e nom de la petite cité de Glashütte résonne comme un Graal dans le paysage horloger allemand. Et le nom de «Lange» résonne encore plus fortement avec cette histoire. C’est là qu’en 1845, Ferdinand Adolph Lange fonde, un 7 décembre, son entreprise, sa manufacture horlogère.

«Celle-ci a commencé comme une manufacture de montres de poche, mais aussi comme une école, le Centre de l’Horlogerie de Précision Allemande. En 1868, son fils Richard rejoint l’entreprise, dont le nom se transforme en A. Lange & Söhne. Trois ans plus tard, en 1871, un deuxième fils, Emil, rejoint lui aussi la société», souligne son CEO actuel, Wilhelm Schmid.

La seule photo existante de Ferdinand Adolph Lange

Le modèle de société et surtout de continuité familiale opère parfaitement, avec une combinaison judicieuse d’éléments produits à l’interne et achetés à des tiers. Sa renommée dépasse bientôt les frontières nationales. Au décès de Ferdinand Adolph Lange en 1875, ses fils prennent naturellement la relève.

Détails de la Lange 1 Perpetual Calendar en or rose. Cadran grené gris anthracite, aiguilles, index et double fenêtre de la grande date en or rose également.

L’entreprise demeurera familiale et prospérera durant les décennies suivantes, jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le dernier jour du conflit, la manufacture est entièrement détruite par un bombardement. Aucun nom de famille, aussi prestigieux soit-il, n’est épargné lors de l’expropriation de toutes les sociétés horlogères de Glashütte. Sous la supervision de la toute nouvelle République démocratique allemande communiste, elles fusionnent en 1951 pour donner place à un conglomérat, le Glashütter Uhrenbetrieb (GUB).

Portrait de Wilhelm Schmid, CEO d’A. Lange & Söhne depuis 2011

«Dans un sens, nous sommes heureux que notre nom ne soit associé à aucune des montres de cette époque, relève Wilhelm Schmid. C’est ainsi que s’achève la première vie d’A. Lange & Söhne.»

Détails du calibre de la Lange 1 Time Zone avec son ressort en col de cygne caractéristique et son coq de balancier gravé à la main

Deuxième vie sous la troisième génération

Le début de la deuxième vie de la firme allemande se produit suite à la chute du mur de Berlin en 1989 et la réunification allemande un an plus tard. Walter Lange, l’un des petits-fils du fondateur, qui avait fui le régime socialiste après la guerre pour passer à l’Ouest, revient à Glashütte.

Günter Blümlein et Walter Lange devant le mémorial F. Adolph Lange à Glashütte en 1991

Avec l’aide du directeur marketing d’IWC, Hannes Pantli, qui travaillait chez LMH (Les Manufactures Horlogères, regroupant alors IWC et Jaeger-LeCoultre) dirigé par le visionnaire Günter Blümlein, Walter Lange rencontre l’entrepreneur.

Le redémarrage de A. Lange & Söhne après la réunification allemande, raconté dans cet article d’Europa Star paru il y a exactement trente ans, en 1994.

©Archives Europa Star

«De leur rencontre est issue la renaissance de A. Lange & Söhne, souligne Wilhelm Schmid. Ils ont refondé la société le 7 décembre 1990, soit le jour même où Ferdinand Adolph Lange avait créé son entreprise en 1845. C’est un exemple parfait de leur souci du détail, qui définit encore aujourd’hui notre manufacture. En 1994, A. Lange & Söhne renaît autour de quatre modèles: la Lange 1, la Saxonia, l’Arkade et le Tourbillon «Pour le Mérite». Trois de ces modèles figurent toujours aujourd’hui dans nos collections. L’Arkade, qui est une montre rectangulaire, a été conçue pour prouver que nous fabriquions nos propres mouvements en interne. Nous avons arrêté cette ligne il y a longtemps.»

La A. Lange & Söhne Lange 1 Time Zone en platine, sortie en 2023, référence 136.025

L’entreprise allemande est parvenue à reconstruire une manufacture à part entière en un temps record. Comment? «IWC et Jaeger-LeCoultre ont joué un rôle décisif dans cette renaissance, explique le CEO. C’était une époque où les soutiens et les collaborations étaient forts. Sans la vision et l’apport de Günter Blümlein, cela aurait été beaucoup plus difficile.»

A la fin des années 1990, Mannesmann, qui posséde LMH dans son portfolio, est racheté par Vodafone. Le groupe de communication vend à son tour cette partie industrielle et, en 2000, Richemont acquiert LMH. A. Lange & Söhne rejoint le groupe de luxe - tout en préservant une identité singulière au sein d’un groupe dominé par des maisons suisses et françaises.

La A. Lange & Söhne Lange 1 Quantième Perpétuel 345.033 en or rose 18 carats et son ingénieux anneau des mois périphérique tournant. Cadran gris en argent massif.

Cultiver l’esprit de Glashütte

La patiente reconstruction d’une Haute Horlogerie propre au nom Lange et à Glashütte, aux codes aisément reconnaissables, peut aujourd’hui être considérée comme une réussite, exactement 30 ans après la présentation des premiers modèles de la renaissance du fleuron allemand de l’horlogerie. «A ce jour, notre best-seller reste la Lange 1, ce qui en dit long sur la reconnaissance de la marque, observe Wilhelm Schmid. Notre production demeure assez limitée, à environ 5’000 montres par an, et nous comptons rester dans ce volume. Nous avons réduit notre distribution à 58 points de vente, avec 34 boutiques en propre (il y avait 220 points de vente en 2017, ndlr). Nous nous concentrons sur des partenaires externes très soigneusement choisis qui comprennent la marque et peuvent relayer notre message spécifique de manière appropriée.»

La A. Lange & Söhne Lange 1 Quantième Perpétuel 345.036, en platine avec son cadran noir en argent massif, sortie en 2023

La clientèle globale de collectionneurs se reconnaît, selon le CEO, à la fois dans «le design, la lisibilité, le luxe discret qui émane de nos montres» et dans «l’opulence de nos mouvements, notre savoir-faire et nos finitions». Une forme de secret bien gardé, où l’intérieur cache un trésor exubérant derrière une façade très épurée, au style très germanique reconnaissable entre tous. Ou la beauté intérieure à l’allemande.

«Nos clients reconnaissent également la grande tradition et l’histoire de la marque. Enfin, ils apprécient notre approche de l’innovation Never stand still», poursuit le directeur, en place depuis plus d’une décennie.

Où veut-il emmener la marque? «Justement, notre première mission est de préserver et de protéger notre patrimoine, notre façon de faire de la Haute Horlogerie. Nous avons une stratégie de distribution très précise. Nous voulons cultiver notre rareté et pouvoir la partager avec nos clients de manière immersive dans nos boutiques. Nous voulons que les gens ressentent l’esprit de Glashütte. Nous aspirons à transmettre nos valeurs et la richesse de notre histoire. La complexité moyenne de nos montres augmente, mais pas nos chiffres de production, car le temps passé sur chaque montre augmente en conséquence.»

Une vision de long terme qui doit s’appuyer sur la relève générationnelle: «Il y a deux jours, nous avons accueilli huit jeunes qui terminaient leur apprentissage et devenaient horlogers dans notre entreprise. Ils avaient entre 18 et 21 ans. C’est notre travail et notre devoir, de nous assurer que nous transmettons notre métier et que nous restons pertinents. Nous ne voulons pas prendre de raccourcis. Une marque se définit aussi par ce qu’elle ne fait pas sous la pression, qu’elle vienne d’une demande accrue ou d’une demande réduite.» Plus que toute autre marque allemande peut-être, A. Lange & Söhne incarne ce vent de l’Histoire qui, à nouveau, porte une horlogerie malmenée détruite et cadenassée, pour finalement mieux renaître de ses cendres. Une leçon de résilience.