e 14 avril 1861, Erhard Junghans, en collaboration avec son beau-frère Jakob Zeller-Tobler, fonde l’enseigne Zeller & Junghans à Schramberg, au cœur de l’autre terroir horloger allemand (avec la région de Glashütte). Elle commence par fabriquer des composants pour les horloges de la Forêt-Noire.
Son premier garde-temps propre est apparu en 1866. Avec une philosophie très claire dès ses origines: «L’intention de Junghans a toujours été d’industrialiser l’horlogerie, de la rendre plus efficace. C’est pourquoi tous les processus ont été internalisés dès le début. Lorsque les deux fils Junghans, Erhard II et Arthur, ont pris la relève en 1870, ils ont perpétué cette idée. Ils ont commencé à construire leurs propres machines, avec la même vision et les mêmes objectifs», explique son CEO actuel Hannes Steim.
- Erhard Junghans, fondateur de l’entreprise Zeller & Junghans à Schramberg en 1861
Le plus grand fabricant de montres au monde
En 1903, Junghans est la plus grande entreprise horlogère du monde. L’entreprise emploie 3’000 personnes et produit 3 millions de garde-temps par an! Visionnaires, les Junghans ont toujours eu à l’esprit les marchés internationaux. Ils ont participé à l’Exposition universelle de Paris en 1900, ont développé des usines de production et des filiales à Schramberg, Rottenburg et Schwenningen, ainsi que dans la ville autrichienne d’Ebensee, mais aussi à Venise et à Paris.
- La célèbre usine en terrasse de Junghans, illustrant une chronologie de l’horlogerie en Forêt Noire parue en 1953 dans Europa Star
- ©Archives Europa Star
- Inauguré en 1918, le bâtiment en terrasse (Terrassenbau), conçu par l’architecte industriel Philipp Jakob Manz, est érigé en moins de deux ans.
La Première Guerre mondiale ne les a pas affectés; bien au contraire, elle leur offre de nouvelles opportunités d’industrialisation et de développement, comme pour bien d’autres horlogers en Europe à cette époque (lire notre article dédié ici): «Pendant la guerre, Junghans a produit des déclencheurs pour les bombes, et a donc vraiment développé son côté industriel. C’est à cette époque que l’emblématique Terrassenbau (bâtiment terrasse), conçu par l’architecte industriel Philipp Jakob Manz, a été construit, en moins de deux ans. La terrasse de neuf niveaux, construite dans la montagne, permet un rendement optimal de la lumière du jour pour chaque poste de travail, ce qui garantit une précision maximale pendant la production. Une belle illustration de la philosophie initiale de Junghans.»
Meister et la maîtrise du mouvement mécanique
Dans les années 1910, l’entreprise a commencé à fabriquer des montres de poche et, en 1926, sa première montre-bracelet a été lancée. Le directeur général revient sur cette période cruciale de l’histoire de l’entreprise: «La société appartenait toujours à la famille Junghans, Erwin ayant repris le flambeau à la mort d’Arthur en 1920. La ligne-phare Meister a été créée en 1936. À cette époque, Junghans produit ses propres calibres et les mouvements de qualité supérieure reçoivent la désignation J80/2. Ce sont les pièces maîtresses des montres Meister.»
- Le Meister Chronoscope, dernier né de cette collection emblématique de Junghans
Après la Seconde Guerre mondiale, dès 1946, Junghans commence à travailler sur sa première montre chronographe: «Après une période de développement de trois ans, le mouvement à remontage manuel J88, perfectionné en interne, a été dévoilé avec 19 pierres, une roue à rochet et un ressort Breguet complexe. Ce calibre robuste deviendra le composant principal de nombreux chronographes Junghans.»
- Chronographe de 1955, équipé du calibre manufacture J88, développé pour les forces armées allemandes
L’engagement de l’entreprise en faveur de la précision se confirme. En 1951, Junghans est le plus grand fabricant de montres chronomètres en Allemagne. En 1956, elle est le troisième au monde, derrière Rolex et Omega. Une autre étape importante de cette période a été le démarrage de la collaboration avec l’artiste et designer suisse du Bauhaus, Max Bill, qui a créé sa légendaire horloge de cuisine dans les années 1950.
- La célèbre horloge de cuisine dessinée par Max Bill
- ©Archives Europa Star
- La montre régulateur Max Bill, dont le design Bauhaus épuré remonte à 1961, fait partie des collections permanentes de la marque.
La montre-bracelet qu’il a conçue pour Junghans en 1961 est quant à elle toujours une référence emblématique dans le catalogue actuel de la marque. En 1961, un siècle exactement après sa fondation, Junghans employait 6’000 personnes et produisait 20’000 montres par jour!
- Annonce pour Junghans (Europa Star, 1952)
- ©Archives Europa Star
- Les 100 ans de Junghans, célébrés en 1961 dans Europa Star
- ©Archives Europa Star
La révolution - pas la crise - du quartz
Lorsque les marques horlogères traditionnelles évoquent le quartz, c’est souvent synonyme de crise... Pas pour Junghans. Axée sur l’innovation et la précision, l’entreprise a développé son propre mouvement à quartz au début des années 1970. Elle s’impose comme chronométreur officiel des Jeux olympiques de Munich en 1972, avec une précision allant jusqu’au centième de seconde.
«Avec l’invention du quartz, Junghans s’est concentré sur cette nouvelle technologie et a complètement cessé de produire des mouvements mécaniques, souligne Hannes Steim. En 1971, notre montre Astro-Quartz a été lancée, marquant un nouveau chapitre de notre histoire. Très tôt, nous avons développé notre propre technologie de quartz solaire. Il s’agissait d’une révolution et non d’une crise.»
- La Mega-1, première montre-bracelet radio-commandée lancée en 1990. La version solaire sortira en 1993.
L’étape suivante a été l’introduction de la première horloge de table radio-commandée au monde en 1985. L’écart de temps potentiel n’était que d’une seconde sur un million d’années. Un an plus tard, Junghans a présenté la première horloge de table radio-commandée fonctionnant à l’énergie solaire. En 1990, la première montre-bracelet radio-commandée, la Mega 1, a vu le jour et, en 1993, la première montre radio-commandée fonctionnant à l’énergie solaire a suivi.
Le CEO explique, à propos de ces différents développements: «C’était très innovant, mais limité par la portée du signal. Il a fallu onze ans pour développer et lancer notre mouvement radio-commandé multifréquence intelligent. Junghans avait inventé une montre qui pouvait recevoir et convertir automatiquement un signal en Allemagne et en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique du Nord.»
D’une famille à l’autre
La famille Junghans reste à la tête de l’entreprise jusqu’en 1956. Cette année-là, c’est la société Biehl qui en devient l’actionnaire majoritaire. Au cours des décennies suivantes, elle investit considérablementdans l’entreprise, et ce jusqu’en 2000, date à laquelle ils décident de scinder leur activité en deux, entre les microtechnologies et les montres.
«La partie horlogère, y compris Junghans, a été rachetée par Egana Goldpfeil Holdings Ltd. qui essayait de construire un groupe de luxe... mais leur vision n’était pas vraiment claire. En 2008, ils ont déposé le bilan de toutes leurs sociétés, y compris Junghans. En tant que membre honoraire de la communauté de Schramberg, mon père a été contacté par le maire de la ville pour voir s’il pouvait investir dans l’entreprise. Nous avons repris l’entreprise en 2009 pour perpétuer l’héritage de Junghans... et le nôtre», relate Hannes Steim.
- Hannes Steim, dont la famille a repris Junghans en 2009, est CEO de l’entreprise depuis juin 2022.
En effet, à travers son entreprise Kern-Liebers, la famille de Hannes Steim avait été fournisseur de l’industrie horlogère. De plus, un arrière-arrière-grand-père du CEO actuel fabriquait quant à lui déjà des ressorts à Schramberg en 1888! «La reprise de Junghans, en pleine crise financière de 2008-2009, a été très émouvante. C’était aussi une grande affaire pour la ville et a attiré l’attention des médias, ce qui nous a aidés à relancer la marque. Notre 150ème anniversaire, en 2011, nous a permis de présenter de nouveaux modèles, de raconter la riche histoire de la marque.»
La stratégie de développement adoptée par le nouveau propriétaire consistait à renforcer son marché numéro un, l’Allemagne, ainsi que l’Autriche et le Japon, qui ont toujours été des marchés clés pour Junghans: «Nous nous sommes concentrés sur l’amélioration de notre qualité et de notre précision, ainsi que sur le développement de nos quatre lignes principales: Meister, Form, Sports et Max Bill. Les mouvements radio-commandés de Junghans sont entièrement fabriqués en interne. Les calibres mécaniques proviennent de Suisse et les quartz du Japon et de Suisse. Nous sommes très fiers de dire que Junghans est aujourd’hui encore une entreprise familiale allemande.»
Trois technologies
Lorsqu’on lui demande ce qui différencie Junghans des autres marque, le CEO répond sans hésiter: «Junghans est un grand nom qui possède la plus longue histoire ininterrompue de l’horlogerie allemande. Nous offrons un design unique. Nous sommes également la seule entreprise horlogère en Europe à proposer les trois technologies disponibles: quartz, mécanique et radio-commandée.»
Aujourd’hui, la marque vend environ 40’000 montres par an. L’Allemagne demeure son premier marché et le Japon l’un de ses plus importants débouchés. L’Europe se développe bien, selon Hannes Steim, qui ajoute: «Nous nous concentrons maintenant sur les Etats-Unis et l’Asie. Nous venons d’ailleurs de créer Junghans US en 2024 pour travailler en étroite collaboration avec nos nouveaux partenaires à l’étranger.»
- Outre les modèles quartz et mécaniques, Junghans investit très tôt dans les technologies radio-commandées pour l’horlogerie. Ici un article de 1994 dans Europa Star.
- ©Archives Europa Star
À qui la marque s’adresse-t-elle aujourd’hui? «Nos clients sont principalement des hommes, âgés de 40 ans et plus. Mais nous voulons développer la génération Z, car nos produits n’ont pas de genre distinct, avec des tailles de 36 à 45 mm. Nous introduirons bientôt de nouveaux cadrans plus colorés et une collection de montres de sport plus féminines en 2025», répond le CEO.
Et d’ajouter: «La conjoncture actuelle est plus difficile. En raison des nombreuses incertitudes géopolitiques, les gens sont plus prudents dans leurs dépenses. Mais Junghans a beaucoup de marchés à développer comme la Chine, l’Asie-Pacifique, l’Indonésie. Nous voyons beaucoup de potentiel.»
Puisque Junghans produit ses propres mouvements radio-commandés, pourquoi ne pas faire de même pour les mouvements mécaniques, aussi pour renouer avec son héritage industriel? «Développer et fabriquer ses propres mouvements mécaniques implique d’énormes investissements, probablement plus de 10 millions d’euros. Cela entraînerait également une augmentation importante des prix. Il s’agit clairement d’un objectif à long terme pour notre marque, mais pour l’instant, nous devons nous concentrer sur d’importants investissements en cours. Le plus important pour nous est que tous les garde-temps Junghans soient toujours produits ici, à Schramberg, comme ils l’étaient en 1861.»