Le marché horloger allemand


«Le défi numéro un à Glashütte est de trouver de la main d’œuvre»

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août 2024


«Le défi numéro un à Glashütte est de trouver de la main d'œuvre»

C’est l’un des petits Poucets au sein du portfolio de Swatch Group. L’histoire d’Union Glashütte remonte au 19ème siècle et la marque a connu une belle renaissance depuis les années 1990. Mais comme d’autres marques, elle est implantée dans un village victime de son succès, sous une appellation prestigieuse qui nécessite de pouvoir attirer davantage d’horlogers sur place pour augmenter ses capacités.

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atif de Francfort, Johannes Dürrstein s’établit à Dresde où il fonde sa société de commerce horlogère en 1874. Cela ne fait alors que quelques décennies que le village de Glashütte, tout proche, est devenu un «hub» de l’horlogerie, avec le soutien du gouvernement de Saxe. Homme de réseaux, Johannes Dürrstein va devenir un acteur important de l’essor commercial de la fabrication de Glashütte, devenant la même année distributeur pour A. Lange & Söhne.

Il s’allie notamment à un virtuose de la technique, Julius Bergter, qui a travaillé comme horloger à la manufacture Moritz Grossmann et comme professeur à l’École allemande d’horlogerie de Glashütte. C’est avec lui que, parallèlement à son activité de grossiste et distributeur pour des tiers, Johannes Dürrstein fonde en 1893 sa propre enseigne, la Uhrenfabrik Union à Glashütte.

«Le défi numéro un à Glashütte est de trouver de la main d'œuvre»
©Archives Europa Star

Dans cet article de 1998, Europa Star revient sur la renaissance d'Union Glashütte, qui a alors été relancée avec Glashütte Original suite à la chute du Mur. Les deux marques seront séparées dix ans plus tard pour être opérées de manière autonome.
Dans cet article de 1998, Europa Star revient sur la renaissance d’Union Glashütte, qui a alors été relancée avec Glashütte Original suite à la chute du Mur. Les deux marques seront séparées dix ans plus tard pour être opérées de manière autonome.
©Archives Europa Star

La marque devient l’écrin de plusieurs des développements de Bergter, comme la Grand Complication d’Union Glashütte, présentée cette même année à l’Exposition universelle de Chicago, ou l’«Universaluhr» en 1900. L’enseigne fabriquera également des chronomètres de marine, ainsi que des mouvements ultra-plats pour montres de poche, mais disparaîtra dans la turbulente période de l’Entre-deux-guerres.

Franz Linder dirige à la fois la marque suisse Mido et la marque allemande Union Glashütte chez Swatch Group.
Franz Linder dirige à la fois la marque suisse Mido et la marque allemande Union Glashütte chez Swatch Group.

Exactement 60 ans après sa disparition, alors que l’industrie horlogère de Glashütte entame sa renaissance suite à la réunification allemande, Union est relancée en 1996 sous l’égide de Glashütte Original. En 2000, les deux marques seront reprises par Swatch Group, dont elle profite à ce jour des vastes capacités industrielles. Entretien avec son directeur, Franz Linder.

Europa Star: Comme beaucoup de marques allemandes, Union Glashütte a connu plusieurs vies plutôt qu’une histoire continue et linéaire. Malgré tout, parvenez-vous à identifier un «fil rouge» à cette histoire?

Franz Linder: Un trait caractéristique est qu’elle n’a pas été fondée par un horloger comme d’autres marques de Glashütte, mais par un commerçant, Johannes Dürrstein. Son but était de produire des montres précises et belles, mais sans rien qui ne les rende plus chères. Son approche était ainsi davantage celle d’un entrepreneur que d’un ingénieur à la recherche d’exploits techniques. Et c’est toujours le positionnement d’Union Glashütte aujourd’hui. Quand je me suis rendu sur place après ma nomination en 2020, j’ai été bluffé par la recherche de précision et du meilleur rapport qualité-prix. Mais cela correspond finalement assez bien à la position du groupe dans son ensemble.

Oscillant entre élégance et vintage, Union Glashütte met l'accent sur les chronographes, comme ce nouveau modèle Noramis Chronograph Sachsen Classic 2024 aux accents orange vif, bleu clair et blanc mat réminiscents du sport automobile des années 1970 et 1980.
Oscillant entre élégance et vintage, Union Glashütte met l’accent sur les chronographes, comme ce nouveau modèle Noramis Chronograph Sachsen Classic 2024 aux accents orange vif, bleu clair et blanc mat réminiscents du sport automobile des années 1970 et 1980.

A sa relance, Union Glashütte était incorporée dans Glashütte Original, qui fait aussi partie de Swatch Group. Pourquoi les avoir séparées en 2008?

Au départ, quand les deux marques ont été relancées, Union Glashütte se basait sur le même parc industriel que Glashütte Original. Mais il était important de la rendre autonome car sa philosophie et son positionnement étaient différents. Cela a été un défi technologique que de créer une entité indépendante, mais celui-ci a été relevé en se basant sur la technologie et les compétences d’ETA pour en faire une marque Made in Glashütte. Les calibres Union sont basés sur des conceptions ETA, avec certains composants fabriqués à l’interne et d’autres achetés. Tout l’assemblage se fait sur place à Glashütte. Le règlement est assez strict pour cette appellation: il faut que 50% de la valeur ajoutée soit réalisée sur place.

En se basant sur l'expertise d'ETA au sein du groupe, Union Glashütte a pu progressivement développer ses propres capacités de production de calibres.
En se basant sur l’expertise d’ETA au sein du groupe, Union Glashütte a pu progressivement développer ses propres capacités de production de calibres.

Combien de personnes employez-vous à Glashütte?

Moins d’une centaine, mais c’est notre plus grand défi: trouver de la main d’œuvre et des apprentis. Comme précisé, les règles sont très strictes sur ce qui doit être fait à Glashütte même et nous devons donc convaincre des horlogers de toute l’Allemagne, ou de pays voisins, de venir s’installer sur place, ce qui n’est pas évident. Cela limite fortement nos capacités de production et je sais que c’est un défi pour d’autres marques également. Il y a vraiment un manque.

Pourtant, nous offrons un cadre privilégié avec la possibilité pour tous nos horlogers d’assembler l’intégralité du mouvement, alors que le travail est beaucoup plus divisé en Suisse. Mais il n’existe pas un écosystème aussi dense qu’en Suisse avec un bassin de milliers de personnes formées à l’horlogerie. Cela réduit considérablement nos possibilités de recrutement. En quelque sorte, les montres Made in Glashütte sont victimes de leur succès et d’une appellation très exclusive… Alors nous cherchons des alternatives, comme la possibilité de reconvertir des personnes déjà actives dans des activités manuelles.

L'Averin présente un boîtier de forme coussin distincte. Ce chronographe est équipé du calibre UNG-27.S2 doté d'un spiral en silicium et d'une réserve de marche de 65 heures.
L’Averin présente un boîtier de forme coussin distincte. Ce chronographe est équipé du calibre UNG-27.S2 doté d’un spiral en silicium et d’une réserve de marche de 65 heures.

Depuis votre arrivée en 2020, qu’avez-vous fait évoluer au sein de la marque?

J’ai rejoint Union Glashütte en pleine pandémie, ce qui était forcément assez particulier. Mais l’avantage de la marque est qu’elle était déjà très claire dans son positionnement et ses ambitions. J’ai renforcé le segment des montres de plongée, adapté la stratégie marketing et soutenu les efforts d’Union Glashütte pour accroître sa présence internationale, principalement en Chine. Mais on en revient encore au point précédent: tout ce qui sort des ateliers part tout de suite sur les marchés et le problème est que nous n’avons pas de stocks. Vu ces manques de capacités, nous nous concentrons sur sur certains marchés seulement.

«Le défi numéro un à Glashütte est de trouver de la main d'œuvre»

Quels sont-ils?

Nous vendons nos montres dans une dizaine de pays. Pendant longtemps, la priorité a été mise sur les marchés naturels pour la marque que sont l’Allemagne et l’Autriche. La Chine offre de belles perspectives et j’espère que nous pourrons accroître nos volumes pour aborder de nouveaux marchés.

L'élégance propre au «style Glashütte» se retrouve sur ce modèle chronographe Belisar à phases de lune.
L’élégance propre au «style Glashütte» se retrouve sur ce modèle chronographe Belisar à phases de lune.

Quels sont les modèles les plus appréciés des clients?

Le Belisar en versions chronographe et phases de lune est très populaire. Un autre modèle apprécié depuis longtemps est l’Averin. De manière générale, sur notre segment qui se situe entre 2’000 et 4’000 euros avec un prix moyen de 3’000 euros, nos chronographes rencontrent un franc succès. Et pas seulement en Europe: ils sont tout aussi appréciés en Chine, qui n’est traditionnellement pas un marché fort pour le chronographe. C’est un point fort de la marque.

Sur quelles stratégies misez-vous pour rendre la marque davantage reconnue hors d’Allemagne?

Je me répète mais la priorité est surtout augmenter les capacités pour pouvoir livrer les marchés. C’est vraiment la contrainte avec les critères propres à Glashütte. En contrepartie, porter une montre Union Glashütte est un vrai choix, car ce n’est pas commun au poignet. Cette singularité nous rend attractif auprès des connaisseurs, y compris en Chine.

Le modèle commémoratif en édition limitée 1893 Johannes Dürrstein à calendrier et phases de lune, avec cadran laqué d'émail blanc, se réfère à l'année de fondation de la marque et à son créateur.
Le modèle commémoratif en édition limitée 1893 Johannes Dürrstein à calendrier et phases de lune, avec cadran laqué d’émail blanc, se réfère à l’année de fondation de la marque et à son créateur.

Entre Mido et Union Glashütte, les deux marques que vous dirigez, existe-t-il des liens ou des synergies directes?

Le point commun de ces deux marques est qu’elles se concentrent principalement sur des montres automatiques, avec des ambitions similaires, mais elles sont actives sur des segments différents. Dans le portfolio de Swatch Group, Union Glashütte affiche un niveau de prix similaire à Longines et Rado, au-delà de celui de Mido. Cela reflète aussi des compétences industrielles différentes, car chez Union Glashütte presque tout est réalisé à l’interne, avec des finitions très élaborées et des matériaux haut de gamme comme le spiral en silicium.

Concernant les supports marketing, Union Glashütte est surtout ancrée dans le monde des voitures de collection en Allemagne, en tant que partenaire de rallyes comme le Sachsen Classic, Silvretta Classic ou German Classic. Le lien avec les chronographes, point fort de la marque, est naturel. Elle mise également sur le kitesurf pour ce qui est du monde nautique. Malgré ces différences, je mets mon expertise au service des deux marques, par exemple en Chine où Mido est déjà bien implantée.

Quelles caractéristiques peut faire valoir l’horlogerie allemande face à la domination du Swiss made?

Il faut faire la différence entre l’Allemagne et autres pays. En Allemagne, l’appellation Glashütte est reconnue et les Allemands sont fiers de leurs compétences horlogères, à raison. En dehors de l’Allemagne, par exemple en Chine, il est très rare qu’Union Glashütte soit la première marque d’un client. Cette distinction est un atout.

La marque allemande, très présente dans le segment du chronographe, mise sur les rallyes de voitures de collection pour faire connaître ses particularités.
La marque allemande, très présente dans le segment du chronographe, mise sur les rallyes de voitures de collection pour faire connaître ses particularités.