginer le potentiel d’Origyn pour d’autres industries au sein desquelles l’authentification est importante, comme la maroquinerie», ajoute Vincent Perriard.

Le champ d’action de la start-up dépasse de loin la seule problématique de la contrefaçon. «Notre technologie permet de mettre directement en contact des personnes qui ne se parlent pas forcément aujourd’hui, notamment les marques et tout détenteur d’un de leurs modèles, récent ou ancien, dans le monde. Au-delà de l’authentification, on peut imaginer de créer des interactions permettant de suivre un modèle lors de son traitement au service après-vente, de l’enrichir d’informations et même de signaler son vol ou sa perte. Il n’y a pas de limites à ce que l’on peut faire.»

Tout smartphone équipé de l’application Origyn identifiera une montre en la prenant en photo, le garde-temps agissant de fait comme son propre «code-barres», délivrant de précieuses informations.

Un Graal pour les marques qui rêvent de récupérer les données clients, à l’heure du direct-to-consumer? Vincent Perriard défend un «système vertueux» pour les sociétés horlogères qui auraient ainsi accès à leurs clients finaux, pour ces derniers qui bénéficieraient de l’authentification de leur modèle et même pour les plateformes de vente de montres d’occasion qui obtiendraient des certifications provenant des marques elles-mêmes (la plupart des ces plateformes réalisent leurs propres certifications, non agréées par les marques). Cela à condition que tous ces acteurs du monde horloger acceptent de se ranger autour d’une même solution.

Avec l’émergence d’une start-up comme Origyn, qui rejoint une cohorte de solutions innovantes apparues en 2020, on constate que la crise pandémique est aussi destructrice de commerce qu’elle est créatrice de propositions résilientes. Si la technologie semble au point, son sort se jouera dans la volonté des grands décideurs de l’écosystème horloger de faire front commun face à la crise. Un principe valable pour cette start-up comme pour toutes les initiatives «rassembleuses» en gestation.

Mike Schwartz est un pionnier du protocole décentralisé ICP (Internet Computer Protocol). Il a fait partie des fondateurs de 55 Foundry et mené la branche Digital Ventures du Boston Consulting Group en Asie.
Mike Schwartz est un pionnier du protocole décentralisé ICP (Internet Computer Protocol). Il a fait partie des fondateurs de 55 Foundry et mené la branche Digital Ventures du Boston Consulting Group en Asie.

ORIGYN: COMMENT ÇA MARCHE?

• À l’aide d’outils spécifiques et d’une interface dédiée, une marque ou un agent autorisé génère un «clone numérique» de chaque produit de luxe dès sa production. Les marques deviennent l’autorité concernant la provenance et l’authenticité d’un produit, car eux seuls possèdent la capacité d’en générer un «clone numérique» unique (c’est-à-dire un certificat numérique). La propriété de l’objet est également établie de façon irréfutable, son détenteur étant lié au clone numérique inviolable et impossible à contrefaire. Ces certificats numériques peuvent être transférés de la marque à la boutique, puis au client, ainsi que du client à un autre client, enregistrant les origines et l’historique du produit.

• Tout le monde peut authentifier une montre directement avec un smartphone et l’application développée par Origyn, sans avoir recours à un code-barres, une micropuce, une gravure ni à tout autre intermédiaire.

• Le protocole Origyn s’appuie sur la cryptographie et une combinaison de technologies hybrides (IA + apprentissage automatique) pour reconnaître les montres, prouvant ainsi l’authenticité du produit et garantissant l’irrévocabilité, l’incorruptibilité et la transparence des informations.

De l'internet 1.0 des années 1990 à l'Internet Computer des années 2020 (document Origyn)
De l’internet 1.0 des années 1990 à l’Internet Computer des années 2020 (document Origyn)