Le marché horloger français


Auricoste: une histoire de famille(s) de plus d’un siècle et demi

PORTRAIT

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décembre 2023


Auricoste: une histoire de famille(s) de plus d'un siècle et demi

Rares sont les marques françaises encore actives aujourd’hui qui peuvent afficher une histoire remontant au 19ème siècle (Lip ou Cartier viennent à l’esprit). Encore plus rares sont celles qui se sont forgées leur renommée sur un type bien précis d’instruments de mesure du temps. Auricoste est l’une de ces pépites. Une histoire de famille qui se perpétue depuis 170 ans. La légende continue de s’écrire aujourd’hui.

L’

histoire débute en 1854. Emile Thomas, horloger traditionnel parisien, fonde sa propre maison et perfectionne les chronomètres de marine, dont la précision se révèle cruciale à l’époque. Il devient Horloger de la Marine, de l’État et de l’Observatoire du Bureau des Longitudes. Un titre prestigieux que l’on retrouve sur certaines de ses réalisations, horloges ou chronomètres de marine.

Sa renommée grandit. Un jeune apprenti horloger de l’Ecole d’Horlogerie de Paris, Joseph Auricoste, participe activement au développement de la maison dès la fin du 19ème siècle. En 1900, à l’Exposition universelle de Paris, la marque obtient une médaille d’or. C’est à cette époque qu’apparaissent les premières montres co-signées «Thomas et Auricoste». L’année suivante, la maison devient Auricoste, Emile Thomas ayant trouvé en Joseph l’héritier passionné dont la marque a besoin.

Chronographe de marine exposé au musée Auricoste
Chronographe de marine exposé au musée Auricoste

Des instruments de mesure professionnels

Au-delà du talent horloger, la suite démontre le sens commercial du jeune repreneur. Il voyage et promeut la marque de Hanoï (en 1902) à Bruxelles (en 1910), en passant par les Etats-Unis (Saint-Louis en 1904). Il devient fournisseur officiel de l’Elysée: des pendules et montres Auricoste sont offertes aux chefs d’Etat de passage à Paris.

Pendulette chronomètre et nouveau modèle Type 20 Chronographe Flyback
Pendulette chronomètre et nouveau modèle Type 20 Chronographe Flyback

Puis la Première Guerre mondiale éclate. Auricoste va fournir plus de 30’0000 boussoles et chronomètres de poche à l’armée française, resserrant ainsi les liens entre la marque et le monde militaire. Une relation qui va perdurer et asseoir l’image de qualité de la marque. Ses instruments de mesure du temps sont reconnus pour leur robustesse, leur fiabilité, leur précision et leur lisibilité. Ces performances lui permettent d’équiper les Armées navales, aériennes et terrestres en France comme hors de l’Hexagone. L’essor de l’aviation et de l’automobile va accentuer encore l’attrait pour Auricoste.

Flyback Type 20 originel de 1954
Flyback Type 20 originel de 1954

À cette époque, Joseph Auricoste a transmis les rênes à son fils Pierre. C’est lui qui va introduire, en 1954, le fameux Chronographe Flyback Type 20 qui sera vendu à l’armée de l’air à plus de 2’000 exemplaires. C’est à cette même période que démarre une étroite collaboration avec Patek Philippe pour mettre en place les premières installations de réseau de l’heure (électro-mécanique) sur les bâtiments de guerre de la Marine nationale. Leur renommée est telle qu’elles seront livrées à tous les bateaux de guerre avec horloges de bord en France, mais aussi à de nombreux vaisseaux en Espagne, en Italie et même aux Etats-Unis.

Auricoste: une histoire de famille(s) de plus d'un siècle et demi

Une histoire, des familles

Mais les temps changent. Et la crise du quartz touche également Auricoste et ses instruments de mesure. Une rencontre va permettre de sauver la marque de la faillite. En 1962, Claude Tordjmann travaille dans la distribution de marques sportives… et des instruments de mesure du temps idoines. Il est distributeur exclusif en France pour Hanhart dans les années 1960, puis également pour Heuer dans les années 1970 et enfin de Zodiac par la suite.

Il rencontre Pierre Auricoste à cette époque. Les deux se lient d’amitié. Laurent Tordjmann, fils de Claude, qui travaille aujourd’hui avec son père (et son neveu, Alexis du Portal) en tant que designer et responsable communication de la marque, raconte: «Au début des années 1980, Pierre se présente chez Claude avec une caisse remplie de chronographes en SAV. Il lui confie: «Pouvez-vous vous en charger? Avec le quartz, je vais devoir déposer le bilan.» Claude, aussi surpris qu’indigné, lui répond: «Ce n’est pas possible!» S’ensuit une longue discussion sur l’évolution du marché. Les deux amis décident de s’associer pour sauver la marque. Ils s’accordent sur les modalités. Tout est prêt. Puis le sort s’en mêle. Pierre doit subir une opération de la cataracte… et décède malheureusement pendant l’opération. Ses enfants ne sont pas intéressés à reprendre l’entreprise familiale. Celle-ci est mise en faillite. Mon père prend alors la décision de racheter l’entreprise au tribunal même.»

La passion pour Auricoste se transmet aussi de famille en famille.

Le renouveau avec la tool watch

L’idée initiale est de continuer à produire des horloges militaires et professionnelles. Auricoste équipera donc encore l’emblématique porte-avion Charles de Gaulle à la fin des années 1990. Mais l’histoire d’amour avec la Marine et l’Armée touche à sa fin. L’heure est à la remise en question.

Horloge du pont d'envol du porte-avion Charles de Gaulle
Horloge du pont d’envol du porte-avion Charles de Gaulle

Laurent Tordjmann se rappelle: « La question centrale était: comment passer d’un modèle d’affaire B2B au B2C? Jusqu’à lors, les designs étaient dictés par les cahiers des charges stricts des donneurs d’ordre militaires. La fonctionnalité était l’essence des modèles: robustesse, fiabilité, simplicité et lisibilité. Nous nous sommes rendus compte que nous disposions de tous les ingrédients de la parfaite tool watch

Chronographe Type 20 39 mm de 2021, la taille originelle du modèle de 1954
Chronographe Type 20 39 mm de 2021, la taille originelle du modèle de 1954

Forte de ce capital ayant donné naissance à un design épuré et identitaire, l’orientation vers le monde civil prend forme. La lunette n’a plus besoin d’être cannelée, la couronne se fait moins présente, l’ergonomie s’affine, mais les traits distinctifs demeure. Laurent Tordjmann redessine la Type 20, qu’il voulait en 39 mm, mais que la profession lui suggère en 42 mm, plus dans l’air du temps, en ce début des années 2000 exubérant et ostentatoire. Elle sortira en 2010. Puis, c’est la Spirotechnique du commandant Cousteau qui renaîtra en 2012, actant la confiance renouvelée en la marque. En 2021, le Chronographe Flyback Type 20 retrouve ses dimensions originelles à 39 mm et la Scuba 300m est introduite en plongeuse professionnelle dans les mêmes dimensions.

Plongeuse Auricoste Type 26 Aéronavale
Plongeuse Auricoste Type 26 Aéronavale

Une certaine humilité

Aujourd’hui, Auricoste produit 400 montres par an et ses marchés sont «essentiellement la France, un peu la Corée du Sud et, par notre site, les Etats-Unis et le Japon», explique Laurent Tordjmann. Les montres embarquent des mouvements à remontage automatique suisses: Dubois Dépraz pour les chronographes (Type 20 et Type 52, ndlr); ETA 2824-2 pour la Spirotechnique; Sellita SW200 pour les plongeuses. Du solide, éprouvé, dans la tradition Auricoste.

À quoi reconnait-on un client Auricoste? «Ce sont forcément des passionnés d’horlogerie et d’histoire. Nous communiquons très peu. C’est surtout par le bouche-à-oreille que les clients nous découvrent. Et nous avons beaucoup de jeunes qui viennent à nous. Il semble que l’histoire les intéresse énormément.»

Réédition de la Spirotechnique, plongeuse professionnelle du commandant Cousteau
Réédition de la Spirotechnique, plongeuse professionnelle du commandant Cousteau

Auricoste: une histoire de famille(s) de plus d'un siècle et demi

Quels sont les plans pour le futur? «Rester fidèles à notre ADN et transmettre notre histoire. Créer des nouvelles collections sans nous disperser. Si nous pouvons arriver à 2’000 montres par an, ce serait merveilleux.» La production d’Auricoste demeure abordable avec des prix allant de 1’650 euros pour la Type 26 Aéronavale à 3’920 euros pour les Chronographes Type 20 et Type 52 Flyback.

À l’aube de fêter ses 170 ans, Auricoste revient sur le devant de la scène pour tous les amateurs de belles et authentiques histoires horlogères, pour tous les passionnés et collectionneurs de montres chargées de sens. Mais elle garde son humilité issue de ses origines dans les instruments de mesure professionnel et sa passion familiale.

Laurent Tordjmann le résume ainsi: «Nous voulons être reconnus pour ce que nous sommes et ce que nous représentons. Mon père, Claude, a 91 ans et vient tous les jours au bureau. Il continue à réfléchir au développement de la marque. Ce qui est beau, c’est de voir sa passion et de réaliser comment elle s’est transmise à moi-même et à Alexis (du Portal, son neveu, ndlr).»

Auricoste: une histoire de famille(s) de plus d'un siècle et demi